Football : Pourquoi l'extension de la règle des cinq remplacements la saison prochaine est une vraie révolution
C’est une information qui serait presque passé inaperçue pour les suiveurs réguliers du ballon rond ces dernières semaines. Car depuis le retour au jeu dans la plupart des championnats européens, la possibilité de recourir à cinq remplacements par équipe, contre trois en temps normal, a été introduite. Une option supplémentaire - héritage direct de la pandémie de Covid-19 - mise à disposition des entraîneurs pour leur permettre de faire tourner leur effectif dans une période dense, qui voit les joueurs compiler les efforts tous les trois ou quatre jours afin de boucler la saison 2019-2020.
Mais l’annonce en milieu de semaine de l’IFAB (International Football Association Board), garant des lois du jeu, de prolonger à la saison prochaine cette mesure d’exception risque bien de faire parler. Avec l’aide de Nicolas Dyon, ancien préparateur physique du Stade Rennais, de l’OGC Nice ou de l’AS Saint-Étienne, nous avons listé les principales problématiques que suscitent ce passage à cinq remplacements.
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• Une nouvelle donnée à prendre en compte pour les coachs
Avec la possibilité de faire sortir du banc de touche deux joueurs supplémentaires, c’est tout un tas de nouvelles options qui s’ouvrent pour les entraîneurs. “En termes de gestion de groupe, c’est un changement super important car jusque-là, il y avait trois joueurs qui pouvaient influer sur la capacité à changer le résultat. Sur la dynamique, le coaching tactique, ça change beaucoup de choses.” Les staffs techniques vont donc devoir apprendre à concerner plus de joueurs, une situation qui pourrait être profitable aux jeunes ou à ceux en manque de temps de jeu. Un gain de liberté
• Est-ce que les cinq remplacements ne sont pas surtout profitables aux grosses écuries ?
C'est la question qui revient la plus souvent du côté des détracteurs de cette prolongation jusqu'à l'été 2021 des cinq remplacements. En Angleterre plusieurs anciens joueurs comme Gary Neville ou Jamie Carragher, désormais consultants, se sont inquiétés de cette évolution. Selon eux, elle serait particulièrement favorable aux grosses écuries avec des effectifs pléthoriques. Leurs capacités financières permettraient d'attirer plus de bons joueurs qui viendraient compléter des équipes déjà bien fournies et, le moment voulu, pourraient entrer en jeu pour faire basculer les matchs.
Alors, inéquitable ? Nicolas Dyon ne voit pas vraiment en quoi. "On peut dire que cela renforce certaines inégalités déjà existantes dans le football de haut niveau, peut-être. Ce n'est pas faux. Mais au final, les 11 sont plus forts, les 18 sont plus forts... Ce ne sont pas ces deux options en plus sur le banc qui rendent tout à coup les choses inéquitables." D'autant que le préparateur physique s'appuie sur un argument solide : la statistique.
"Lors de ma première année aux Grasshoppers à Zurich, lorsqu'on était en première division et qu'on jouait la Ligue Europa, j'aimais bien regarder l'influence des remplacements sur les matchs. On avait fait un baromètre "bench influence" (sur l'influence des joueurs entrés en cours de partie, ndlr) avec des points avec le coach : un point quand un remplaçant rentre et marque un but, quand il fait une passe décisive et quand il sauve un but sur une situation d'urgence. On avait fait ce travail pour toutes les équipes du championnat suisse. Cela permettait de dire à nos joueurs à quel point leur entrée en jeu pouvait être cruciale, pour les garder concernés. On s'était rendu compte à la fin de saison que les deux meilleures équipes étaient souvent les mieux classées au classement "bench influence"".
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• Attention à ne pas fausser l’intensité du match
La saison prochaine, certaines situations pourraient être inédites. Il sera peut-être possible, par exemple, d’assister à un quintuple changement dès la 50e minute. Soit la modification de près de 50% de l’équipe, le tout en moins d’une minute… “L’un des risques sur lesquels il va falloir être attentif, c’est si cela fausse l’intensité du match. Changer la moitié du onze en cours de jeu, cela peut avoir un impact sur l'intensité physique. Je pense que désormais, les entraîneurs vont se construire des scénarios : certaines équipes qui vont enchaîner les rencontres, des “semaines anglaises” avec trois matchs en sept jours, vont davantage recourir à ces changements plus tôt dans la partie en faisant entrer des éléments frais pour aller gagner la partie.”
Toujours est-il que dans la répétition des efforts et la prévention des blessures, cette évolution est majeure. "Elle doit venir en aide à la programmation de matchs tous les trois jours, c'est son utilité. Quelque part, elle est au service du joueur avant tout."
• Mieux gérer les échauffements… et les egos
Dans les règlements de la Ligue 1, les choses sont (pour l’instant) figées en ce qui concerne les échauffements de bord de terrain : "Pendant le match, trois joueurs maximum par équipe peuvent s’échauffer, sans ballon et revêtus d’une tunique de couleur différente de celle des deux équipes et de l’arbitre assistant. Ils doivent être positionnés derrière l’assistant n°1 dans une zone clairement identifiée et délimitée ne gênant pas les déplacements de ce dernier, ou éventuellement en accord avec l’arbitre derrière leur propre but. Un membre du staff technique professionnel, identifié sur la feuille de match, est autorisé à venir participer à cet échauffement."
Pour Nicolas Dyon, il va falloir que cette règle soit revue rapidement. “Pourquoi il y a quelques années sommes-nous passés à un échauffement de trois joueurs seulement ? C’est catastrophique pour les préparateurs physiques. Combien de fois c’est arrivé que l’on fasse s’échauffer un ou plusieurs joueurs alors qu’au final, celui que le coach finit par faire entrer était sur le banc… C’est aberrant. Il faut que cette jauge de joueurs pouvant s’échauffer en bord de terrain soit relevée. On nous dit que c’est une question de place mais je pense que tout le monde peut s’adapter.”
Derrière cette problématique s’inscrit aussi, en filigrane, celle de la gestion des egos. “Si vous avez Ibrahimovic sur le banc et que vous lui dites toutes les huit minutes : "tu vas t'échauffer, tu reviens, tu vas t'échauffer, tu reviens"... C’est difficilement tenable.”
• Vers la création d'un nouveau statut, celui de "joueur-joker" ?
Des joueurs qui dynamitent une partie lorsqu'ils entrent en jeu plus tôt et sont plus à l'aise en sortie de banc que titulaires sur l'intégralité d'une rencontre, cela existe depuis longtemps. Mais ces "impact players" comme on peut en voir en rugby vont-ils être amenés à faire l'objet d'un marché parallèle ? C'est en tout cas l'option émise par Nicolas Dyon. "Je pense que c'est une possibilité. Ces "joueurs-jokers" vont peut-être avoir un véritable statut à l'avenir. Il va vraiment y avoir des joueurs qui seront là pour jouer 20 à 30 minutes, souvent des éléments offensifs avec beaucoup d'énergie et de talent technique, dans le but de faire basculer des matchs. Ils vont prendre de la valeur. Leur préparation physique sera, elle aussi, complètement différente."
Reste une interrogation, à savoir quels sont les joueurs susceptibles d'accepter un tel statut ? Et si des contrats avec des conditions particulières, notamment sur le plan financier, peuvent voir le jour. Autant de points pour le moment indécis qui pourraient vite revenir sur la table d'ici quelques semaines.
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