Ligue 1 : quand Free révolutionne la manière de regarder le championnat de France
"Retrouvez tous les matches de la Ligue 1 Uber Eats sous forme d’extraits en quasi-direct". Le SMS reçu par les abonnés à l’opérateur Free lors du mois de septembre a forcément fait réagir sur les réseaux sociaux. Une application, gratuite lors des premières journées de championnat, qui permet de voir l’ensemble des matches de la Ligue 1 ? Pas exactement. Mais l’essentiel est ailleurs : Free a réussi son pari en faisant parler de son nouveau produit depuis le début de la saison.
En mai 2018, l’opérateur fondé par Xavier Niel acquiert pour 50 millions d’euros, et dans l’indifférence générale, les droits des "near-live clips", "les extraits en quasi-direct" comme les surnomme la Ligue de football professionnel (LFP) au moment de l'appel d'offres. La traduction parle d'elle-même : Free peut désormais retransmettre en quasi-direct sur son application jusqu'à 30 minutes d'un match, sous forme d'extraits vidéos de buts et d'actions. Depuis la 1re journée de championnat le 21 août dernier, et après quelques bugs initiaux, les détenteurs de l’application reçoivent donc des notifications qui leur permettent de regarder sur leur smartphone quelques secondes d'une rencontre, une ou deux minutes après que l'action ait eu lieu en réalité.
Voir sur Twitter
Pour l’univers du sport français, il s’agit d’une nouveauté. Ou plutôt d’une fonction cachée inutilisée jusque-là et que Free a décidé de déterrer en remportant l’appel d’offres en 2018. "En France, ces «near-live clips» existaient déjà mais n’étaient pas utilisés : ceux qui les détenaient étaient ceux qui détenaient les droits des matches en direct. Canal+ ou beIN Sports ne les utilisaient pas pour ne pas cannibaliser le direct", explique Pierre Maes, spécialiste de l’univers télévisuel du sport et auteur d’une enquête sur Le business des droits TV du foot (éditions FYP).
Un public ultra-connecté
Au lieu de devoir se coltiner un match soporifique de Ligue 1 pendant deux heures ou d’attendre le lendemain pour avoir accès aux images, la nouvelle application de Free propose donc à ses utilisateurs une consommation quasi-immédiate qui ne dure qu’une petite trentaine de secondes par action. "On vise un public qui veut suivre la Ligue 1 sans être contraint de passer une ou deux heures dans son canapé. On vise des personnes qui ont des impératifs et qui sont ultra-connectés", indique Frédéric Goyon, responsable de la ligne éditoriale de Free Ligue 1.
Si ce produit lui semble "très fort parce qu’on se demande toujours comment un fan de football peut regarder tous les matches", Pierre Maes juge également qu’il peut être "dangereux" pour la valorisation des droits TV car "l’application aura peut-être une influence sur la valeur du live". En proposant les meilleurs moments d’une rencontre en quasi-direct aux fans de football, ces derniers risquent en effet de se détourner des diffuseurs principaux que sont actuellement Téléfoot et Canal+. "Je continuerai de regarder les 90 minutes des matches de Ligue des champions, mais pour les matches de championnat, ça m’intéresse vraiment davantage de regarder certains moments en quasi-direct plutôt que la rencontre en entier", concède Ngmao Nory, qui utilise l’application depuis plusieurs semaines.
"Ce n'est pas une expérimentation, c'est service très actuel"
"Ça permet de suivre la Ligue 1 de manière pas trop compliquée. Quand ce sont des équipes qui m’intéressent moins, c’est sûr que je vais me tourner vers cette appli", souligne de son côté Yoann, qui a également téléchargé Free Ligue 1 et pour qui il existe tout de même une "sacralisation du match", qui doit être regardé en entier. Mais face au manque d’attractivité du championnat de France, dont certains matches peuvent être très longs à suivre en intégralité, l’application de Free pourrait ainsi changer les habitudes des fans de la Ligue 1.
Dès lors, se dirige-t-on vers une consommation plus sporadique de la Ligue 1 et du football en général ? "Les modes de consommation ont déjà évolué, et pas uniquement les fans de football. Le monde est plus instantané, plus social. On a donc un service qui s’adapte aux usages actuels en délivrant l’information en quelques secondes", rétorque Frédéric Goyon. "Ce n’est pas une expérimentation, c’est un service très actuel. Et on pense que ce mode de consommation peut cohabiter avec le mode de consommation traditionnel. On se présente comme complémentaire de Téléfoot et Canal+", ajoute le responsable de la ligne éditoriale de l’application.
Une action ou un but reflètent-ils le niveau d'une équipe ?
Certaines habitudes indiquent pourtant que les fans de sport pourraient se tourner vers des méthodes de consommation plus intermittentes : les nombreuses compilations de football disponibles sur internet permettent par exemple de ne pas avoir à regarder des matches en entier pour évaluer le niveau d’un joueur. L'application de Free tombe donc parfaitement sous le sens alors que l’hyper-sollicitation à laquelle sont soumis nos cerveaux aujourd’hui face à l’afflux d’informations à la seconde pourrait détourner le fan de football des 90 minutes de match. Face à cette attention en baisse des consommateurs, Netflix a par exemple récemment offert à ses utilisateurs la possibilité de regarder ses programmes en accéléré pour ne pas perdre de temps.
Un autre enjeu apparaît autour des "extraits en quasi-direct" : une action ou un but peuvent-ils refléter le niveau d’une équipe ? "Certaines choses ne se matérialisent pas dans les «near-live clips» ou dans des résumés. Sur une ou plusieurs actions, ce n’est pas possible de voir comment un joueur se débrouille sans le ballon, de l'évaluer. Un milieu essentiel comme Toni Kroos pourrait passer inaperçu et pourrait être moins considéré avec cette manière de consommer le football", explique Christophe Kuchly, journaliste et auteur de Comment regarder un match de foot ? Les clés du jeu décryptées.
Ne plus regarder 90 minutes, la nouvelle norme ?
Difficile donc d’appréhender toute la complexité du football en n’ayant accès qu’à plusieurs extraits vidéos de matches. "Soit cette application va être un complément, un ajout, et les gens continueront à regarder les matches. Soit ça va remplacer le visionnage d’un match et les avis des fans vont se baser sur ces actions et ces buts en quasi-instantané. J’ai peur qu’il devienne habituel de consommer le football de cette manière et que ça rentre dans la norme, qu’il n’y ait plus de substance autour", analyse Christophe Kuchly.
En plus des "near-live clips", l’application propose également "des contenus différents de ce qu’on peut constater dans les médias de sport plus classique comme des podcasts ou des vidéos", indique Frédéric Goyon. Ces contenus ainsi que les images en quasi-direct réussissent pour l’instant à l'application Free Ligue 1, qui a réuni 500 000 utilisateurs lors de la 4e journée de championnat. Face à ce succès, l’opérateur a décidé de prolonger la période de gratuité de l’application. Suite à cela, un abonnement sera mis en place pour tous les non-abonnés à Free. Après avoir remporté l’appel d’offres en 2018, l'opérateur va pouvoir faire fructifier ces droits jusqu’en 2024, et pourrait chambouler le marché des droits télévisuels du sport français ainsi que les habitudes de consommation des fans de football. Jusque-là inutilisés et inconnus, ces "extraits en quasi-direct" seront au cœur du prochain appel d'offres de la ligue selon Frédéric Goyon : "Leur valeur va continuer à augmenter. C’est le sens de l’histoire."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.