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Nuque longue, doigts d'honneur et charcuterie... Emil Kostadinov, le Bulgare qui ne brillait que contre les Français

Auteur du but qui a envoyé son pays au Mondial 1994, au grand dam des Bleus de David Ginola, le footballeur bulgare a longtemps été surnommé le "tueur de coqs". Retour sur son parcours, à l'occasion de Bulgarie-France.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'attaquant bulgare Emil Kostadinov lors de l'Euro 1996, en Angleterre. (PROFESSIONAL SPORT/SIPA / SIPA)

"Dieu est bulgare !" Dans la cabine de commentateurs du Parc des Princes, Nikolay Kolev exulte. Un but inscrit à dix secondes de la fin du temps règlementaire offre la victoire à la Bulgarie face à la France, par une froide soirée de novembre 1993, dans le dernier match de poule de qualification pour le Mondial 1994 aux Etats-Unis. Une contre-attaque fulgurante, trois passes pour traverser le terrain, un contrôle du genou et un tir qui file sous la barre de Bernard Lama. Emil Kostadinov ne le sait pas encore, mais il vient d'entrer dans la légende noire du foot français. Vingt-trois ans après, la simple évocation de son nom provoque un frisson chez l'amateur de foot qui était devant son poste ce soir-là. Pas de chance, samedi 7 octobre, l'équipe de France se déplace en Bulgarie dans le cadre des qualifications du Mondial 2018. L'occasion de découvrir ce qu'a fait l'ami Emil en dehors de ce but assassin.

Un doigt d'honneur à ses supporters

Emil Kostadinov fait ses classes dans la Bulgarie communiste des années 1980. Il appartient au club de l'armée, le CSKA Sofia, touche un salaire ridicule comparé à ce qui se fait à l'Ouest (quelques centaines d'euros par mois) et a le regard vide sur la photo officielle de l'équipe, prise sous la neige. 

Le football bulgare connaît son apogée, quand le CSKA asticote le FC Barcelone en demi-finale de la Coupe d'Europe des vainqueurs de coupes en 1989. Mais l'effondrement du bloc de l'Est emporte dans sa chute le championnat bulgare, dont les meilleurs talents partent se vendre ailleurs. "Vous allez être surpris, mais la plupart des fans n'aimaient pas Kostadinov, raconte à franceinfo le journaliste bulgare Teodor Borisov. Il se faisait régulièrement siffler, parce qu'il manquait de grosses occasions. Deux fois dans sa carrière, il a fêté ses buts en brandissant son majeur bien haut. En 1989, avec le CSKA contre le Sparta Prague, et en 1995, contre l'Albanie, à chaque fois à Sofia."

En 1990, Kostadinov et sa nuque longue s'exilent dans le nord du Portugal faire le bonheur du FC Porto. L'avant-centre y gagnera un palmarès – des championnats et des coupes nationales –, une réputation de renard des surfaces et un diminutif, "Costa" (prononcez "Kochta"), qui le suit encore aujourd'hui. Son autre surnom, "le tueur de coqs", a un peu pris la poussière. Sauf en France. Et dire qu'il n'aurait jamais dû jouer ce match...

L'impossible visa et la prime de 50 000 dollars

Car sa demande de visa traîne au consulat de France. Les autorités de la fédération bulgare ne brillent pas par leur réactivité et ne lèvent pas le petit doigt. Trois jours avant le match, Kostadinov et son ami Luboslav Penev, qui joue à Valence et dont le passeport s'est aussi perdu dans les méandres administratifs, prennent les choses en main. Les deux joueurs entrent en France illégallement, sans visa, à l'arrière d'une voiture conduite par Georgi Georgiev, le gardien bulgare de Mulhouse, "dans une zone frontalière mal contrôlée", se souvient l'avant-centre. "On est passés entre les gouttes."

Avec des "si", la France serait allée au Mondial 1994, Gérard Houiller n'aurait pas été remplacé par Aimé Jacquet et la carrière internationale de David Ginola aurait pris une autre dimension. Mais la soirée qui avait commencé avec L'Amérique de Jo Dassin dans les haut-parleurs du Parc des Princes tourne au cauchemar, sauf pour les Bulgares... qui n'avaient rien prévu de particulier pour fêter leur succès. "J'ai le souvenir d'une petite fête, rien de plus, car nous rejouions dans nos clubs trois jours plus tard", raconte Kostadinov. Reste quand même la prime de match, quintuplée pour atteindre 50 000 dollars, et la rencontre avec l'attaquant brésilien Romario, officiellement en convalescence à Paris, dans une boîte de nuit de la capitale. 

L'avant-centre de l'équipe de Bulgarie Emil Kostadinov, lors du match de qualification au Mondial 1994 contre la France, au Parc des Princes, le 17 novembre 1993. (PASCAL GUYOT / AFP)

Le vrai-faux attentat du Mondial 1998

Kostadinov ne le sait pas encore, mais il vient d'atteindre le sommet de sa carrière. En club, il enchaîne les expériences ratées. Un an à La Corogne, où il affirme en couverture du magazine Don Balon qu'il vient "chercher le titre" et où, dans les faits, il cire le banc. Deux ans au Bayern, qui lui valent de figurer au hall of fame des flops du club bavarois pour le magazine 11 Freunde (en allemand). Le seul match où il brille, c'est en finale de Coupe UEFA 1996 contre... Bordeaux, où il envoie Lizarazu au tapis et marque un des buts. Le "tueur de coqs" a encore frappé. De fait, chacun de ses transferts, même dans des clubs improbables au fur et à mesure que sa carrière se délite (départ surprise pour les Tigres de Monterrey, une pige à Mayence en D2 allemande), fera l'objet d'une couverture de la presse française (exemple avec Libérationici, ici et ici) jusqu'en 2001. Le traumatisme est encore vif. 

Gloria Gaynor et les "Zizou président" projetés sur l'Arc de triomphe vous l'ont fait oublier, mais lors du tirage au sort du Mondial 1998, il existait une vraie possibilité d'un remake France-Bulgarie en huitième de finale. Coïncidence ? L'hôtel de la sélection bulgare est mystérieusement incendié avant la compétition. Les policiers excluent rapidement la piste terroriste... pour orienter l'enquête vers des supporters tricolores rancuniers qui auraient voulu régler leurs comptes avec leurs bourreaux de 1993, raconte Le Parisien.

Le retour de Kostadinov dans l'Hexagone est salué par une bordée de sifflets à Montpellier, à Lens... et au Parc des Princes, où le public prend fait et causes pour le Nigeria, qui s'impose 1-0. Pour autant, Emil Kostadinov n'en veut pas au public français. "Les gens me reconnaissent dans la rue, mais je n'ai jamais reçu aucune insulte, ni même de reproche, confie-t-il au magazine Blitz (en bulgare). Au contraire. Vous savez ce qu'ils me disent ? 'Vous avez fait du bien à l'équipe de France. On vous en sera toujours reconnaissant !'" Selon la légende, Kostadinov a même donné deux prénoms français à ses filles, Irène et Catherine, en souvenir de cette belle soirée de novembre.

Son fantôme rode toujours en France

L'avant-centre raccroche les crampons au changement de siècle, et ce qui reste de la génération dorée du foot bulgare avec lui. "Il est une figure respectée en Bulgarie aujourd'hui, estime Teodor Borisov. Mais il ne déchaîne pas les passions comme Hristo Stoïchkov, un joueur génial et terriblement agaçant, qui ne laisse personne indifférent." Lors du Mondial 1994, heure de gloire du football bulgare qui se hisse dans le dernier carré, c'est Stoïchkov qui crève l'écran en marquant six buts. Kostadinov, pourtant à la pointe de l'attaque, reste muet. A la fin de leur carrière en équipe nationale, ces deux-là passaient plus de temps à s'enguirlander sur le terrain qu'à se faire des passes. Et en février, c'est le jubilé des 50 ans de Stoïchkov qui a rassemblé le gratin du football mondial (dont Jean-Pierre Papin, Roberto Baggio ou Diego Maradona), avec Kostadinov comme faire-valoir.

S'en suit une décennie dans l'organigramme du CSKA Sofia – trois licenciements, trois retours – sans parvenir à enrayer le déclin du club. Il occupe aujourd'hui le poste de directeur techniques des équipes nationales de jeunes dans un pays qui a perdu une grande partie de son savoir-faire en matière de formation avec la chute du régime communiste. "Certains disent qu'il fait du mauvais boulot, poursuit Teodor Borisov, comme son grand ami Luboslav Penev." Lequel a accompagné Kostadinov dans tous ses investissements douteux, dans des domaines aussi disparates que le tennis, les boîtes de nuit et la charcuterie.

Le souvenir des Français s'est figé sur ce soir de novembre 1993. Et pour longtemps encore. Lors de l'élimination du PSG face à Chelsea, en quart de finale de la Ligue des champions en 2014, un supporter des Blues avait brandi un maillot floqué Kostadinov sous le nez de Laurent Blanc, alors entraîneur parisien. Gérard Houillier, sélectionneur des Bleus à l'époque, a même prédit que le jour de sa mort, "le but de Kostadinov tournera en boucle sur les chaînes d'info en continu".

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