Football : relégation en National, conflit ouvert entre le président et les supporters... La lente descente aux enfers du Nîmes olympique
"Ma ligne rouge, c’est le National. Il ne faut pas que le club tombe en National…" Ces propos de Rani Assaf, prononcés le 2 mai 2022, donnaient encore l'impression que tout n'était pas perdu pour le Nîmes olympique. Un an plus tard, ils soulignent l'échec du club, officiellement relégué en National après une saison catastrophique en Ligue 2 (19e), autant sur le pré qu'en dehors. La formation qui évoluait encore en Ligue 1 en 2021 a tout perdu, jusqu'au soutien de ses supporters.
C'est reniée par un public en conflit ouvert avec le président et sa vision sportive et économique qu'elle retrouvera le troisième échelon national. L'époque où l'équipe était dirigée par Bernard Blaquart, incarnée par des joueurs comme Renaud Ripart et Téji Savanier et capable de terminer 9e du championnat de France (2018-2019) paraît aujourd'hui très lointaine. Après trois exercices consécutifs de résultats moribonds, la situation est à vif.
Un conflit ouvert avec le public et les groupes de supporters
Le président Rani Assaf cristallise les tensions et dont les relations avec le public nîmois sont mouvementées. Arrivé sur la pointe des pieds dans le Gard en 2014 comme actionnaire minoritaire, il était devenu président du club à l'été 2015, juste après que son prédécesseur a été visé par une enquête pour des matchs truqués (et condamné en 2018). Côté communication, ses sorties sont rares et acides, comme lorsqu'il déclarait l'an dernier : "Sportivement, qui a un meilleur bilan que moi sur les 30 dernières années ? [...] Je ne sais pas rattraper en 10 jours ce qui n'a pas été fait en 30 ans. Je n'ai pas de baguette magique."
Une "fracture progressive" s’est alors amorcée pour Dimitri Pialat, président des Gladiators, la principale association de supporters. Le 26 juin 2020, à l'occasion d'une conférence de presse, l’homme d’affaires franco-libanais avait ainsi déclaré : "Je n'ai pas de compte à rendre à qui que ce soit [...] J'ai 80% du club, je suis président du club, je dirige le club, je fais ce que je veux du club. Et il faut que ce soit clair pour les Gladiators, comme pour tout le monde."
Des tensions ravivées par l’affaire des fumigènes, en début de saison 2021-2022, qui a provoqué la fermeture du pesage Est, la tribune historique, où siégeaient habituellement les Gladiators. "Il ne rêve que d’une chose et il l’a dit publiquement. Il souhaite que les Gladiators soient dissous par la voie judiciaire, car on est les plus virulents contre lui. Il ne veut même plus qu'on vienne au stade avec ou sans bâche", explique Dimitri Pialat. "C’est une première en France de voir un président fermer presque indéfiniment sa tribune populaire et faire ouvertement la guerre à ses propres supporters."
"Ces gens-là sont un cancer pour le club"
Seule possibilité pour ces derniers de revenir : l’obligation de signer une charte de bonne conduite. Lors de la même conférence de presse de mai 2022, le ton était encore monté : "Ces gens-là sont un cancer pour le club, il va falloir que l’on s’en débarrasse et le traitement va être violent et méchant".
Le club a également pris la décision de mettre fin aux abonnements - remplacés par la supra-association du Grinta Club dirigée par le président d'honneur, Jean-Jacques Bourdin, depuis la saison dernière et censée offrir des tarifs "avantageux" aux adhérents -, mais aussi de fermer les guichets physiques depuis la période Covid, ou encore d’augmenter le prix des places en tribune populaire depuis la descente en deuxième division.
"Il s’est totalement coupé du public nîmois. Même sur Facebook ou Twitter, tu ne peux plus donner ton avis sur le compte officiel depuis février 2022", retient Modrek Belbachir, un des membres actifs du collectif. La possibilité de répondre aux posts a tout simplement été fermée. Ce dernier renchérit : "Autre cas unique en France, il n’y a même pas eu un seul entraînement ouvert au public sur les six derniers mois. Tout ça c'est juste lunaire..."
Un projet qui divise
Une semaine avant la défaite face à Dijon (1-2), synonyme de relégation le 20 mai dernier, ils étaient près de 300 fervents supporters du Nîmes olympique à s’être rassemblés devant la mairie, à l’appel du collectif "Sauvons le Nîmes olympique". Objectif : réclamer des comptes sur la vente du stade des Costières par la municipalité à Rani Assaf, pour 8 millions d’euros en juin 2019, et la signature d'un projet d'éco-quartier ainsi que d'un nouveau stade lui appartenant.
Ce dernier a fait de ce nouvel ensemble immobilier, autour de l'actuelle zone du stade des Costières, l’axe majeur de sa vision pour le club dans les années à venir. Un projet "vital" selon lui, en collaboration avec la mairie nîmoise dirigée par Jean-Paul Fournier (Les Républicains). Lors de la conférence de presse de présentation du nouveau stade, ce dernier a montré que l'idée était avant tout de construire un environnement (bureaux, commerces, hôtels…) capable de générer des revenus et faire fonctionner le club par lui-même pour ne plus être dépendant des transferts. Un modèle “à la lyonnaise” et une vision "à l'américaine" du sport-spectacle, à une exception de taille : le Nîmes olympique ne serait pas officiellement propriétaire de son stade qui appartiendrait, comme le quartier entier, à Rani Assaf, via sa société d'exploitation Nemau.
De nombreuses zones d’ombre persistent encore et le compromis de vente a vu sa date d’expiration prolongée au mois de décembre 2024. La crainte que Rani Assaf ne privilégie le projet immobilier à l'aspect sportif du club est ainsi mise en avant par l’opposition. "En lui vendant le stade de façon sèche, la municipalité lui a donné les clés sans avoir de moyens de pression sur lui", analyse le conseiller départemental communiste Vincent Bouget. "Dans son business plan, son projet devrait lui rapporter de l’argent au bout de 15 ans. Lui dit que s’il avait voulu faire de l’argent, ce n’est pas ça qu’il aurait fait. J’ai peur que la mairie se soit trop engagée et qu'il soit maintenant impossible de faire marche arrière."
Du côté de la majorité municipale, un changement de cap est peut-être là aussi en train de s'amorcer. "En tant que ville de Nîmes, on est dans une situation où on ne peut pas faire d’ingérence dans le club. Mais aujourd’hui il est clair que Rani Assaf n’est pas en capacité de projeter le Nîmes olympique dans les prochaines années", constate Julien Plantier, le premier adjoint à la ville de Nîmes. "Il y a un projet de construction de quartier intimement lié à une question de dynamique sportive qui n’est pas au rendez-vous actuellement. Et surtout, ce qui paraît le plus inquiétant, c’est que nous n’avons toujours pas la moindre intention ou projection sur le court ou moyen terme."
Une disparition progressive de l'ADN nîmois
Pourtant très lié à sa ville, le Nîmes olympique - quatre fois vainqueur de la Coupe Gambardella et quatre fois vice-champion de France - a vu son public quitter progressivement les tribunes. Le stade "provisoire" des Antonins, ouvert en décembre 2022 et situé au bord de l’autoroute, est devenu un désert à ciel ouvert à l'exception de quelques rencontres (Saint-Etienne, Sochaux...).
Dernière affluence de Ligue 2 avec 1 934 spectateurs de moyenne la saison dernière, le club gardois a connu un taux de remplissage encore moins important que lors de ses précédentes années de galères en National (4 000 à 5 000 spectateurs de moyenne). Le centre de formation a lui aussi fait les frais de cette réduction des coûts à tout prix avec la perte de l’agrément, qui a provoqué le départ des meilleurs jeunes.
"Il y a un démantèlement de tout ce qui est structure sportive à l’intérieur du club. Tout cela relève d'un fonctionnement qui n’est même pas digne d’un club de National 1, mais plutôt de National 2, reconnaît Corentin Carpentier, commerçant nîmois et membre actif du collectif "Sauvons le Nîmes olympique". Même constat pour un ancien joueur et entraîneur du club, René Girard : "C’est assez surprenant et il y a des choses qui mériteraient d’être expliquées plus précisément : savoir qui veut faire quoi et comment. Je ne suis pas un grand financier, mais où veut-on aller avec ce club ? Il faut savoir ce que l’on veut, soit une équipe première performante ou alors une formation qui vivote pour d’autres intérêts extérieurs au club…"
La DNCG en arbitre ?
Pour Corentin Carpentier, la sortie de crise pourrait consister à "dénoncer" auprès de la DNCG (Direction nationale de contrôle et de gestion) la convention et le numéro d'affiliation liant actuellement le club à l'association Nîmes olympique : "On est potentiellement prêts à essayer de convaincre l’Association de résilier la convention pour repartir de zéro avec un projet de socios comme à Strasbourg ou encore à Bastia, et des repreneurs locaux solides ou nationaux avec une véritable ambition."
L'instance serait alors contrainte de rétrograder automatiquement le club en Régional 1, avec une perte immédiate du statut professionnel. Une sorte de "bouton rouge" et d'ultime recours pour renverser le projet de Rani Assaf et repartir de zéro avec des repreneurs locaux. Un ultimatum dont l’issue serait un nouveau saut dans l'inconnu.
*Sollicités, le Nîmes olympique et Rani Assaf n'ont pas souhaité répondre à nos questions.
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