Foot : Vinicius Junior, ou comment le Real Madrid a parié 45 millions d'euros dans l'espoir de dégoter le "nouveau Neymar"
L'adversaire du PSG, mercredi, en Ligue des champions a battu le record mondial du transfert pour un mineur, qui n'a encore rien prouvé au haut niveau. Le symbole d'une stratégie sportive, marketing et, surtout, financière.
Quand il célèbre un but, il pointe du doigt son visage. Et sur son large sourire, on ne peut pas rater un appareil dentaire qui trahit son âge juvénile. Vinicius Junior n'a que 17 ans et, pourtant, le Real Madrid a posé l'été dernier 45 millions d'euros sur la table (plus des bonus aux contours flous qui pourraient faire grimper l'addition d'une quinzaine de millions supplémentaires) pour s'assurer ses services. Au moment où il a signé ce contrat mirobolant avec le club le plus titré en Ligue des champions, assurant l'avenir de sa famille pour plusieurs générations, il avait joué la bagatelle de dix minutes avec son club de Flamengo. Récit d'un drôle de deal symbole d'une stratégie sportive et économique agressive.
"J'espère qu'il va finir plus haut que Neymar"
Vinicius José Paixão de Oliveira Junior, de son nom complet, a vite manifesté des prédispositions pour le football. "Il évoluait un cran au-dessus de la moyenne", se souvient un de ses premiers entraîneurs, Cacau, de la Escuela de São Gonçalo. Il n'a que 10 ans quand il réussit le test d'entrée pour le centre de formation de Flamengo, l'un des meilleurs clubs de Rio. On lui accole vite l'étiquette de futur joyau. Surclassé, il éclabousse le terrain de son talent et de son sang-froid face au but. La légende veut que lors d'un match qu'il disputait avec les U11 du club (les moins de 11 ans) face aux U13, un adversaire lui a demandé un selfie et un autographe.
"Je ne sais vraiment pas jusqu'où ce gosse peut aller, encense dans le journal Globo Joao Batista, l'entraîneur qui l'a couvé à Niteroi, faubourg industriel de la capitale économique, jusqu'à son départ à Flamengo. On n'a jamais rien à lui reprocher. J'espère qu'il va finir encore plus haut que Neymar." Avec la "génération 2000" de Flamengo, Vinicius reste invaincu pendant près de trois ans, raflant tous les trophées possibles. Et à 13 ans, le club rival des Corinthians tente de débaucher la nouvelle star avec une offre "complètement irréelle pour un gosse de cet âge", reconnaît un dirigeant du club sur Yahoo Sport. Le début de la ruée.
Depuis une dizaine d'années, les grosses écuries européennes disposent d'un réseau de recrutement au Brésil, pépinière de bons joueurs. Après sa victoire à la Copa America des moins de 15 ans, Vinicius est déjà courtisé par six pointures du ballon rond : Liverpool, Chelsea, Arsenal, la Juventus, l'Inter Milan et Manchester City. Conscient de cet intérêt, le club, qui l'a marketé comme le nouveau Robinho, du nom du dribbleur fantasque – mais intermittent – du Real Madrid et du Milan AC, lui fait signer un premier contrat, comportant une clause libératoire de 30 millions d'euros. Clause que Liverpool est prêt à honorer. Mais les dirigeants de Flamengo jouent la montre. Ils attendent l'arrivée dans la danse des grosses écuries espagnoles.
Opération séduction et gros chèque
Qu'un jeune Brésilien soit vendu très jeune à un club européen n'a en soi rien de nouveau. Ronaldo a bien débarqué à 17 ans au PSV Eindhoven à l'été 1994 contre 500 000 euros. Ce qui a changé en revanche, c'est le nombre de zéros sur le chèque. Philippe Coutinho, récemment devenu le troisième transfert le plus cher de l'histoire, a été vendu, en 2008, quatre millions à l'Inter Milan quand il avait à peine 16 ans. L'espoir Gabriel Jesus ? Vendu à Manchester City contre 32 millions d'euros en 2017. Et donc notre fameux "nouveau Neymar", 45 millions d'euros à l'été 2017, record mondial pour un mineur, qui n'avait joué qu'un bout de match avec les pros. Quelques jours après avoir signé un nouveau contrat augmentant sa clause libératoire. Et après que le club a appâté le Barça et le Real dans la course au prodige.
Comme d'habitude, le Barça a payé deux millions d'euros afin d'avoir la priorité sur le devenir du joueur, comme ils le font pour toutes les jeunes pousses brésiliennes, à l'image de Marlon, actuellement prêté à Nice. Concrètement, le club catalan est informé de toutes les offres visant un joueur et a la possibilité de s'aligner. Les dirigeants barcelonais ont aussi travaillé au corps la famille pour la pousser à privilégier l'option blaugrana, et ont proposé à Vinicius le même salaire que Neymar à son arrivée (soit sept millions d'euros annuels tout de même). L'opération séduction du Real a consisté à l'inviter pendant les fêtes, à l'installer en tribune pour un Clasico au stade Santiago-Bernabeu, et à jouer la carte du club, en surenchérissant sur l'offre du Barça.
Vinicius choisit le club catalan quand il joue à la Playstation, mais cette fois, il a privilégié le Real, tablant sur le fait qu'il serait plus facile de s'y faire une place en remplacement d'une attaque vieillissante. Cristiano Ronaldo a 32 ans, Karim Benzema 31 ans... "Vous savez le pire dans tout ça ? Si ça n'avait tenu qu'à Vinicius, il serait resté à Flamengo, confie un des intermédiaires de la transaction, sous couvert d'anonymat, à Globe Esporte. Il aime jouer à Flamengo, il voulait marquer l'histoire avec son club de cœur. Je sais que ça sonne faux, mais c'est la stricte vérité."
"Il n'est morphologiquement pas prêt pour débuter un match"
Que valent les intérêts d'un joueur quand le business plan du Real Madrid est en jeu ? Des bons joueurs, il y en a partout, et le Real a les moyens de se les offrir. Mais des "nouveaux Neymar", comme l'a relayé El Confidencial ou AS à l'annonce du transfert, ça ne court pas les rues. Devancé par le Barça pour la signature de Neymar, le vrai, grillé sur le fil par Manchester City dans la vente de Gabriel Jesus, le club merengue devait marquer les esprits. En 2014, un an après l'arrivée de Neymar au Barça, le nouveau patron de la cellule sud-américaine de recrutement inonde les agents de messages WhatsApp leur demandant "des attaquants brésiliens entre 19 et 22 ans".
Le club recrute à tout va toutes les jeunes pousses affichant passeport auriverde. Avec quelques réussites, comme Casemiro, qui s'est imposé au milieu de terrain de l'équipe de Zidane. Et beaucoup d'échecs, comme Lucas Silva, fantômatique milieu de terrain que le Real a un temps fourgué à l'OM. "Le recrutement d'un grand nom brésilien est sur l'agenda du Real depuis quelques temps, car cela donnerait un coup d'accélérateur à la pénétration du marché brésilien par le club", écrit Marca.
Début janvier, le joueur annonçait son espoir de rester un an de plus à Flamengo avant de se jeter dans le grand bain du foot européen. "Il n'est morphologiquement pas prêt pour débuter un match", expliquait l'ancien coach de l'équipe première de Flamengo, Zé Ricardo, qui le cantonnait sur le banc. Les grands noms du foot brésilien le qualifient de "talent dormant" ou "d'espoir", comme pour ouvrir le parapluie après une première saison en demi-teinte. La carrière du joueur ne sera plus jamais comme avant, et il en fait déjà l'amère expérience, comme il l'explique au magazine Lance ! : "Je ne peux même plus sortir dans la rue ou aller faire les courses avec mon frère comme avant. Bien sûr que ça a tout changé."
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