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Sportifs, est-ce le bon moment pour faire son coming out ?

Barack Obama a décroché son téléphone pour saluer le premier joueur de NBA à avoir parlé de son homosexualité. A quand la même chose en France ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Détail d'une campagne de sensibilisation contre l'homophobie au Québec, lancée en 2003. (RUIZ / SIPA)

"2013 est mieux choisi que 2003 pour faire son coming out." Le basketteur Jason Collins, dans son témoignage publié lundi 29 avril par le magazine américain Sports Illustrated (en anglais), pense que le temps est venu pour les sportifs homosexuels de ne plus se cacher. Le lendemain, une étude diligentée par le Paris Foot Gay et Randstad montre que 41% des joueurs de foot professionnels sont "hostiles" à l'homosexualité. Alors, le temps du coming out normal est-il arrivé ? Pas sûr.

Les sportifs n'ont pas beaucoup changé

"Dans le foot, on ne peut pas dire qu'on est homo. L'homophobie est partout. Dix fois par jour, j'entends 'on n'est pas des pédés'." Ce témoignage anonyme d'une vedette de Ligue 1, recueilli par les journalistes Bruno Godard et Jérôme Jessel dans le livre Sexe Football Club, est toujours d'actualité. Pour preuve, le témoignage de Vikash Dhorasoo, ancien international et parrain du Paris Foot Gay, qui explique à francetv info : "Quand je suis devenu parrain du Paris Foot Gay, je jouais encore au PSG. Et personne dans les vestiaires ne m'a regardé de travers. Au contraire, tout le monde m'a encouragé. Après, si j'avais été homo, je ne suis pas sûr que j'aurais soutenu aussi ouvertement le Paris Foot Gay, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Dans ce milieu, tu peux encore perdre ta carrière pour ça."

L'éducation reste un problème

Le plus frappant dans l'étude du Paris Foot Gay, c'est que la moitié des membres des centres de formation sont homophobes. Ce qui fait sortir de ses gonds Olivier Rouyer, ancien joueur de Nancy et de Strasbourg qui a fait son coming out après la fin de sa carrière. "En France, les mentalités ont beaucoup de mal à évoluer, notamment chez les jeunes, explique-t-il à francetv info. On est en 2013, non ? Il faut donner des instruments pédagogiques aux entraîneurs pour aider les jeunes à évoluer. L'ancien président de la FFF, Jean-Pierre Escalettes, avait refusé de signer la charte contre l'homophobie au prétexte qu''on fait plus de tort que de bien en essayant d'en parler'. A force de jouer l'autruche, on prend du retard."

Une impression nuancée par Philippe Liotard, sociologue qui a dirigé le numéro Sport et homosexualité de la revue Quasimodo, contacté par francetv info : "l'étude confirme ce qu'on pressentait. Mais aurait-on eu des résultats très différents dans un centre de formation de rugby, de handball, ou même dans une formation aux métiers du bâtiment ? A chaque fois, ce sont des milieux où les hommes se retrouvent entre eux, et où ils construisent leur masculinité en repoussant des contre-modèles, comme la figure de l'homosexuel."

Les clichés sont figés

Le coming out de Jason Collins, joueur moyen de NBA, a fait réagir jusqu'à Barack Obama, quand la même démarche venue de la meilleure joueuse américaine Brittney Griner a entraîné ce titre du New York Times (en anglais) : "La star féminine révèle son homosexualité, le monde du sport hausse les épaules." Dans l'article, Patrick Burke, de l'association pro-sportifs gays You can play, explique : "Dans le sport, il y a deux types de clichés : il n'y a pas de sportif gay et toutes les sportives sont lesbiennes." De fait, le nombre de sportives de premier plan à être sorties du placard, comme sur cette liste de BuzzFeed (en anglais), est considérable, alors que leurs homologues masculins se comptent sur les doigts d'une main.

Deux joueuses de football s'embrassent avant le coup d'envoi d'un match, ce qui était la coutume dans les années 1910-1920. (© GETTY IMAGES)

L'entourage des sportifs évolue lentement

Savez-vous quelle a été la première réaction de l'agent de Jason Collins ? Il lui a conseillé de trouver un club avant de sortir du placard. Collins a répondu : "Ma carrière sportive est importante, mais le temps est venu de vivre ma vie", rapporte Time.com (en anglais).

Il y a trente ans, quand la joueuse de tennis Martina Navratilova a fait son coming out, on a parlé de "suicide commercial" tant on imaginait les sponsors et le public se détourner d'elle. Ce qui n'est pas arrivé. Dans un tweet, elle rend hommage au courage de Collins, qui ne dispose pas de l'aura qu'elle avait à l'époque. "Ce n'est vraiment pas facile de faire son coming out quand on est encore en activité. Ça ne devrait pas être un problème, mais ça l'est. C'est pour ça que beaucoup le font après la fin de leur carrière."

Les sponsors sont bienveillants… par intérêt

En même temps que Kobe Bryant et Bill Clinton, Nike a tenu à faire savoir qu'il continuait à soutenir Jason Collins. La marque à la virgule, qui a essuyé pas mal de crises avec les affaires Armstrong, Woods et Pistorius, a toujours eu une démarche forte envers les athlètes homosexuels. Elle a beaucoup médiatisé son soutien aux vedettes du basket féminin, Sheryl Swoopes hier, Brittney Griner aujourd'hui.

Philanthropie ? Pas tout à fait. Comme le résume un rien crûment à Bloomberg (en anglais) Mark Cuban, le patron de l'équipe des Dallas Mavericks, "un joueur gay est une mine d'or marketing". Pas étonnant qu'il ait proposé à Collins, qui arrive en fin de contrat, de signer avec son club. 

Le public n'est pas forcément plus tolérant

Le récit du coming out de John Amaechi, un basketteur britannique, dans le magazine FourFourTwo en janvier, n'est pas très encourageant : "Le jour précédant la sortie de mon livre Man in the Middle en 2007, je marchais dans l'aéroport de Los Angeles. Les gens grimpaient sur les escalators pour me payer un coup à boire, prendre une photo avec moi, me serrer la main. Une femme m'a mis son fils dans les bras pour faire une photo. Quelques jours plus tard, après la sortie du livre, je suis repassé par ce terminal. Cette fois, les gens dans les cafés me pointaient du doigt, un enfant m'a fixé, sans doute parce que je suis grand, mais sa mère l'a éloigné."

Que manque-t-il vraiment ? Pour que la France rattrape son retard sur les Etats-Unis, il faudrait un pionnier et un peu de bonne volonté, conclut le psychologue du sport Anthony Mette, auteur de l'étude, contacté par francetv info. "Le changement des mentalités peut arriver très vite. Demain, si le ministère et les fédérations prennent des mesures concrètes et, surtout, si un joueur de foot fait son coming out. Il faut toujours un symbole." Et un coup de fil de félicitations du président de la République, sûrement.

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