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Enquête franceinfo "On est nombreux à avoir le sentiment qu'il se passe quelque chose" : pourquoi y a-t-il si peu de cas de dopage dans le golf ?

Au pays de la petite balle blanche, les cas de dopage sont rares. Ce n'est pas pour autant que les soupçons n'existent pas. Franceinfo a essayé d'y voir plus clair à l'occasion de la Ryder Cup qui démarre vendredi au Golf national, à Guyancourt (Yvelines).

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min

  (FRANCEINFO)

"Si tu crois pouvoir devenir le roi du putt en avalant quelques pilules interdites, tu te trompes, gamin..." Cette petite blague tourne en permanence chez les golfeurs. "En vingt ans de carrière, je ne sais pas combien de fois j'ai pu l'entendre, raconte le Français Grégory Havret, 41 ans dont la moitié passée sur les greens. Dans la tête des gens, ce n'est pas possible qu'il y ait du dopage dans le golf. Dans le cyclisme oui, dans le foot oui, dans la boxe oui, mais pas dans le golf." 

Romain Langasque, son jeune collègue de 23 ans, tape la balle dans la même direction : "On sort fatigué d'une compétition. Mais ce n'est pas une étape du Tour de France, ni un 100 mètres." Pour la faire courte, "ça se saurait si quelqu'un avait inventé une substance magique pour faire grimper un joueur dans le classement", rigole Olivier Rouillon, le président de la commission médicale de la Fédération française de golf.

Affaire classée donc ? Pas forcément. "Le dopage est un sujet qui existe dans le golf comme dans tous les sports aujourd'hui, glisse Grégory Havret. Il n’y a pas de raison que ça soit différent chez nous." Franceinfo a donc mené l'enquête alors que la plus grande compétition de golf au monde, la Ryder Cup, pose pour la première fois ses valises en France, de vendredi à dimanche sur le Golf national, situé à Guyancourt (Yvelines).

"Il voulait savoir s'il y aurait des tests"

Même si ce n'est "certainement pas demain que sortira une affaire Festina dans le golf", "il y a de quoi se poser quelques questions", observe Martin Coulomb, du Journal du golf. "Je parlerais plutôt de comportements qui peuvent parfois semer le doute", reprend Grégory Havret, actuel 147e joueur européen. Un exemple ? "Il y a quelques années", plusieurs participants étrangers avaient "subitement" renoncé à jouer un tournoi après avoir entendu dire que l’Agence mondiale antidopage allait procéder à des contrôles.

Un autre golfeur français, qui ne souhaite pas que son nom apparaisse, raconte à franceinfo avoir un jour reçu "un message bizarre" d'un joueur américain : "C'était juste avant un Open de France. Il voulait savoir s'il y aurait des tests. Bon, bon, bon… grimace-t-il. Je n'ai pas su quoi lui dire." Plus récemment, en 2016, le forfait de plusieurs ténors du golf juste avant les Jeux olympiques de Rio a pas mal fait tiquer. "Ces types qui auraient pu devenir champions olympiques ont raconté qu'ils avaient peur du virus Zika. Pardon, mais ils auraient pu trouver une autre excuse", s'agace un coach du circuit européen.

Dans le laboratoire d'analyses antidopage de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), le 15 décembre 2015. (FRANCK FIFE / AFP)

L'évolution physique de certains grands noms du circuit mondial fait également jaser. "Pour rester poli, je dirais que c'est étonnant, sourit ce même entraîneur. Tu as des mecs, ils passent de gringalet à golgoth en quelques mois. Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il y a, derrière cela, quelques hormones de croissance ou des stéroïdes, histoire de prendre de la masse musculaire, et donc gagner de la puissance pour taper plus loin et plus fort."

Même la star Tiger Woods, l'ancien numéro un mondial qui sera présent à la Ryder Cup, n'échappe pas aux soupçons. "Tout n'est pas très net chez lui, glisse un habitué des greens européens. Son docteur est quand même accusé d'avoir prescrit des produits dopants à des sportifs pros." Il fait ici référence à Anthony Galea, arrêté fin 2009 avec des hormones de croissance dans ses bagages. Le médecin canadien a, à l'époque, plaidé coupable... sans pour autant donner l'identité de ses clients. On sait en revanche qu'il a aidé des centaines de sportifs, et notamment le golfeur américain, en 2008, après son opération du genou gauche. "Pour autant, je vous mets au défi de trouver des gens pour l'attaquer, il y a une sorte d'omerta sur la question du dopage dans le golf." 

On en parle entre nous, mais ça reste sur WhatsApp ou sur Messenger. Ou alors en fin de soirée, mais tu fais attention à qui est autour de toi.

un coach de golf

à franceinfo

Une sorte d'omerta ? C'est le moins que l'on puisse dire. Beaucoup de nos demandes d'interviews sont restées sans réponse et un golfeur européen, qui était partant pour répondre à nos questions, a fini par décliner... sans donner d'explications.

Le golfeur américain Tiger Woods lors d'un tournoi à Atlanta (Etats-Unis), le 19 septembre 2018. (KEVIN C. COX / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Ce n'est pourtant pas faute d'essayer d'attraper les tricheurs. L'an dernier, l'Agence mondiale antidopage a analysé 389 échantillons de golfeurs. C'est cent fois moins que dans le football (37 118 échantillons) et soixante fois moins que dans le cyclisme (23 575). Mais le nombre de golfeurs contrôlables est aussi bien inférieur à celui des pros du ballon rond ou du vélo.

Parmi les sports les plus "sales"

En tout cas, 1% des tests réalisés se sont révélés positifs. Ce qui classe le golf parmi les sports les plus "sales", derrière la boxe (1,7%), l'haltérophilie (1,5%) et l’équitation (1,4%), mais devant le football. "Parmi les substances que l'on cherche, il y a les agents anabolisants, les dérivés du cannabis et les bêta-bloquants", précise à franceinfo le professeur Mario Thevis, qui dirige le laboratoire de Cologne (Allemagne), référence en matière de lutte antidopage.

Les bêta-bloquants peuvent en effet vous sauver de situations délicates. "Ils vont faire baisser la pression artérielle, et donc limiter les petits tremblements, détaille Alexandre Cavailles, médecin dans l'Aude et golfeur amateur. Le joueur sera plus calme, plus concentré avant un putt important par exemple. C'est le même principe que pour les sports de tir. Alors oui, ça ne peut qu'aider." 

Dans l'état actuel des choses, nous n'avons pas connaissance de produits non détectables qui seraient utilisés par les golfeurs.

Mario Thevis, directeur du laboratoire de Cologne

à franceinfo

A ce jour, les principaux cas de dopage dans le golf concernent surtout des joueurs pris les deux mains dans le pot de cocaïne, de cannabis ou d'ecstasy. Et finalement, les gros poissons qui se sont fait pincer se comptent sur les doigts d'une main. C'est le cas de l'Américain Doug Barron, suspendu un an pour un contrôle positif à la testostérone et aux bêta-bloquants en novembre 2009. En juillet 2015, un autre Américain, Scott Stallings, est prié de laisser son club au placard pendant trois mois après avoir pris un dérivé de testostérone. Et en janvier dernier, le Canadien Brad Fritsch est lui aussi privé de greens pendant trois mois. Son tort : avoir avalé des stéroïdes. Tout penaud, il s'était à l'époque confondu en excuses sur sa page Facebook. 

N'empêche, les instances mondiales du golf sont régulièrement accusées de traîner les pieds. "Ils tardent à jouer le jeu de l’antidopage, constate l'Américan Don Catlin, l'un des principaux experts de la question dans le monde, alors que c'est l'un des sports les plus éthiques." Les principaux championnats de la planète, qui ne sont pas signataires du code de l'Agence mondiale antidopage, disposent de leur propre système de contrôle. C'est pour "garantir la cohérence des joueurs qui évoluent sur différents territoires"expliquent à franceinfo les responsables de l'European Tour, la première division européenne. Plus de 1 500 tests sont effectués chaque année sur nos joueurs, à la fois en compétition et hors compétition. Et leur collecte et leur analyse en laboratoire sont conformes aux règles de l'Agence mondiale antidopage." Pour autant, impossible de mettre la main sur les résultats. "Les statistiques ne sont pas publiques, donc c’est compliqué d’évaluer le phénomène", tacle Don Catlin, interrogé par franceinfo, qui regrette "ce manque de transparence."

Autre preuve de ce retard à l'allumage : les tests sanguins. Le circuit professionnel américain (PGA Tour) ne les a instaurés qu'en octobre 2017, alors que "c’est pourtant le seul moyen de détecter les hormones de croissance", rappelle Don Catlin. Plus proche de nous, l'European Tour pratique les tests d'urine depuis 2008... mais n'a instauré les prélèvements sanguins qu'au début de cette nouvelle saison. 

"En moyenne, on me contrôle une fois par an"

Certains golfeurs sont les premiers à demander davantage de contrôles. A commencer par le Britannique Rory McIlroy. "Je crois que les tests antidopage au golf sont loin derrière les autres sports", lâchait le Nord-Irlandais, actuel numéro 5 mondial, lors d'une conférence de presse juste avant l'ouverture des Jeux olympiques de Rio. Grégory Havret y est favorable aussi. "En moyenne, on me contrôle une fois par an, on vient me trouver à la fin d'un tournoi, je fais pipi dans un flacon, et après j'attends les résultats." Ceux-ci tombent souvent trois semaines après, par e-mail (quand c'est négatif en tout cas), comme l'an passé au Danemark. 

Capture d'écran d'un mail reçu par le golfeur français Grégory Havret, le 10 septembre 2017.  (FRANCEINFO)

"Une fois par an, ce n'est pas assez, lâche le Français. Aujourd'hui, ce n'est pas hyper poussé. Il faut chercher plus. On devrait être contrôlés de manière inopinée en dehors des tournois, l'hiver, lorsqu'on se prépare. Aujourd'hui, il ne se passe rien, on est laissé neuf ou dix semaines seul. C'est forcément propice à..." 

Le simple fait de davantage contrôler permettrait de dissiper les doutes. Car je suis sûr que le golf est globalement propre.

Grégory Havret

à franceinfo

Un préparateur physique français ose dire tout haut ce que certains pensent tout bas. "C'est assez bizarre comme situation. On est nombreux à avoir le sentiment qu'il se passe quelque chose, mais on n'arrive jamais à choper personne. C'est insupportable." 

Franchement, pour un sport qui a fait son retour aux Jeux il y a deux ans, ce n'est clairement pas assez. Si le golf veut rester olympique, il doit se mettre au même niveau que les autres sports.

un préparateur physique

à franceinfo

Une relative impunité qui se répercute jusqu'au niveau amateur, comme le pointe un médecin installé dans le sud de la France. "En moyenne, j’ai cinq patients par an qui viennent me voir pour que je leur prescrive des bêta-bloquants, détaille ce spécialiste qui préfère garder l'anonymat. Je les préviens toujours que c’est du dopage. Mais en même temps, il n’y a pas de contrôle, donc..."

Le golfeur français Grégory Havret à Sao Pedro (Portugal), le 21 septembre 2017.  (FRANCISCO LEONG / AFP)

Face à cette omerta, un ancien golfeur professionnel, aujourd'hui à la retraite, met en cause "la pression des sponsors", "bien contents que peu d'histoires sortent dans la presse" parce qu'"un cas de dopage ferait mauvais genre", grince-t-il au téléphone. Martin Coulomb, du Journal du golf, ne dit pas autre chose : "Si un des cadors tombait pour dopage, ce serait un cataclysme pour les marques." 

Des intérêts économiques importants

L'argent coule, en effet, à flots dans le monde de la petite balle blanche. "Les intérêts économiques sont énormes, ça brasse à la fois des grands industriels, des entreprises comme BMW, Lacoste, Rolex... Des politiques y jouent aussi", reprend l'ancien joueur aujourd'hui retiré des fairways. Pas étonnant, donc, que le magazine Forbes ait placé quatre golfeurs parmi les trente sportifs les mieux payés au monde l'an dernier.

Un tournoi peut à jamais changer la vie d'un joueur ou d’une joueuse.

un ancien golfeur professionnel

à franceinfo

Trop laxistes, les sponsors ? Pas vraiment. En tout cas, les choses changent. "Il y a une clause qui dit les choses très clairement, raconte à franceinfo un ancien salarié d'un équipementier historique, en charge pendant plus de dix ans de signer les contrats avec les golfeurs professionnels. Si l'athlète se fait prendre pour dopage, la collaboration est immédiatement arrêtée. Vu les sommes engagées, tu balises tout." Le jeune golfeur Romain Langasque a eu droit aux mêmes petites lignes. "Si mon comportement nuit à la marque, cette dernière a tout à fait le droit de me dire au revoir", résume l'actuel 11e Français. Pour la faire courte, hors de question de rémunérer un athlète qui ne serait pas tout à fait net. 

Un PDF "Dopage or not dopage" pour les jeunes

Dans les locaux de la Fédération française de golf, la question du dopage revient aussi souvent sur la table. "Je rappelle qu'aucun Français ne s'est fait prendre jusque-là, se félicite Olivier Rouillon, le président de la commission médicale en poste depuis dix ans. Mais ça ne nous empêche pas d'être vigilants, notamment avec nos jeunes qui partent aux Etats-Unis." Avant de traverser l'Atlantique, la Fédération leur envoie un PDF de vingt-sept pages, que franceinfo a pu consulter. Son nom : "Dopage or not dopage ?" Y figure la liste des produits et des procédés interdits et leurs dangers. Depuis qu'il est en poste, Olivier Rouillon affirme avoir eu "une fois des doutes" avec un jeune d’une vingtaine d’années. 

Il avait pris énormément de cuisse, ça m'a alerté.

Olivier Rouillon

à franceinfo

Le médecin n'a pas eu besoin de lui tirer les vers du nez. "Il avait conscience d'avoir pris des trucs bizarres, des compléments alimentaires... Il nous a dit qu'il avait été forcé de les prendre." L'athlète n’a pas été sanctionné : "Il a compris tout seul qu'il n'est pas passé loin d'un contrôle positif, ça lui a servi de leçon." Le golfeur en question est aujourd’hui sur le circuit. 

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