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Les Barjots ont 25 ans (3/5): Anquetil / Lathoud, le feu et l'armoire à glace

L’un, Grégory Anquetil, 24 ans en 1995, disputait en Islande sa première grande compétition avec l’équipe de France. L’autre, Denis Lathoud, 29 ans à l’époque, était déjà à l’apogée de sa carrière, après avoir remporté le bronze olympique à Barcelone en 1992 et l’argent mondial à Stockholm un an plus tard. Retour sur le triomphe planétaire des Barjots avec deux joueurs qui auront beaucoup apporté aux Bleus pendant cette compétition, chacun à leur manière.
Article rédigé par Manu Roux
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
 

« Est-ce que je peux dire quelque chose ?
- Non, toi, déjà, tu vas commencer par fermer ta g...! Et tu écoutes! » 
Ce soir-là, au café Reykjavik, situé au cœur de la capitale islandaise, Denis Lathoud n’a pas le cœur à  rigoler. L’équipe de France, pourtant vice-championne du monde deux ans auparavant, est malmenée en ce début de Mondial avec deux défaites en phase de poule et le «Grand» comme on surnommait déjà Lathoud à l’époque, du haut de son presque double mètre et de ses huit ans en bleu au compteur en arrivant sur l’île, n’apprécie que très modérément qu’un «petit » comme Grégory Anquetil, fraîchement arrivé dans le groupe France, se montre si prompt à donner son avis en réunion, en présence d’autres joueurs. « En fait, je voulais juste dire que j’étais content d’être là!» rigole Greg, 25 ans après la scène.

À l’image de cet échange plutôt viril entre l‘ancien et le minot, le début du Mondial des Bleus est loin d’être une cure thermale à Blue Lagoon, le célèbre spa situé à quelques kilomètres de Reykjavik, la capitale. « Il y avait des clans dans le groupe entre les joueurs de l’OM-Vitrolles, qui représentaient environ 50% de la sélection (7 sur 18, ndlr), et les autres dont je faisais partie » se rappelle Lathoud, l’un des tauliers des «Bronzés » de Barcelone, pas encore totalement « Barjots » en arrivant en Islande. «Les « Marseillais » avaient un mode de fonctionnement propre à eux, du fait qu’ils vivaient ensemble toute l’année. Sauf que là, on n’était pas sur la Canebière, c’était l’équipe de France! Et il y avait certains comportements disons un peu «méditerranéens » qui avaient du mal à passer. Ça ne pouvait pas fonctionner comme ça, il y avait des clashs et beaucoup d’égos au mètre carré, il fallait rectifier le tir.»

Sur le moment, le novice Grégory Anquetil ne se rend pas trop compte de la situation. «C’est vrai que l’ambiance n’était pas super au début mais c’était surtout un conflit larvé entre les anciens » explique l’ancien ailier droit international de Montpellier. « Avec Guéric Kervadec, l’autre jeune de la sélection, on n’était pas dans ce trip-là. C’était notre premier championnat du monde. Alors même si on ne jouait pas beaucoup durant la première semaine, participer, pour nous, c’était déjà une victoire! » 

La réunion d'Akureyri et le déclic contre l'Espagne

Sentant que le paquebot France commence à tanguer dans la mer du Groenland après un premier tour mouvementé, Denis Lathoud provoque, sans en référer à son entraîneur Daniel Costantini, la réunion d’Akureyri, du nom de ce joli petit port de pêche situé tout au Nord de l’Islande, théâtre du match des 8èmes de finale contre l’Espagne. «Contrairement à ce qu’on avait vécu aux JO de Barcelone, où l’on était sur un nuage pendant toute la compétition, là on était clairement en difficultés » explique l’ancien arrière gauche de la sélection. « Le groupe avait vieilli, s’était un peu embourgeoisé aussi, et pensait que tout allait s’arranger d’un coup de baguette magique. Sauf que dans un Mondial ça ne marche pas comme ça, parce qu’il n’y a pas des « pinpins » en face. J’avais vu jouer la Suède, la Russie et la Croatie, et sincèrement, il n’y avait pas une équipe qui nous était supérieure, si l’on se décidait vraiment à aller chercher ce titre. Le problème n’était pas handballistique. C’était psychologiquement et mentalement qu’il fallait que ça change. Voilà pourquoi j’ai organisé cette réunion au cours de laquelle tous les joueurs se sont exprimés à tour de rôle. On a même eu la chance d’entendre le son de la voix de Jackson Richardson! Après ça, tout le monde a tiré dans le même sens, a fait des efforts individuellement, et on a vu un autre visage de l’équipe de France. »

Convié comme tous les autres joueurs à cette réunion improvisée, Greg Anquetil relativise pourtant après coup l’impact de cette séance collective de lavage de linge sale sur la suite des événements . «Sincèrement, j’avais du mal à comprendre tous ces états d’âme car je ne doutais pas du jeu pratiqué. Pour moi, le vrai détonateur c’est le match contre l’Espagne en lui-même. Il y a ce fait de jeu avec Jackson Richardson qui tombe sur le banc espagnol et qui se prend un coup de pied de je ne sais pas qui. Ça provoque un début de bagarre générale avec même des gens qui descendent des tribunes. Pour moi c’est le déclic. On est restés solidaires et on a réussi à contenir le banc espagnol. Après ça, la machine s’est mise en marche et on est devenus intouchables» explique Greg qui, à partir de ce match ne sortira plus de l’équipe, comme son compère Kervadec, poussant gentiment vers la sortie les mythiques Perreux et Gardent.

Les succès face à la Suisse en quarts (28-18) et à l’Allemagne en demies (22-20) confirmeront ce renouveau jusqu’au triomphe final contre la Croatie (23-19), vécu par Denis Lathoud et les plus anciens comme un aboutissement. « On avait décroché le bronze à Barcelone et terminé 2èmes deux ans auparavant. Là, champions du monde, il n’y a plus personne au-dessus de toi. Tu surplombes les autres qui sont tous plus petits! » savoure Denis qui décroche à cette occasion la dernière médaille internationale de sa carrière. La toute première pour Grégory Anquetil qui sera de nouveau champion du monde six ans plus tard avec les « Costauds » cette fois. «Sans me comparer à Mbappé, j’ai vécu un peu la même chose que lui en étant champion du monde du premier coup! J’ai eu le Graal d’entrée et tout le reste après, c’était du bonus! »

"Des révolutionnaires du sport français"

Avec le recul, 25 ans après, Denis Lathoud se rend un peu plus compte de l’impact que cette victoire a eu sur le sport tricolore. « On a fait prendre conscience aux Français que devenir champions du monde en sport collectif c’était possible. On a donné de l’espoir. Ça a créé une dynamique, une émulation et trois ans après nous, les Bleus d’Aimé Jacquet gagnaient la Coupe du monde de foot! Il y a peut-être un lien » analyse le « Grand », aujourd’hui entraîneur à Strasbourg-Schiltigheim (Proligue, D2). «On était un peu des révolutionnaires du sport et les gens se sont identifiés à nous » renchérit Greg Anquetil, souvent sollicité par les chaînes de télévision de nos jours comme consultant. « C’est fou le nombre de de personnes, y compris des jeunes, qui me disent encore aujourd’hui: « Vous, les Barjots, je ne vous ai jamais vus jouer mais je vous connais! »

Et pour tenter de mieux cerner la personnalité de ces champions du monde «à jamais les premiers » et qui resteront toujours à part, il y a cette dernière anecdote magnifiquement contée par Greg Anquetil dans le documentaire «Des Barjots aux Experts » de Nicolas Chardon, qui fait désormais partie de la légende islandaise. «À l’aéroport de Reykjavik, avant de rentrer en France, Denis Lathoud achète deux bouteilles de vin rouge, des grands crûs, au duty free et il nous dit: « j’ai deux filles et j’ai pris deux bouteilles. J’ouvrirai la première à la majorité de l’aînée, j’en ferai de même pour la seconde avec la cadette et à chacune je dirai: « Papa a acheté cette bouteille quand il est devenu champion du monde! » À ce moment-là, tout le monde le regarde et lui dit: « oh, Denis, c’est beau! » L’avion prend du retard au décollage et au bout d’une demi-heure d’attente, le «Grand» finit par dire: «et si on s’en ouvrait une petite? » Résultat, avant même qu’on ait quitté le sol islandais, les deux bouteilles étaient déjà mortes! » Incorrigibles Barjots!

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