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Enquête Audit de la FFF : ce que les inspecteurs retiennent contre Noël Le Graët

Alors que le rapport d’audit sur la FFF doit être rendu en milieu de semaine prochaine à la ministre des Sports, la cellule investigation de Radio France a pu consulter dans le détail ce qui est reproché à Noël Le Graët.
Radio France
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Noël Le Graët, le président de la FFF a été récemment mis à l’écart de ses fonctions en attendant la publication d’un audit (MATHIEU PATTIER / OUEST-FRANCE / MAXPPP)

C’est un rapport très attendu, qui scellera sans doute le sort de Noël Le Graët. Mercredi 15 février, les trois inspecteurs de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), en charge de l’audit de la Fédération française de football (FFF), doivent rendre leurs conclusions définitives à la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra.

La version provisoire de ce rapport a déjà fuité dans la presse, mais elle était expurgée des faits précis reprochés à Noël Le Graët, mis en retrait de ses fonctions de patron de la FFF le 11 janvier dernier. Selon nos informations, depuis le début de la mission en octobre 2022, les inspecteurs ont auditionné 103 personnes, notamment des salariés et ex-salariés de la FFF. Et ils ont retenu les faits présumés suivants :

  • Des SMS indiquant par exemple "bonne soirée sans moi !!!!!"
  • Une demande explicite à une jeune femme de se mettre en jupe pour voyager.
  • Une caresse réitérée de la cuisse d’une jeune femme au cours d’un voyage alors qu’il lui était demandé d’arrêter.
  • L'envoi de deux messages vocaux successifs d’invitation, le second précisant :"J’en suis à ma troisième bouteille (…) ; je vous attends pour la quatrième".
  • La proposition explicite "d’un plan à trois" lors d’un dîner entouré de deux collaboratrices.
  • L'invitation d’une jeune femme à son domicile pour échanger sur des projets en laissant croire qu’une troisième personne était conviée alors qu’il avait sciemment organisé un tête-à-tête.

Des faits pas "jolis jolis"

Les femmes qui ont témoigné auprès de la mission d’audit avaient déjà, pour la plupart, livré leur témoignage à la presse sous couvert d’anonymat. La cellule investigation de Radio France les avaient notamment rencontrées et fait part de leurs vécus en octobre dernier. "Témoigner devant les inspecteurs, c’est aller plus loin, pour que les choses changent", nous avait confié l’une d’elles après son audition, estimant que la FFF était un repère de "vieux messieurs". "À l’État de prendre le relais", nous avait dit une autre, jugeant que Noël Le Graët avait "des pratiques d’un autre temps". Un ancien cadre de la FFF estime quant à lui que les faits qui sont décrits ne sont pas "jolis jolis". Mais il considère qu’"il n’y a pas de quoi aller au pénal".

Au siège de la FFF le 11/01/23, des journalistes attendent de nouvelles déclarations de la fédération concernant Noël Le Graët. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS)

Ce sera à la justice de trancher, le parquet de Paris ayant ouvert une enquête le 16 janvier dernier contre le patron de la FFF pour "harcèlement moral et sexuel", à la suite du signalement émis par l’IGESR. En attendant, les avocats de Noël Le Graët, qui ont reçu le rapport provisoire le 30 janvier, ont jusqu’à lundi pour faire part aux inspecteurs de leurs observations. Ils ont d’ores et déjà dénoncé dans un communiqué "un rapport aux allures de réquisitoire". "La virulence des mots employés à l’égard de Monsieur Le Graët est surprenante au regard de la vacuité de sa base factuelle, qui repose sur des éléments et témoignages tronqués et anonymes", écrivent Maîtres Florence Bourg et Thierry Marembert.

"La caractère répétitif” des agissements

Il est vrai que les inspecteurs n’y sont pas allés de main morte. Selon nos informations, dans la version non expurgée du rapport dont nous avons eu connaissance, ils relèvent "le caractère répétitif des agissements de Noël Le Graët". Ils ajoutent : "Ces agissements ont pu porter atteinte à la dignité des victimes par des propos vulgaires en particulier lorsque M. Le Graët montre des signes tangibles qu’il se trouve sous l’emprise de l’alcool." Les inspecteurs notent que les salariées avaient "une formule codée" pour savoir si Noël Le Graët était alcoolisé, qui consistait à demander : "Le Président a-t-il eu un déjeuner ?". Et ils précisent qu'"en état d’ébriété, les propos injurieux de M. Le Graët peuvent concerner tout autant les hommes que les femmes".

Les auteurs du rapport accusent également le président de la FFF d’avoir "une stratégie totalement réfléchie". "La mission constate en effet un faible nombre d’écrits (SMS notamment) produits par M. Le Graët, utilisant des formulations ambiguës pouvant recevoir différentes interprétations et un vocabulaire ne comportant aucun terme à caractère sexuel, mais dont les horaires d’envoi, le caractère répétitif et la nature des destinataires ont retenu l’attention de la mission."

Des manifestants demandent la démission de Noël Le Graët, devant le siège de la FFF avant une réunion extraordinaire du comité exécutif à Paris, le 11 janvier 2023. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / EPA)

La mission s’offusque également qu’après la première audition du patron de la FFF le 13 octobre 2022, "M. Le Graët a continué à lancer des invitations à une joueuse internationale, membre de l’équipe de France de Football, comme si l’enquête en cours ne modifiait en rien une pratique courante". En conclusion du chapitre concernant le président de la FFF mis en retrait, la mission écrit que ce dernier "compte tenu de son comportement envers les femmes, ses déclarations publiques et les défaillances de la gouvernance de la FFF, (il) ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour administrer et représenter le football français".

L’ex-directrice également mise en cause

Plus globalement, au-delà de la seule personne de M. Le Graët, la mission estime qu’il régnait au sein de la FFF une ambiance "violente” et "sexiste”. La directrice générale de la FFF, Florence Hardouin, avec qui Noël Le Graët entretient des relations notoirement exécrables, n’est pas exempte de tout reproche, affirment les auteurs du rapport. "La passivité de la directrice générale (…) a marqué les personnes présentes à l’époque”, écrivent-ils. "Certains directeurs évoquent même une forme de complicité de la directrice générale avec les auteurs de paroles sexistes ou violentes". Épinglée également pour son "autoritarisme déplacé", Florence Hardouin a été mise à pied à titre conservatoire par le comité exécutif de la FFF le 11 janvier dernier et a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 21 février.

Le rapport d’audit sera remis en milieu de semaine prochaine à la ministre des Sports. Que va-t-il se passer ensuite ? Le comité exécutif en étudiera le contenu et adoptera une position commune lors d’une séance extraordinaire. Ce sera alors l’heure de vérité.

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