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Ne m'appelez plus jamais (Petit Poucet de la Coupe de) France

Le Gazélec d'Ajaccio contre Lyon mardi, Quevilly contre Rennes mercredi, n'y échappent pas. Qu'ont donc fait les petites équipes qui vont loin dans cette compétition pour mériter ce surnom ridicule ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La joie des joueurs de Quevilly après leur victoire sur l'Olympique de Marseille, le 20 mars 2012, en Coupe de France. (JEAN YVES DESFOUX / TEAMSHOOT)

"Le Petit Poucet" est un sport qui se joue à onze amateurs contre onze professionnels, et à la fin, c'est parfois le gamin du conte de Charles Perrault qui met au tapis le grand méchant loup. Ce marronnier médiatique commence en janvier, quand les clubs de foot de L1 entrent en lice en 32es de finale de la Coupe de France, et parfois se prolonge jusqu'à la fin du printemps. C'est le cas cette année avec la présence de deux clubs amateurs en demi-finale : le Gazélec d'Ajaccio, qui reçoit Lyon mardi 10 avril, et Quevilly qui défie Rennes mercredi. 

La France en survêt Kipsta

Le site spécialisé Les3points.com chante ce refrain mille fois entendu : "Tous les ans, le processus est le même. Un club pro, sûr de sa force, se déplace début janvier sur un terrain gelé, dans un coin paumé de la France profonde. Les pros se font bouger pendant une heure et demie, ne parviennent pas à poser leur jeu et finissent par se rétamer. La presse sportive se déchaîne alors pour encenser le triomphe de gentils amateurs face aux méchants pros. Vieille tradition intellectuelle française qui veut diviser sa population en tranches caricaturales. La France d'en haut et celle d'en bas. La France qui frime dans des survêtements de marque et celle qui se lève tôt en sweat Kipsta."

Pourquoi "Petit Poucet" d'abord ? Rappel : le Petit Poucet, le moins grand fils de la famille, est un enfant abandonné par ses parents, qui retrouve sa maison grâce à des petits cailloux, avant d'être ré-abandonné par ses parents et finalement atterrir après moult péripéties dans la maison d'un ogre. Un ogre qui décide de dévorer le Petit Poucet et ses frères, mais qui échoue lamentablement grâce à la ruse du garçonnet. Bref, on cherche encore le rapport avec la Coupe de France. 

On qualifie aussi ces équipes de "Cendrillon", ce qui est déjà plus pertinent. A l'instar de ces clubs amateurs, la pauvre fille se retrouve un soir invitée à un bal princier. La métaphore biblique - qui sent elle aussi la naphtaline - David contre Goliath aurait plus de sens. Mais rien à faire : c'est le Petit Poucet qui s'est imposé.

"Chèvre de monsieur Seguin" plutôt que "Petit Poucet"

La métaphore date de l'après-deuxième guerre mondiale... soit après que les premiers Petits Poucets ont réussi les premières épopées dans l'épreuve : Quevilly (déjà !) en 1927, Le Vésinet en 1946, puis El Biar, modeste club algérien qui sort le grand Stade de Reims en 1957 alors que les Champenois régnaient sans partage sur le foot français. C'est quelque part dans les décennies 40 et 50 qu'apparaît le terme "Petit Poucet" sous la plume d'un journaliste. L'expression a fait florès, pas son auteur. "Dans l'entre-deux guerres, les structures du foot n'étaient pas celles qu'on connaît maintenant. Le professionnalisme n'est adopté que dans les années 30. Les médias utilisaient des expressions accrocheuses pour les lecteurs, mais pas ce terme précis de 'Petit Poucet'", explique Hubert Beaudet, auteur de La Coupe de France, ses vainqueurs, ses surprises

A l'époque, les contes ont la cote, raconte Paul Dietschy, historien, auteur d'une Histoire du football. "Dans l'entre-deux-guerres, on utilisait d'autres exemples, comme La Chèvre de monsieur Seguin, qui résiste au loup avant d'être mangée."

Egalitarisme 1 - gros salaires 0

Petit Poucet, chèvre ou Cendrillon, le cliché du petit-qui-fait-la-nique-au-gros a la vie dure et a généré une forme de marronnier journalistique. D'après Hubert Beaudet, le traitement médiatique des "Petits Poucets" date de l'arrivée de la télévision, avec l'immuable reportage sur le-gardien-de-but-qui-est-aussi-boulanger-dans-le-civil : "Avant, la presse régionale seule décrivait le quotidien des petits clubs amateurs. C'est la télévision qui a développé ce traitement sur le foot amateur. Et ce traitement perdure, bien que nombre de clubs amateurs d'aujourd'hui adoptent une préparation proche des clubs professionnels." Comme Quevilly et le Gazélec d'Ajaccio, en National, la troisième division, où l'on trouve de plus en plus de "faux" professionnels, comme le note le site d'Eurosport.

L'épopée de Calais en Coupe de France en 2000 vue par la presse locale. (DENIS CHARLET / AFP)

Mais le mythe du Petit Poucet a la vie dure. Sa résistance est à chercher dans les racines mêmes de la Coupe de France, raconte Paul Dietschy. "Dans les années 30, la Coupe de France, c'est toujours la fête nationale du foot, la fête du 'consensus républicain' où s'affrontent des équipes d'ouvriers, de bourgeois, des clubs confessionnels. C'est la célébration des footballeurs ouvriers qui aiment le travail bien fait, les 'petites patries' de France dont on ne parle jamais, ça permet de montrer cette autre France. Encore aujourd'hui, on retrouve dans la Coupe de France cette notion d'égalitarisme qui travaille la société française : chacun a sa chance sur un match." 

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