Olivier Krumbholz, cet entraîneur tellement différent
Quatorze ans plus tard, les Françaises tiennent donc enfin leur deuxième titre de championne du monde. Quatorze ans durant lesquels se sont succédé les déceptions et les frustrations, avec une génération prometteuse qui a tardé à répondre aux attentes. Il aura donc fallu qu'Olivier Krumbholz revienne. Et sa présence semble aujourd'hui indissociable des récents succès du handball tricolore féminin. Entraîneur le plus titré de l'histoire de ces Bleues (2 médailles d'Or, 4 en Argent, 3 en Bronze), le technicien de 59 ans manie l'art de trouver la bonne recette. Quitte à tâtonner. Quitte à surprendre. Quitte à décevoir. Quitte même à piquer ses joueuses. "Au début de la compétition, comme on déraillait complètement, il a été très autoritaire. Il a voulu vite reprendre le contrôle sur le groupe", raconte la spécialiste de la défense Béatrice Edwige. "Donc après le match contre la Suède, on s'attendait à prendre la foudre à cause notamment du 6-0 (encaissé par les Françaises en première mi-temps de la demi-finale), mais au contraire il a été cool", poursuit-t-elle. "C'est un très bon orateur. Il sait trouver les mots. Il sent quand son équipe a besoin d'être rassurée ou secouée. Il est fort pour ça, il sait quoi nous dire à quel moment", confirme la capitaine Siraba Dembélé.
Changement de management
La gestion de l'effectif lors de ce Mondial en Allemagne illustre bien le numéro d'équilibriste de l'entraîneur. Conservateur par le passé, il est devenu un adepte du turn-over. Comme en finale, lorsqu'il décida de lancer la jeune Orlane Kanor, 20 ans, dans la bataille dans les dix dernières minutes. Un choix culotté et payant, puisque la Messine a inscrit deux buts importants. L'ancien Krumbholz n'aurait sans doute pas fait ce choix, il se serait reposé sur les anciennes. Il le reconnaît, il a changé. Les déceptions des trois finales perdues lors des Mondiaux de 1999, 2009 et 2011, avaient fini par le complexer. Il s'est donc remis en question. Quand le mandat de son successeur Alain Portes a tourné au fiasco (de juin 2013 à janvier 2016) et qu'il a été rappelé en urgence, pour préparer les Jeux de Rio, c'est un entraîneur transformé qu'on a effectivement retrouvé. "Je suis venu les aider et leurs demandes étaient claires. Elles veulent un manager le plus calme possible, c'est ce que j'essaie de faire", expliquait ainsi le natif de Longeville-lès-Metz à son retour aux affaires.
L'obsession de la gagne
"Ça commençait à faire un moment qu'on avait pas gagné, quatorze ans, a-t-il déclaré. Dans ces cas là, on finit par vous coller l'image de loser, de mec qui va chercher les médailles mais n'est pas capable de gagner." Mais Krumbholz avait déjà gagné. Il sait comment faire. Du moins, il n'est jamais très loin quand ça gagne. Alors, qu'est-ce-qui a changé ? Pendant toute la semaine, on a guetté. On a scruté. On a tenté de déceler le moindre indice dans ses gestes, ses attitudes, ses mimiques. Que veut-il transmettre ? Comment s'y prend-il pour conditionner ses joueuses ? Et on a trouvé. Depuis que la quasi-totalité de ses filles a reconnu l'impact de son activité sur le bord, il se fait plus mesuré. Il s'adapte. En bon chef d'orchestre, il ne néglige plus l'importance de l'autogestion, dans la construction de la réussite collective. "J'essaie de pousser les athlètes dans leurs derniers retranchements. J'ai parfois poussé trop loin, admet-il ce matin dans l'Equipe. Piquer au vif les athlètes peut être utile, mais cela a ses limites. Elles ont tellement évolué que l'on se doit, moi et le staff, d'avoir une relation différente. Avant, j'étais trop attaché aux règles de vie. Aujourd'hui, on laisse beaucoup plus d'autonomie aux filles. Car elles ont avancé dans leur professionnalisme." A croire que son éviction en 2013, lui a permis de mieux saisir les nuances nécessaires pour manager une équipe féminine aujourd'hui.
"Sa démarche a été à 100% bénéfique, confiait l'ailière Manon Houette. Vu qu'il y a plus de participatif dans son management, il y a plus de prise d'initiative de tout le monde, plus d'autonomie, plus de professionnalisme. Je trouve intéressant de bosser avec des gens qui sont capables de se remettre en question", poursuivait-elle, en louant les qualités pédagogiques du sélectionneur. "Pour un entraîneur qui arrive de chez les garçons, c'est très compliqué parce qu'on fonctionne différemment. On a besoin de comprendre ce qu'on fait, tout le temps. Il est là pour nous expliquer, pour donner une logique à tout ce qu'on fait. Quand tu sais pourquoi tu travailles, en général tu le fais mieux".
Ce titre restera dans l’histoire
Car si les hommes ont eu Daniel Costantini puis Claude Onesta pour les guider vers les sommets de la discipline, les femmes, elles, n’ont finalement eu que lui, tant le passage d'Alain Portes fut un désastre sur toute la ligne. Et même s'il a changé, même s'il s'est assagi, le salut de cette équipe de France passait donc par sa son charisme et sa capacité à rassembler les joueuses autour d'un objectif commun. "C'est quelqu'un de très particulier, estime Amandine Leynaud. Moi, je joue à l'étranger et tout le monde est intéressé par ce qu'il dégage. Les gens se posent la question de savoir qui il est vraiment, comment il est avec nous. Tout le monde se souvient de lui", dit la gardienne du Vardar Skopje. Il sera encore plus difficile de ne pas se souvenir de cette victoire, tant le niveau d'adversité était au dessus de celui des Hongroises en 2003.
Et s'il est d'un naturel plutôt discret, Olivier Krumbholz n'est certainement pas dupe. Après avoir sorti le handball féminin du néant en le conduisant sur son premier podium international, lors du Mondial 1999, l'ex-entraîneur de Metz (de 1986 à 1995) ne s'est pas privé de rappeler quels pouvaient être la valeur et le poids d'une finale remportée après 14 ans d'attente : "C'est un merveilleux moment, j'ai pris beaucoup de plaisir à manager cette finale que l'on avait bien préparée. Tout le monde a joué son rôle. Ce titre restera dans l’histoire." Nul doute que lui aussi.
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