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Mediapro - LFP : responsables, possibles sauveurs, conséquences… 6 questions sur la crise

Après des mois de feuilleton, la chaîne Téléfoot va disparaître à cause des défauts de paiement de Mediapro, sa maison mère. La Ligue de Football Professionnel doit maintenant trouver un nouveau diffuseur rapidement pour limiter la casse. Et si cette crise inédite dans le football français touche à sa fin, elle pose beaucoup de questions auxquelles répondent Mickaël Terrien, économiste du sport, et Antoine Feuillet, maître de conférence et auteur d’une thèse sur les droits TV. 
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 12min
  (PASCAL PAVANI / AFP)

• Pourquoi la faillite de Mediapro n’est-elle pas si surprenante que cela ?

La conciliation entre Mediapro et la LFP pouvait s’étaler jusqu’au 18 décembre. Mais une semaine avant la date butoir, le sort de la chaîne créée l’été dernier pour diffuser la Ligue 1 est déjà scellé : elle va disparaître et la LFP va revendre les droits. Un scénario attendu depuis octobre, comme l’explique Mickaël Terrien, économiste du sport : "On en parlait depuis plusieurs mois. Depuis le premier non-paiement, c’était un des scénarios possibles. Ce n’est pas surprenant. Je pense que c’est un soulagement pour la LFP". Mais certains doutaient du projet depuis plus longtemps, à l’image d’Antoine Feuillet, auteur d’une thèse sur les droits TV du sport: "On ne peut pas dire que c’était prévisible, mais les signaux étaient mauvais. De là à dire que Mediapro partirait aussi rapidement..."

Ces signaux, c’était d’abord le prix de départ, un record : 1,2 milliards d’euros. "J’avais estimé les droits TV de la L1 à 850-950 millions. Là, c’était disproportionné et annonciateur de la malédiction du vainqueur, qui veut que lors d’un appel d’offres, un enchérisseur qui a trop investi se retrouve vite en difficulté", analyse Antoine Feuillet, qui rappelle que l’offre 100% football à 25 euros par mois était une "erreur" et un signe de "méconnaissance du marché, et du produit". Mickaël Terrien complète : "Depuis quelques temps, il se murmure qu’en réalité Mediapro ne voulait pas garder l’intégralité des droits, qu’ils étaient dans une logique de revendre plusieurs lots, notamment l’affiche du dimanche à Canal+, qui n’a pas été réceptif." Difficilement rentable sur le papier - comme beIN Sport l’a toujours été -, Mediapro visait 3,5 millions d’abonnés. A ce jour, le groupe en compte moins de 600 000.

• Qui sont les responsables de ce fiasco ?

Evidemment, les premiers responsables de cet échec sont les dirigeants de Mediapro. "Ils avaient une méconnaissance du produit, des clients et de leurs concurrents. Ils voulaient revendre quelques lots à Canal +, qui avait de son côté plus intérêt à attendre que Mediapro disparaisse pour les récupérer à bas prix", détaille Antoine Feuillet. Mais la LFP et les présidents de clubs ont aussi leur responsabilité pour le maître de conférence : "Ils avaient plus d’infos que nous. On a même appris que les services de renseignements français ont interpellé la LFP sur les investisseurs. Tout le monde a été un peu aveuglé et ils ne sont pas allés regarder dans le détail la crédibilité des investisseurs et leurs garanties."

De son côté, Mickaël Terrien nuance quelque peu : "Beaucoup reprochent à la LFP de ne pas avoir demandé de garanties bancaires à Mediapro. Mais il faut rappeler que la LFP n’a jamais demandé de garanties à personne. Le faire pour Mediapro aurait été un très mauvais signal envoyé." Ce qui ne veut pas dire que l’économiste excuse l’instance, au contraire : "Ce qu’on peut reprocher à la LFP, c’est sa stratégie globale sur les droits TV, qui est un marché avec beaucoup de faillites. Or, pour un appel d’offres, plus il y a d’enchérisseurs, mieux c’est pour la LFP, qui encourage toujours les nouveaux investisseurs. Or, cette stratégie est dévastatrice parce que la LFP arrive dans la situation où son diffuseur n’a plus les moyens de ses ambitions. Jusqu’ici, un nouveau diffuseur est toujours venu sauver la situation. Mais jusque quand ?" Et Terrien de rappeler : "Et pendant ce temps, le directeur général de la LFP qui a signé ces droits, Didier Quillot, n’est plus en poste et est parti avec un bonus d’1,5 millions d’euros pour cette signature."

• Perte de compétitivité, pertes financières… Quelles conséquences pour le football français ?

En France plus qu’ailleurs, les droits TV nourrissent toute l’économie du football. Concrètement : leur baisse entraînera une baisse des budgets des clubs professionnels de l’Hexagone. D’autant plus que, comme souvent, les clubs ont déjà commencé à dépenser ces sommes depuis un an ou deux, tant en transferts qu’en salaires : "Les clubs vont avoir des pertes importantes et vont vouloir les combler sur le mercato. Mais le problème, c’est que les clubs acheteurs, notamment en Angleterre, Allemagne ou Espagne, sont eux aussi affaiblis en ce moment par la Covid. Depuis des mois, ils ont d’énormes pertes de billetterie et vont être moins acheteurs, et la valeur des joueurs a déjà baissé. Pour résumer, beaucoup de clubs vont compter sur le mercato, mais en réalité peu vont vendre", prévient Mickaël Terrien. 

A plus long terme, le risque est donc un affaiblissement général du championnat, les clubs étant poussés à vendre leurs meilleurs joueurs, et ayant moins de moyens pour en attirer de nouveaux du même niveau. "Il va y a voir une perte de compétitivité, forcément. Il faut aussi garder en tête qu’il y a les prêts liés à la Covid-19 à rembourser à moyen terme. Cela peut provoquer un décrochage économique et sportif du championnat de France. On aura des conséquences sur du long terme, peut-être moins pour les grands clubs, qui sont plus solides", veut anticiper Antoine Feuillet. Et qui dit baisse de niveau, dit baisse de valeurs des futurs droits TV, et ainsi de suite.

• Qui d’autre que Canal+ pour sortir de la crise ?

Pour sortir le foot français de l’impasse dans laquelle il se trouve, un diffuseur doit racheter les droits TV de la Ligue 1 (à un prix qui sera forcément moindre que celui proposé par Mediapro, ndlr). RMC Sport, déjà très endetté, ne devrait pas se positionner. Quant à beIN Sports, ça étonnerait Mickaël Terrien : "Ils sont dans une stratégie de désengagement depuis plusieurs mois. BeIN Sport quitte peu à peu le marché, et quand on sort de ce secteur, on éponge ses dettes et on n’y revient pas." Surtout, la chaîne qatarie est liée à Canal+, grand favori pour récupérer le flambeau. "Canal+ a les clés en main. On parle d’une offre autour de 600 millions de Canal, ce qui ferait 800 millions au total", glisse Antoine Feuillet.

En pole position, Canal pourrait toutefois subir l’arrivée d’un nouvel opérateur. "On ne peut pas l’exclure", affirme Terrien, "mais ça parait compliqué parce qu’il faudrait repartir de zéro, créer une chaîne. Ou pourquoi pas aussi racheter la chaîne Telefoot ? C’est possible, mais la solution Canal reste la plus probable", tranche l’économiste. Quant aux GAFA, c’est peut-être encore un peu tôt pour le marché français : "Ils arrivent progressivement sur certains droits : Twitter diffuse la NASL, Amazon la Bundesliga. Quand est-ce que les GAFA vont arriver en Ligue 1 ? C’est la question. Mais celle que je me pose surtout, c’est est-ce que la Ligue 1 les intéresse vraiment ?", interroge Terrien. En attendant, si l’intérêt de tous est un accord rapide, Canal+ joue la montre. Et pour cause, pour la chaîne cryptée, diffuser la Ligue 1 n’est plus une nécessité absolue. Mickaël Terrien explique : "Le business model de Canal+ a changé : maintenant, il s’agit d’un agrégateur de contenus qui propose Disney+, Netflix, etc... Concrètement, diffuser la Ligue 1 n’est plus vital aujourd’hui pour Canal, qui s’en sort très bien sans. Ils se sont même aperçus qu’ils n’avaient pas perdu d’abonnés. Autrement dit, Canal va négocier tranquillement." Et en position de force.

• Pourquoi c’est presque une bonne nouvelle ?

En dehors des pertes financières pour les clubs, et des conséquences cruelles pour les employés méritants de la chaîne Telefoot, la fin du conflit entre la LFP et Mediapro pourrait être une bonne nouvelle. En tout cas, elle va permettre de tourner la page, ce qui est une bonne chose économiquement pour Mickaël Terrien : "C’est une très bonne nouvelle dans la mesure où la Ligue récupère ses droits et est libre de les recommercialiser. Elle va pouvoir acter une perte, qui sera un peu comblée par les 100 millions visiblement versés par Mediapro. Ca, c’est quand même une bonne nouvelle. Après, la perte financière en est une mauvaise. Avant de savoir l’ampleur des dégâts, il faut attendre le prochain accord commercial. En tout cas, la LFP va enfin pouvoir passer autre chose."

Un point de vue partagé par Antoine Feuillet : "La LFP a obtenu un prêt sur le premier défaut de paiement de Mediapro en octobre. Là elle avait du mal à obtenir un nouveau prêt. Sans les fonds d’un nouvel investisseur, les clubs se retrouveraient en grande difficulté pour assurer les frais quotidiens, notamment les salaires, pas que des joueurs. Si ça avait duré 3-4 mois de plus, on aurait assisté à pas mal de faillites en Ligue 2. Ca pourrait être encore le cas. Mais que la situation se règle maintenant, c’est plutôt bien." Enfin, le retour annoncé sur Canal+ est aussi une bonne nouvelle pour les spectateurs, fatigués de devoir multiplier les offres pour pouvoir suivre leur club. 

• Pourquoi le football français n’est pas en danger ?

Pour finir sur une note positive, précisons que dans l’absolu, le football français n’est pas en danger. Oui, ses revenus vont baisser, et donc son niveau global. Mais il ne faut pas craindre une explosion de la bulle football selon Mickaël Terrien : "Le football professionnel est une industrie qui présente une faible mortalité économique : les faillites sont rares. Et le resteront, même si à la crise structurelle s’ajoute une double crise conjoncturelle avec la Covid et les droits TV. Les clubs vont absorber les pertes mais ils vont être sauvés." Aussi, les instances de contrôle comme la DNCG, gendarme du foot français, ou le fair-play financier de l’UEFA, devraient être clémentes : "On peut s’inquiéter pour les clubs comme le LOSC, qui ont été achetés via un endettement parce que eux n’ont pas d’actionnaires pour éponger les dettes. Mais en réalité, ils seront protégés par les institutions. Quant au fantasme de l’explosion de la bulle football, d’une faillite générale des clubs professionnel, ça n’arrivera pas non plus."

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