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Covid-19 : Le marché des transferts en forte déflation, conséquence de la crise sanitaire

En augmentation quasi-constante depuis dix ans, le mercato estival a été lourdement frappé par la crise sanitaire. Les opérations de transferts payants se sont raréfiées sur un marché où les prêts de joueurs se sont multipliés. Les sommes versées tout au long de l’été par les clubs n'ont que légèrement dépassé la moitié de celles déboursées la saison dernière. Le signe d’un marché en déflation qui pourrait perdurer dans le temps.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Kai Havertz, plus grosse recrue du mercato estival, qui a signé à Chelsea pour 80 millions d'euros (GLYN KIRK / POOL)

Chaque année, la dernière journée du marché des transferts se déroule de la même manière : chaque club se presse afin de réaliser des opérations de dernière minute pour boucler son effectif, en essayant d’éviter à tout prix le "panic buy", cet achat compulsif de joueur qui se révélera par la suite être un échec cuisant. Cette saison, le marché des transferts, qui s’est clôturé hier soir, n’a pas dérogé à la règle.

À travers l’Europe, les clubs ont multiplié les mouvements de joueurs : Danilo Pereira et Moise Kean ont rejoint le Paris Saint-Germain, Douglas Costa a fait son retour au Bayern Munich, Federico Chiesa s’est engagé avec la Juventus, Mattéo Guendouzi va découvrir l’Allemagne avec le Hertha Berlin et Tiémoué Bakayoko a signé à Naples. Le point commun de ces transferts ? Tous ont été réalisés sous forme de prêts, avec option d’achat ou non. L'augmentation significative de ce type de session de joueurs est l’une des conséquences de la crise économique qui frappe les clubs depuis plusieurs mois.

Les prêts, nouvelle mode de l'été 2020

"Les clubs ont d’énormes problèmes de trésorerie, et avec les prêts, ils peuvent ne pas toucher à cette trésorerie. Ça leur permet de se libérer de tout ou d'une partie du salaire d’un joueur dont ils n’ont pas besoin", explique Jean-François Brocard, économiste du sport au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges. Une analyse partagée par son collègue Christophe Lepetit, responsable des études économiques au CDES : "Les prêts, c’est la seule manière, dans un marché atone, de créer du mouvement. Car les clubs ont besoin de ces mouvements de joueurs. C’est donc un marché de raison qui s’est installé avec plus de prêts que de transferts payants."

Généralement, les prêts permettent aux équipes moyennes d’obtenir des joueurs pour compléter leur effectif. Cette année, les plus grands clubs y ont également eu recours face aux difficultés économiques engendrées par l’épidémie de Covid-19. Par conséquent, le marché des transferts cette année a été marqué par une baisse importante des transferts payants. "La déflation du marché des transferts n’est pas une surprise dans ce contexte qui a affaibli les puissances financières du football mondial et surtout européen. Les principaux acheteurs de joueurs sont très affaiblis comme les clubs de Premier League qui sont très touchés par la crise", souffle Christophe Lepetit.

Déjà minoritaires - ils ne représentaient jusque-là que 20% des mouvements de joueurs - les transferts payants ont donc fortement baissé cet été. Selon les données relevées par l’Observatoire du football (CIES), les clubs du Big Five (Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Italie) avaient dépensé 5,8 milliards d’euros à l’été 2019. Un chiffre qui augmente quasiment chaque année depuis 2010 : il y a dix ans, ils dépensaient "seulement" 1,3 milliard d’euros. En cette année 2020, la baisse a été considérable.

73% de dépenses en moins en Liga

Selon les premières données disponibles sur le site Transfermarkt, l’ensemble des clubs du Big Five ont dépensé un peu plus de 3 milliards d’euros cet été, soit quasiment deux fois moins que la saison passée. Cela s’est notamment ressenti sur les dix plus gros transferts de l’été : ils représentaient une manne de près de 900 millions d’euros l’année dernière et n’ont atteint que 600 millions cette année, avec seulement deux transferts au-delà des 80 millions d’euros (Kai Havertz à Chelsea et Victor Osimhen à Naples - bonus compris -).

Victor Osimhen a été recruté par Naples cet été (FRANCO ROMANO / NURPHOTO)

"L’avenir s’inscrit en pointillé. On ne sait pas si les compétitions vont avoir lieu donc dépenser de l’argent sur un joueur, c’est un investissement qui ne pourrait pas être rentabilisé. Il était donc prévisible que les clubs soient frileux", explique Jean-François Brocard. Les plus frileux parmi les clubs du Big Five ont été les Espagnols. Deuxièmes plus gros acheteurs en 2019 (1,5 milliard), ils ont réduit leurs dépenses de 73% cet été (411 millions). Une baisse considérable qui s’explique notamment par le manque d’investissement du Real Madrid.

À titre de comparaison, cette baisse est de 65% en Bundesliga, 51% en Serie A, 48% en Ligue 1 et seulement 23% en Premier League. Dans le championnat anglais, l’hyperactivité de Chelsea - avec ses 247 millions d’euros dépensés - lors de ce mercato a notamment permis d’atténuer cet effet de crise. Mais le fait est que l’argent des clubs anglais, qui avaient dépensés 1,9 milliard d’euros à l’été 2019 - contre 1,28 milliards cette saison, n’a pas autant ruisselé dans les poches des autres clubs que d'habitude.

"Tous les voyants au rouge en Ligue 1"

La Ligue 1 étant le principal créancier de la Premier League, les clubs français ont été par conséquent moins dépensiers que les saisons précédentes face à la baisse d'investissement des Anglais. "La situation n’était pas du tout propice pour que les clubs français fassent des folies sur le marché des transferts. La Russie et la Turquie par exemple ont quasiment disparu alors que ce sont des pays qui permettaient à des clubs français avec du réseau de lâcher certains joueurs à des clubs qui payaient bien. Tous les voyants étaient donc au rouge", analyse Jean-François Brocard.

Alors que les clubs de Ligue 1 se reposent surtout sur la revente de joueurs pour faire rentrer de l’argent dans les caisses, Christophe Lepetit craint que "la situation actuelle ne perdure sur plusieurs mercatos et que ça pose des questions sur le modèle économique de certains championnats". En cas de baisse prolongée des investissements étrangers en France, la Ligue 1 et ses équipes pâtiraient fortement des conséquences de la crise économique actuelle.

Selon le directeur d’études au CDES, le contexte actuel doit faire réfléchir les dirigeants sur les fondements mêmes du mercato. "On a créé un monstre avec le marché des transferts. Ça peut être douloureux de se réinventer mais ça passe par une invention au niveau global. Il faudrait repenser la régulation du football mondial et la question des transferts internationaux", explique Christophe Lepetit. Profondément marqué par la crise sanitaire en 2020, le marché des transferts pourrait donc être amené à évoluer. Alors que la période de transferts hivernal est davantage un marché d'ajustement pour les clubs, il faudra attendre l'été prochain pour évaluer d'éventuelles conséquences à plus long terme.

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