L'ascension fulgurante de Ludogorets, le Cendrillon de la Ligue des champions
Le club bulgare, qui reçoit le PSG, n'existait pas encore il y a quinze ans. Aujourd'hui, il règne sans partage sur son championnat et s'invite à nouveau dans la plus prestigieuse compétition.
"Le meilleur reste à venir." Voilà ce qu'on peut lire (en anglais) en titre du site internet du Ludogorets Razgrad, champion de Bulgarie en titre et hôte du PSG pour la deuxième journée de Ligue des champions, mercredi 28 septembre. Une équipe méconnue à la progression fulgurante. Il y a un peu plus de quinze ans, le club n'existait pas. Il y a cinq ans, il n'était pas en première division bulgare. Et aujourd'hui, il rêve de faire trébucher un candidat à la victoire finale.
"Cendrillon" a trouvé le prince charmant
Rien ne prédisait au club de Razgrad, modeste cité de 35 000 âmes à 60 km de la frontière roumaine, une renommée internationale. La ville ne figure dans les guides touristiques que pour la mosquée Ibrahim Pacha, et traîne une réputation de maison de retraite géante où rien ne se passe. Le club, fruit de la fusion entre clubs moribonds, végétaient il y a peu dans les profondeurs du championnat bulgare. Tout bascule en 2010, quand l'homme d'affaire Kiril Domuschiev décide d'investir 250 000 euros pour prendre le contrôle du club. Son idée de départ était de racheter... son club de cœur, le CSKA Sofia, poids lourd du foot bulgare. Il figurait même au conseil d'administration. La corruption généralisée et les réticences des propriétaires historiques ont eu raison de sa motivation.
Domuschiev s'est rabattu sur un nouveau projet où il serait seul maître à bord. Quitte à partir d'une feuille blanche avec son "Cendrillon de province", comme il décrit son club dans le quotidien suisse Tages Woche. "Avant l'arrivée de Domuschiev, Razgrad n'avait jamais évolué en première division. Son moment de gloire du club de l'époque était une demi-finale de Coupe de l'Armée - grosso modo l'équivalent de la Coupe de la Ligue - en 1984", souligne le journaliste sportif bulgare Teodor Borisov contacté par franceinfo. Difficile donc de parler de Ludogorets comme du PSG bulgare, le club de la capitale ayant un palmarès autrement plus fourni avant l'arrivée des Qataris en 2011.
Ce magnat des produits pharmaceutiques aime à raconter qu'il a commencé en vendant des chaussures. C'est oublier un peu vite qu'il est issu d'une famille aisée - sa mère dirigeait une fabrique de vélos dans la Bulgarie communiste. Et quand le régime a commencé à privatiser à tout-va, la famille Domuschiev était en embuscade. Aujourd'hui, la fortune de Kiril est estimée à 500 millions d'euros. Il n'en a investi qu'une petite partie dans son club - au budget estimé à six millions d'euros - mais c'est largement suffisant pour dominer de la tête et des épaules le foot bulgare. Lors du dernier mercato estival, Ludogorets a dépensé 500 000 euros, plus que tous les autres clubs de l'élite réunis.
Des Brésiliens dans la forêt sauvage
Le club de la "forêt sauvage" - la traduction littérale de Ludogorets en français - enchaîne les titres depuis sa remontée dans l'élite. Le championnat bulgare - qualifié de plus corrompu d'Europe par le magazine hollandais Voetbal International (en néerlandais) - n'a plus grand chose à voir avec son lustre d'antan, quand le CSKA Sofia s'offrait le scalp de Liverpool, tenant de la Coupe des clubs champions en 1983, par exemple. Aujourd'hui, le championnat a pris deux trains de retard sur ce qui se fait de mieux en Europe. Un exemple ? "Le président du Slavia Sofia s'est opposé à la demande de la fédération d'installer des projecteurs autour des stades pour pouvoir disputer des rencontres en nocturne. Son argument : 'qui sont ces imbéciles qui ont besoin de lumière ?'", raconte à franceinfo Pepa Zapryanova, qui tient le blog Bulgarian Footy. En 2016. Si, si.
Forcément, quand déboule un club bien géré, qui paie les salaires en temps et en heure, et qui recrute à tour de bras des Brésiliens - sept dans l'équipe actuelle, donc cinq naturalisés - le succès est immédiat. Ca n'a pas été simple, la sinistre ville de Razgrad refroidissant plus d'une cible potentielle. Metodi Tomanov, le directeur sportif, racontait en 2014 à la BBC que c'est "très, très compliqué" de convaincre les joueurs de venir. "Si nous avons sept ou huit options pour un attaquant, nous n'arrivons à attirer que le cinquième ou sixième choix."
L'attaquant vedette de l'équipe, le Brésilien naturalisé bulgare Jonathan Cafu, confiait au site de l'UEFA que le contraste entre Piracicaba, sa ville d'origine où vivent 300 000 habitants, et la paisible cité bulgare avait été difficile à vivre. "Il y a beaucoup moins de choses à faire ici, c'est sûr." Le gros salaire qui lui a été proposé a sûrement aidé à faire passer la pilule. Les Brésiliens sont, en moyenne, payés 30% de plus que leurs homologues bulgares. Le milieu défensif Lucas Sasha raconte au magazine brésilien Lance ! : "Nous avons été très bien reçus par les joueurs bulgares, mais j'ai senti une pointe de jalousie en eux."
Le seul espoir du football bulgare
"Ludogorets, c'est la seule chose positive dans le football bulgare en ce moment", affirme même Teodor Borisov. Un football bulgare sinistré, où même le sélectionneur de l'équipe nationale a préféré quitter le navire pour aller entraîner un club en Bosnie. "Leur ambition n'est pas seulement de participer à la Ligue des champions et de montrer leurs bons joueurs pour les vendre cher à un club plus fortuné. Ils veulent jouer un rôle", renchérit Pepa Zapryanova.
Leur courte histoire européenne est déjà émaillée d'exploits. Le jour de gloire du défenseur Cosmin Moti, obligé de prendre place dans les buts en prolongation du barrage d'accession à la Ligue des champions face au Steaua Bucarest pendant l'été 2014. Il marque son penalty, sort deux tirs au but, et obtient le statut de légende vivante au club. Au point qu'une tribune du stade porte son nom. Quelques mois plus tard, Ludogorets marque les premiers points d'une équipe bulgare en Ligue des champions en battant Bâle (1-0) et en arrachant un nul face à Liverpool (2-2). L'année précédente, ils s'étaient offert le scalp de la Lazio de Rome en 16e de finale de la Ligue Europa. Présomptueux, les Italiens avaient offert un aigle, symbole commun aux deux clubs, à leurs homologues bulgares. L'animal, baptisé depuis Fortuna, porte bonheur aux petits hommes verts.
Un rival nommé Pink Floyd
Seule ombre au tableau, l'absence d'engouement populaire autour du club phare du football bulgare. L'affluence ne dépasse pas les 2 000 personnes en championnat, un chiffre modeste mais pas ridicule au regard des moyennes des clubs rivaux. Le petit stade champêtre de Ludogorets ne contient de toute façon que 8 000 places. Insuffisant au regard des critères de l'UEFA, qui force le club à disputer ses rencontres de coupe d'Europe à Sofia, à 300 km de là. Ils ne sont d'ailleurs pas la priorité des propriétaires du stade, qui avaient déjà programmé un concert de Pink Floyd avant le tirage au sort de la Ligue des champions, ce qui aurait pu empêcher le club de disputer un match.
Dans les tribunes, ne vous attendez pas à beaucoup plus de soutien. "Les fans de Ludogorets sont vus comme de faux supporters, uniquement intéressés par la gloire et pas par le football. Des blagues circulent sur eux. Un exemple : 'c'est un supporter de Ludogorets qui assiste à un match de championnat qui finit sur un nul. Il demande à son voisin : 'donc il y a des prolongations, c'est bien ça ?', raconte Teodor Borisov. Lors du fameux barrage contre le Steaua, beaucoup de supporters du Levski se trouvaient dans les tribunes pour soutenir le club roumain..."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.