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Match France-Espagne : qui est Julen Lopetegui, le discret sélectionneur de la Roja ?

Si vous n'avez pas suivi les sélections de jeunes espagnoles et l'actualité du FC Porto, vous n'avez probablement jamais entendu parler de lui. Et pourtant.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le sélectionneur de l'équipe d'Espagne, Julen Lopetegui, lors d'un match à Shkodër (Albanie), le 9 octobre 2016. (GIUSEPPE BELLINI / UEFA)

Ne cherchez plus la moustache grise de Vicente del Bosque sur le banc espagnol, mardi 28 mars, lors du match amical contre les Bleus au Stade de France. C'est désormais Julen Lopetegui qui préside aux destinées de ce qui fut la meilleure équipe du monde entre 2008 et 2012, avec la difficile mission d'enrayer le déclin d'un collectif qui a tutoyé les sommets. Et si vous n'aviez jamais entendu parler du coach basque auparavant, pas de panique, c'est normal.

Arraché à une D2 anglaise

On avait laissé la sélection espagnole sur une note mitigée à l'Euro 2016. Usée, la sélection de Vicente del Bosque avait subi la science tactique des Italiens d'Antonio Conte dès les huitièmes de finale. Sur les rotules, le maître à jouer ibérique Andres Iniesta affichait vraiment ses 32 ans. La presse espagnole n'avait pas tardé à déterrer des histoires de parties de cartes à 7 000 euros (en espagnol) qui s'éternisaient tard dans la nuit pour fustiger la gestion sans poigne du "Marquis", le surnom de Del Bosque. 

Pourtant, le président de la fédération espagnole, le tout-puissant Angel Maria Villar, caressait le secret espoir de convaincre le technicien moustachu de rempiler. Ce qui avait marché en 2014 échoua en 2016, et Villar dut se mettre en quête d'un successeur. La tradition espagnole consiste à confier les rênes de la sélection à un coach expérimenté. Joaquin Caparros, passé par le FC Séville, le Deportivo La Corogne et l'Athletic Bilbao, constituait le meilleur choix sur le marché pour les observateurs, relate AS (en espagnol). Sûr de son fait, l'entraîneur refuse les offres de plusieurs clubs et commence sa campagne de séduction dans les médias.

Son omniprésence médiatique, directe ou indirecte – le capitaine de la Roja, Sergio Ramos, fait savoir qu'il verrait d'un bon œil cette nomination – finit par faire de l'ombre au tout-puissant Villar. Tout-puissant, car il a choisi seul les quatre derniers sélectionneurs, en violation flagrante des statuts de la fédération. Villar jette son dévolu sur Julen Lopetegui, qui passait son été à bûcher son anglais en peaufinant les détails de son arrivée à… Wolverhampton (en anglais), en D2 anglaise. 

"On va cogner"

Pourquoi Lopetegui ? Si sa discrétion parle pour lui, ce n'est pas le cas de son palmarès. Deux licenciements avec pertes et fracas au Rayo Vallecano et à Porto, un passage à la tête de l'équipe réserve du Real Madrid, mais surtout deux expériences couronnées de succès avec les moins de 19 ans et les moins de 21 ans espagnols, où le sélectionneur Lopetegui est pratiquement resté invaincu en quatre ans. Son profil consensuel – il a (peu) joué au Barça comme au Real – plaide en sa faveur pour éviter les conflits internes. Et il jouit d'une cote de sympathie disproportionnée dans l'opinion. Tout ça à cause d'un drôle d'incident survenu alors qu'il expliquait devant un écran le fonctionnement de la tactique de la Seleccion lors du Mondial 2006.

D'un coup, Lopetegui tombe brutalement dans les pommes, fiches en main, sur le plateau de la toute nouvelle chaîne La Sexta. Les derniers mots du présentateur : "Vous vouliez des surprises, vous en avez !" Coupure pub. "La clim ne marchait pas, je portais une veste sur le plateau, je venais de faire du sport sans avoir mangé... racontera (en espagnol) Lopetegui, quelques mois plus tard. On m'a fait boire un Coca en plateau, et ça allait beaucoup mieux. J'ai même pu reprendre l'émission." Devant le poste, sa famille ne s'est pas inquiétée plus que ça, convaincue qu'il s'agissait d'un happening de la chaîne, dont le slogan était "On va cogner".

La scène, multidiffusée lors des bêtisiers de fin d'année, est devenue culte. Au point que la Banco Gallego a obtenu, après avoir beaucoup insisté, de pouvoir utiliser les images. Au lieu de voir le présentateur rendre l'antenne, un faux technicien détourne la caméra et montre un "souffleur", tenant de grands cartons à la main, sur lesquels on peut lire un taux extraordinaire pour un emprunt. Lopetegui a accepté à condition que ses droits soient reversés à une œuvre caritative. Quatre-vingts enfants boliviens vivant dans des villages reculés ont ainsi pu être scolarisés grâce à sa fringale.

Le "préposé au barbecue" à la tête de l'Espagne

L'humilité transpire à longueur d'interview chez Lopetegui. Il résume son rôle auprès des U19 et U21 espagnols, champions d'Europe sous sa direction, à celui de "préposé au barbecue". Juan Carlos Alvarez, le coach personnel de Lopetegui, souligne sa capacité à adapter son discours à son auditoire, dans une interview fleuve à El Pais (en espagnol) : "Un leader est avant tout là pour servir l'équipe. Endosser le rôle de cuisinier, c'est se mettre au service des joueurs." Vous ne l'entendrez pas non plus vanter son taux de victoires en Ligue des champions avec Porto – plus de 60% –, seulement devancé par Guardiola et Luis Enrique en Espagne. Ni qu'il a accepté des émoluments bien moindres qu'au Portugal pour revenir sous les drapeaux. Cela dit, le FC Porto continue de lui verser un complément de salaire de 850 000 euros pour compenser la moins-value provoquée par son licenciement, souligne le Jornal de Noticias (en portugais).

Sa communication est désormais axée sur le fait qu'il faut éviter de comparer son équipe à celles du passé. "C'est une perte d'énergie de se demander si on a plus ou moins de talent [qu'il y a une dizaine d'années]. Le football espagnol est en bonne santé !" assure-t-il dans El Confidencial (en espagnol). Pourtant, les héros sont fatigués ou à la retraite (David Villa, Xavi, Iniesta, Iker Casillas...). Le Barça ne fournit plus qu'une poignée de titulaires au onze espagnol, quand ce sont les remplaçants du Real (où seuls deux Espagnols sont titulaires) qui garnissent le front de l'attaque. "Il y a des générations brillantes, et d'autres qui vont briller dans le futur", martèle Lopetegui, confiant dans sa capacité à amener au plus haut niveau les talents qu'il a dirigés dans les catégories de jeunes. Ça tombe bien, il est là pour ça.

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