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La provoc' au poil des "streakers"

Courir nu sur un terrain ne suffit plus à attirer l'attention. Désormais, il faut déployer des trésors d'imagination pour avoir droit à son quart d'heure warholien... Florilège.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un streaker est attrapé par un stadier lors du match de rugby entre les Sydney Tigers et les NZ Warriors, à Sydney, le 16 septembre 2010. (NEWSPIX / REX FEATURES / REX / SIPA)

Pendant des années, un streaker, c'était un homme qui courait nu sur un terrain de foot après un pari arrosé avec des amis. Le but était de sprinter le plus longtemps possible sur la pelouse, poursuivi par les stadiers, avant de finir la soirée au poste. Mardi 31 janvier, par un froid glacial, un supporter d'Everton a innové en s'enchaînant avec des menottes au poteau du but de Manchester City. Il a fallu cinq bonnes minutes aux stadiers pour le convaincre de se détacher. Cinq minutes warholiennes pour protester contre les méthodes de recrutement de la compagnie low-cost Ryanair (le site du streaker ici). La presse anglaise a largement relayé ce combat, alors qu'un banal jogging en tenue d'Adam n'aurait pas eu droit à plus de deux lignes. 

 

Le streaking sportif, un passe-temps depuis 1974

Petit retour en arrière sur une pratique (presque) vieille comme le monde. Si le premier cas de streaking jamais recensé remonte à 1799, à Londres, il faut attendre les années 1870 pour voir les spectateurs d'un match de cricket en Australie envahir le terrain et contester une décision de l'arbitre. En 1913, la pratique commence à se politiser, par le geste fou d'une suffragette anglaise. Cette dernière n'avait pas trouvé mieux pour faire connaître ses revendications que d'envahir le champ de course d'Epsom...  pendant la course. La jeune femme s'est fait piétiner à mort par les chevaux lancés dans la dernière ligne droite. 

Le streaker Michael O'Brien arrêté lors d'un match du tournoi des V Nations Angleterre-France, en 1974. (TONY DUFFY / GETTY IMAGES)

Il faut attendre 1974 pour assister au tout premier cas de streaking sportif. Ce précurseur s'appelle Michael O'Brien, un Australien qui assistait à un match de rugby Angleterre-France, dans le stade de Twickenham, près de Londres. Vous noterez la pudeur du policier qui permet de sauver la dignité du jeune homme. Déjà, le streak ne payait pas : l'amende infligée à O'Brien correspondait exactement au montant du pari qu'il avait gagné en courant nu sur la pelouse. Cette photo a été primée, choisie comme "photo de la décennie" par le magazine People, et même refaite à la sauce Lego. Le casque du policier est, lui, exposé au musée du stade.

La machine infernale est lancée : le premier streak féminin topless a lieu en 1982, toujours à Twickenham, et depuis c'est devenu monnaie courante au point que les chaînes de télévision européennes ont reçu pour consigne de ne plus les filmer pour arrêter cette mode.. qui dure depuis bientôt quarante ans. 

Streaker n'est pas jouer

Qu'est-ce qui motive les streakers? Pour O'Brien, c'était un pari, pour Emma Roe, la première "streakeuse", "quelques bières". Les choses se sont compliquées depuis les années 1990. Si, pour la plupart des streakers, les motivations restent assez terre à terre, la publicité s'est invitée dans cette coutume bon enfant.

Une actrice porno a ainsi été embauchée par un site de casino en ligne pour faire irruption sur un green de golf, avec l'adresse du site écrite sur sa poitrine. C'était en 2003, et c'est passé à la télévision nationale américaine. Le site ne s'est pas arrêté là. Il a payé de nombreux streakers pour interrompre soit une compétition de curling, avec un poulet en guise de cache-sexe, ou pour se jeter dans la piscine d'une compétition de natation synchronisée avec un tutu. Dans tous les cas, avec le nom du casino écrit sur la poitrine, le dos, et sur les fesses. Le site se faisait mousser un maximum pour des événements qu'il ne sponsorisait pas en propre : dans le jargon, ça s'appelle de l'ambush marketing

Il y en a pour qui c'est un métier. Le plus connu en ce moment est l'Espagnol "Jimmy Jump", qu'on a notamment vu à Roland-Garros faire une frousse bleue à Federer en 2009. Au palmarès de cet ancien agent immobilier, il a failli voler la Coupe du monde en 2010, et a même "streaké" pendant un Grand Prix de Formule 1, à Barcelone en 2004. Jimmy Jump survit, malgré les amendes (l'addition s'élèverait à 200 000 euros, d'après une interview accordée au site belge Guido) en vendant des produits dérivés. Son bonnet "édition 2010" se négocie 100 euros sur sa boutique officielle

Mais le streaking est aussi un moyen de contestation politique. Pour protester contre les pratiques peu éthiques d'une marque ou contester la hausse des droits de scolarité des universités britanniques, se peindre le corps est assez efficace. 

Un streaker anglais court sur le terrain d'un match de rugby entre Oxford et Cambridge, à Twickenham, le 9 décembre 2010.  (MARK THOMPSON / GETTY IMAGES)

Surenchère entre streakers

Désormais, il ne suffit plus de courir nu pour attirer l'attention. ll faut faire quelque chose en plus, comme l'homme qui s'est menotté à un des poteaux du but d'Everton. En Allemagne, cet été, un supporter particulièrement adroit a effectué un triple salto avec une casquette sur la tête pour protéger sa dignité. La vidéo a fait le tour du monde.  

L'autre type de vidéo qui marche bien, c'est quand le streaker se fait attraper... par n'importe qui sauf les stadiers. Ce qui arrive de plus en plus souvent.  

Où s'arrêtera la surenchère ? Les autorités commencent à prendre le problème à bras le corps. Jusqu'à présent, on n'infligeait que des pénalités mineures aux streakers, une faible amende et une nuit au poste. Plus maintenant. Le comité d'organisation des JO de Londres a annoncé que l'amende infligée à chaque "nu-vite", comme on dit au Québec, sera de 24 000 euros. Que ce soit sur un terrain ou devant Big Ben.

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