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Un jour, un club : À Saint-Etienne, Jérémie Janot a réinventé l'amour du maillot

Pour cette nouvelle saison de Ligue 1, France tv sport vous propose une série d'anecdotes et de petites histoires sur les vingt clubs de notre championnat. Aujourd'hui, on s'intéresse à l'AS Saint-Etienne et plus particulièrement à l'un de ses personnages les plus atypiques. Gardien emblématique du club ligérien, Jérémie Janot a marqué toute une génération de supporters stéphanois. Avec ses tenues improbables, plus extravagantes les unes que les autres durant la saison 2004-2005, l'ancien portier des Verts n'avait laissé personne indifférent. Et quinze ans après, il s’en souvient comme si c’était hier.
Article rédigé par Quentin Ramelet
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 14min
 

Il a fait les beaux jours du Peuple Vert pendant de longues années. Débarqué dans le Forez en 1993 à seulement 16 ans, le jeune homme natif de Valenciennes ne se doute pas qu'il va devenir plus tard une véritable idole des jeunes stéphanois. Rapidement, il se fait remarquer pour son tempérament de feu, sa fougue sur le terrain et enfin, surtout, pour sa petite taille à un poste qui de plus en plus, déjà à l'époque, attirait les géants. Du haut de son 1m73, Jérémie Janot s'est alors forgé un vrai nom dans le club le plus titré dans l'histoire du championnat de France. Tant pour ses performances que pour sa personnalité, entière et nature, très proche des valeurs prônées par les Stéphanois. Et comme une légende s'écrit avec de belles histoires, Janot a évidemment la sienne. Une histoire gravée à jamais dans la mémoire des supporters des Verts mais aussi dans celle des amateurs du football français. Car quel supporter, digne de ce nom, ne connait pas la fameuse tenue Spider-Man de Jérémie Janot ?

21 mai 2005. Ultime match à domicile de la saison. On s’attend à vivre une dernière festive dans l’antre du peuple Vert, Geoffroy-Guichard. L’AS Saint-Etienne, qui est en train de boucler son retour en Ligue 1 avec une potentielle qualification européenne au bout, affronte Istres, déjà condamné à faire l’ascenseur, direction la Ligue 2. Ce soir-là, les 35 000 spectateurs stéphanois, et les quelques milliers devant leur télévision, ne s’attendent pas à vivre un tel moment. Hors du commun. En entrant sur la pelouse, Jérémie Janot est tout de bleu et rouge vêtu. De loin, dans les travées du Chaudron, tout le monde demande à son voisin si ce qu’il aperçoit est bien réel : Janot a-t-il vraiment enfilé le costume de Spider-Man ? La photo officielle des onze titulaires le confirme quand le gardien forezien enfile la cagoule. Les secondes et même les minutes qui suivent plongent alors le stade dans une folie ahurissante. Janot, fier de porter cette tenue encore plus fantasque que ses précédentes, fait le fanfaron sur le gazon, sautille de partout, alpaguant les fans en délire. La première phase de ce pari fou est alors gagnant. Maintenant, il s’agit de ne pas faire une boulette pendant la partie. Ce qu’il assurera sans sourciller, les Verts s’imposant 2 à 0. Ce soir-là, Janot a porté sa dernière "tenue spéciale". En tout, il y en aura eu entre 20 et 25.

"Ce qui a plu aux gens ? La spontanéité ! Tout le monde a bien senti qu’il n’y avait rien de calculé !"

Tout est donc parti d’une collaboration avec l’équipementier de l’époque, Duarig. Jérémie Janot, qui "ne s’attendait pas à provoquer un tel engouement au point que l’on lui en parle encore quinze ans plus tard", nous a expliqué pourquoi le défi avait aussi bien marché, et touché le grand public : "Sincèrement, ce qui a plu aux gens ? C’est la spontanéité ! Tout le monde a bien senti qu’il n’y avait rien de calculé." Cette aventure a donc fait écho auprès d'une audience particulière, mais surtout très nombreuse : "On ne se prenait pas la tête, ni au sérieux. Nous avions ce côté décalé qui ne peut plus exister aujourd’hui. Et il ne faut pas oublier que dans le football français, c’est 99% d’amateurs pour seulement 1% de professionnels. Avec mes tenues, et bien nous avons touché et marqué les 99% d’amateurs. C’est ça au final !"

Dans le mille en effet. Car même aujourd’hui, alors que l’ex-portier des Verts est devenu entraîneur des gardiens à Valenciennes où il réside, on l’interpelle encore sur cette histoire : "Je vais te raconter quelque chose et pour le coup, je ne suis pas un menteur… Il y a quelques minutes, j’étais dans un magasin pour acheter les fournitures scolaires de mon fils. Puis il y a cet enfant, dans un rayon, qui porte un t-shirt spider-man. Là, son papa me regarde, me désigne et dit à son gosse : 'tu vois, lui là, et bien c’est spider-man !' C’est quand même un truc de fou ! Je suis à Valenciennes, et nous sommes 15 ans plus tard mais ça n’a toujours pas dégonflé ! L’enfant a rien compris évidemment mais j’ai serré la main du papa et ça fait toujours plaisir. Sincèrement, jamais, quand on a lancé le projet, j’aurais pu penser à avoir un tel impact !"
 

L’origine ? Une étude canadienne sur les gardiens de hockey

Le maillot à pois du Tour de France, la tenue camouflage des militaires, le maillot écossais, l’ensemble du Stade Français – porté à Marseille soit dit en passant – ou encore la tenue intégrale du tigre… Bref, Jérémie Janot et ses "amis de chez Duarig" n’ont jamais manqué d’idée pour innover match après match. Mais alors, d’où est venue cette idée lumineuse ? Cette fois-ci, ce n’est pas une raison complètement farfelue, mais bien une analyse sportive : "Avec le coach de l’époque, Elie Baup, nous avions entendu parler d’une étude canadienne. Cette étude, on l’a donc consultée et elle démontrait qu’en hockey sur glace, les gardiens de but qui portaient une tenue flashy attiraient naturellement et inconsciemment l’œil moteur de l’attaquant. Donc 'barjots' que nous étions, Elie Baup, le regretté Lionel Fauriat (ndlr : Duarig), et moi-même, tous les trois des gardiens, nous nous sommes dits : allez, autant essayer, on ne sait jamais !

Des tenues qui l’ont rendu invincible

Et le moins que l’on puisse dire, c’est ce que cela a parfaitement fonctionné ! Car cette saison-là, outre le fait que Jérémie Janot s’est imposé comme l’un meilleurs gardiens de Ligue 1, il a surtout établi un record historique en championnat de France. À domicile, le gardien de Sainté est resté invincible pendant pas moins de 1534 minutes ! Une marque qui tient encore aujourd’hui… Et une performance que le principal intéressé associe toujours à ses célèbres tenues : "Avec le recul, aujourd’hui, je crois que l’histoire de toutes ces tenues a une relation étroite avec notre record d’invincibilité ! Car ça a soudé le groupe, ça a soudé la défense. Les gars me disaient : 'Tu n’oserais pas mettre le maillot de Richard Virenque !' Mais ils savaient très bien qu’en m’interpellant de la sorte, j’allais le faire ! Quand avec moi tu commençais la phrase avec 'tu n’oserais pas… t’es qu’une grande gueule…', clairement je le faisais !"

Et finalement, c’est toute l’institution qui en est sortie plus grande, plus forte : "L’aventure que cela a pu créer entre les employés de Duarig, ceux du club, les joueurs et enfin les supporters, je pense que l'on a assisté à une osmose rare dans l’histoire du club. Mais attention, je le dis en toute modestie !  C’est quelque chose que l’on avait tous constaté. Chaque week-end, des mecs me demandaient quelle tenue j’allais mettre ! Cela avait permis de souder davantage notre belle et grande famille." Alors évidemment, avec Jérémie Janot, le dicton 'l’habit ne fait pas le moine' n’a plus la moindre raison d’exister. Car s’il a voulu porter toutes ces tenues, au risque de se faire critiquer dans le cas où il ferait des boulettes, c’est parce que cela lui correspondait parfaitement. "C’était le kiffe ! C’était vraiment le kiffe en fait !" nous témoigne-t-il plein d’entrain avant de poursuivre, avec le même sourire dans la voix : "J’avais un peu ce côté foufou qui plaisait ! Mais je n’ai jamais dépassé la limite. Franchement, l’essentiel pour moi était d’être performant. Mais la performance, je la travaillais à l’entraînement sérieusement toute la semaine… Donc quel que soit le maillot, sobre ou extravagant, en match je devais assurer une performance. Moi, ce que je voulais aussi, c’était kiffer, et profiter."

"Je pense que c’est la première fois en compétition qu’un joueur rendait hommage à ses supporters avec un maillot à leur honneur !"

Pendant plus d'un an, donc, de la fin de saison 2003-2004 (L2) à la fin de la suivante, il a pu "profiter et kiffer". Et une tenue, en particulier, lui tenait à cœur. Celle qui allait, une bonne fois pour toute, prouver l'amour inconditionnel qu'il vouait à ses supporters, et notamment aux deux groupes Ultras de l’AS Saint-Etienne : "Incontestablement, la tenue qui m’a le plus correspondu, c’est celle qui rendait hommage aux Green Angels et aux Magic Fans. Car, comme je l’ai toujours dit, j’étais un supporter qui gardait les buts." Là encore, l’histoire de ce maillot ne ressemble à aucune autre : "Un jour, je dis à Lionel : 'Quand même, les supporters, ils font des banderoles de fou, des tifos de dingues, ils chantent tout le temps. Puis nous, on ne fait que de les applaudir à la fin du match. Donc ça serait bien que l’on puisse marquer le coup avec un truc pour leur rendre hommage.' Et là, il me répond : 'Ok, t’inquiète, fais-moi confiance, je m’en occupe !' Il sort la tenue… Il la montre aux Green’s et aux Magic’s. Leur condition était simple : ne pas la commercialiser, que cela reste une pièce unique. Il n’y a pas eu de soucis et je l’ai portée, fièrement. Clairement, je pense que c’est la première fois en compétition qu’un joueur rend hommage à ses supporters avec un maillot à leur honneur. Donc j’étais vraiment très fier. Et pour le coup, le Peuple Vert me l’a très bien rendu !"
 

"Quand Juninho la remet au fond, je dégoupille ! J’ai eu envie de tout casser !"

Cette relation, et cette proximité avec ses supporters, sans pour autant en faire des tonnes, il a toujours su l’entretenir. Parfois même sans le vouloir à l’image de cette soirée complètement folle du dimanche 3 octobre 2004. Soir de Derby oblige, le gardien stéphanois enfile la fameuse tenue du tigre. Dans un Chaudron en ébullition, les Verts tiennent la dragée haute à l’ogre lyonnais, leur pire ennemi. L’ASSE mène 2 buts à 1, et il reste moins de quatre minutes dans le temps réglementaire quand l’arbitre accorde un pénalty à l’OL. La suite et la fin de cette dernière histoire, on a demandé à Jérémie Janot de la raconter. Après quelques éclats de rire au moment où on lui évoque ce souvenir, d'un seul coup, il reprend son souffle, il redevient sérieux et raconte comme s’il était encore à cette 87e minute, face à face avec le Brésilien :

"Je savais que Juninho n’avait jamais loupé de pénalty jusque-là. Mais je te jure, au moment du pénalty, je savais que j’allais l’arrêter ! Et donc je l’arrête… [Il enchaîne très vite en hurlant] Mais il la remet au fond ! Et moi, sérieux, je suis comme un dingue ! Je dégoupille ! J’ai envie de tout casser à ce moment-là donc la première chose que je vois, après avoir pris le but, c’est mon poteau. Donc je saute sur le poteau !" Tel un tigre, qu’il était ce soir-là, qui surgit sur sa proie... "J'avais juste besoin de dégager la rage qui était en moi... Et souvent je me dis : 'Et si la première chose que j’avais vue, ça avait été un Lyonnais… Qu’est-ce que j’aurais fait ?' [Il hésite et commence à rigoler] Mais je ne sais pas ! [Il rit beaucoup à nouveau]. Bon, c’est de la plaisanterie, c’est une boutade bien sûr…" 

Un geste, une figure, voire même une acrobatie qui est restée et restera une fois de plus dans la tête des supporters stéphanois comme l’une des nombreuses images fortes caractérisant ce gardien de but pas comme les autres… Une chose est bien certaine : par cette folle aventure qui nous a permis d’admirer ces tenues plus dingues les unes que les autres, associée à sa forte personnalité, Jérémie Janot a marqué toute une époque. Toute une génération d’amoureux des Verts et du football. Un football sans chichis, sans prise de tête, "un football  à l'ancienne". Et à ses détracteurs, ceux notamment qui lui rappelaient régulièrement qu’il n’avait pas remporté beaucoup de trophées, il leur répondait toujours avec cette assurance et cette insolente sérénité : "J’ai gagné le cœur des gens, et ça, il n’y en a pas beaucoup qui y parviennent."
 

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