Super Ligue : l'arrêt de la cour de justice de l'UE "est très loin de révolutionner l'industrie du football", estime un économiste du sport
Prêt à bouleverser le monde du football, le projet de Super Ligue soutenu par l'entreprise A22 a repris de l'ampleur, jeudi 21 décembre, après l'annonce de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui dénonce le monopole de l'UEFA et de la FIFA, illégal. Christophe Lepetit, économiste du sport, éclaircit quelques ombres du tableau.
Franceinfo: sport : Est-ce que la décision de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) peut créer un précédent sur le football européen et toutes les compétitions européennes?
Christophe Lepetit : Non, pas du tout. Contrairement au titre du communiqué de presse de la CJUE et à la couverture médiatique qui en a été faite derrière, on est très loin d'un arrêt qui révolutionnerait totalement l'industrie du football professionnel. En première lecture, j'y voyais malgré tout une victoire, pas forcément triomphale de la Super Ligue et de défaite de l'UEFA et de la FIFA. Et à la lecture de la décision elle même, cela s'inverse presque. La décision est largement dans la lignée de l'avis de l'avocat général qui avait été rendu l'an dernier, à savoir de dire que l'UEFA et la FIFA sont en situation de position dominante. Ainsi, A22 ou n'importe quelle autre organisation a tout à fait le droit de lancer une compétition à partir du moment où ça s'inscrit dans le calendrier de match international. C'est un point qui est mentionné dans la décision, mais aussi que si une organisation lance une compétition, rien n'interdirait à l'UEFA et ou la FIFA de prendre des décisions pour limiter l'accès des clubs et ou des joueurs à cette compétition.
Donc selon vous, l'UEFA, notamment avec le nouveau projet de Ligue des champions l'année prochaine, ne doit pas forcément s'inquiéter de cette décision, notamment de voir partir les gros clubs ?
Je ne dirais pas qu'il faut qu'elle y aille en sifflotant. Bien sûr qu'il faut prendre en compte ce que la CJUE a dit aujourd'hui. Mais il va falloir attendre l'avis de la cour espagnole à Madrid, puisque le cas va repartir en Espagne (le tribunal de Madrid avait saisi la CJUE au départ et devra vérifier si les "règles peuvent bénéficier aux différents acteurs du football"). Mais je pense que l'UEFA n'est pas dans une situation où il y aurait pu y avoir quelque chose de radical qui aurait remis en cause totalement le monopole.
Les petits clubs seraient les perdants de ce projet ?
C'est très clairement un format qui favorise la permanence des grands clubs dans les premières divisions. Parce que dans le schéma qu'ils décrivent, tous les champions des grands pays sont dans la première division. Mais si demain, Leicester ou Montpellier, comme on l'a vu plus récemment, est champion, le club ne se qualifie pas pour la première division, il se qualifie potentiellement pour la troisième. A partir de là, il faut qu'il arrive à monter en deuxième, puis en première. Les petits clubs devront faire un parcours du combattant impossible, à savoir passer de la troisième division européenne jusqu'à la première, chose qui n'arrivera jamais.
La Super Ligue promet un football accessible gratuitement, est-ce un modèle viable ?
Ce schéma de diffusion à travers une plateforme Unify (plateforme désignée par A22 pour diffuser les matchs), accessible gratuitement par tous les fans du monde entier, est une forme de fumisterie. A très court terme, vous pouvez mettre tous vos matchs sur une plateforme gratuite, mais il est fort probable, voire quasi certain, que très rapidement, vous allez développer un modèle freemium. Une partie gratuite, une autre sur abonnement pour monétiser l'audience que vous aurez créée par le fait d'avoir été gratuit au départ. C'est une promesse de gratuité à très court terme qui se transformera progressivement en une semi gratuité, voire en un modèle qui sera extrêmement payant à plus long terme. Je pense qu'il y a une forme de mensonge en tout cas. Et ça l'est d'autant que, dans le même temps, ils garantissent des paiements de solidarité très importants et potentiellement supérieurs à ce que l'UEFA fait.
Comment se positionnent les clubs ?
Les clubs semblent plutôt en train de rejeter massivement la Super Ligue à nouveau. Maintenant, si A22 arrive avec un pont d'or, ce qui nécessitera un ou plusieurs énormes partenariats avec de l'argent garanti, la question pourrait se poser. Aujourd'hui les compétitions européennes interclubs sur 2023/2024 représentent 3,5 milliards d'euros de recettes brutes et un produit hyper installé. Ce ne sera pas simple pour A22 sauf à avoir un soutien massif comme JP Morgan en 2021 ou un autre fond d'investissement d'un partenaire prêt à poser un énorme minimum garanti.
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