Ligue 1 : Lens-Saint Etienne, le football emblème de l'héritage minier
"Au nord, c’était les Corons", clame le refrain mythique de Pierre Bachelet, entonné par le stade Bollaert à chaque mi-temps d’un match du Racing Club de Lens. Mais les Corons, ce n’était pas qu’au Nord. On en trouvait ailleurs en France, et notamment dans le Forez, à Saint-Etienne. Et si le RC Lens est souvent vu comme LE club des mineurs en France, les Verts de l’ASSE partagent ce passé industriel et minier avec les Sang & Or. Une corporation aujourd’hui disparue, mais dont l’héritage berce autant le RC Lens que l'AS Saint-Etienne, et que les deux clubs transmettent chacun à leur façon, surtout via leurs supporters.
Les kops, lieux de transmission
A Lens, l’écusson du club rappelle déjà le passé du RCL, fondé par la compagnie des mines de la ville. Historienne spécialiste du monde ouvrier, Marion Fontaine raconte : "La compagnie des mines de Lens est la seule à avoir monté un club professionnel dans les années 1930, parce le patron voulait faire comme Peugeot à Sochaux ou les Fiat à Turin. Le RC Lens, c’était d’abord un instrument de promotion de la marque, puis de pacification sociale. Enfin, sur le papier : si un club de foot avait empêché une grève, depuis le temps on le saurait…". A Saint-Etienne, les Verts ne sont pas liés directement aux mines, mais aux magasins Casino. Légère différence. Mais les deux clubs ont surtout une flopée de points communs.
"Cette histoire ouvrière et minière, c’est la première chose qu’on évoque quand on parle de ces villes. Saint-Etienne, c’est la petite ville à côté de Lyon, nous la petite à côté de Lille", expose Jérôme, membre du kop lensois. Il poursuit : "Il y a une question de stade aussi, avec quatre tribunes à l’anglaise aux couleurs du club, et la même ferveur. Et enfin, on est fier de notre histoire minière et industrielle". Un bon résumé, pas tout à fait exhaustif, que vient compléter le Stéphanois Yoël, membre des Green Angels : "À cette époque là, il y avait pas mal d’immigration pour venir travailler dans les mines. Chez nous les gens venaient surtout d’Afrique du nord, d’Italie. A Lens c’était plus des Espagnols ou des Polonais : on a ce même héritage humain".
Forcément, un tel héritage se ressent dans les travées de Geoffroy-Guichard comme de Bollaert. "C’est très important, la mine est souvent représentée dans le virage. Elle fait partie de notre image et de notre esprit. Les mineurs nous ont légué leur solidarité", détaille Yoël, lui même petit-fils de 'gueule noire'. "On chante la mine au stade, via les Corons et d’autres chants. C’est un héritage de famille, de générations : il se transmet via le RC Lens. On fait des écharpes, stickers avec les corons, le paysage. Quand Lens rentre sur le terrain, il y a la sonnerie de l’ascenseur des mineurs qui descendait à la fosse". Dans la logique des choses, ce passé commun rapproche les deux entités et leur peuple.
Adversaires sur les terrains, le RCL et l’ASSE n’en sont pas moins amis en dehors. Officieusement, du moins. Pour preuve : on peut par exemple citer un tifo apparu un soir de janvier 2017, aux couleurs des deux clubs, dans le kop Lensois, avec une référence à Astérix : "Aux villages des irréductibles supporters de L1 notre temple et votre chaudron = la passion magique". Ou bien les Corons entonnés par les Stéphanois lors du décès de Daniel Leclercq, ou d’autres banderoles de soutien apparues dans les deux camps ci et là. "Quand on va à Saint-Etienne, ils reprennent souvent les Corons avec nous", assure Jérôme. En 2006, un jumelage avait même été prononcé entre l’Union des supporters stéphanois et le 12 lensois. Une initiative éphémère.
Amitiés, Saint-Barbe et différences
"Il n’y a pas de jumelage aujourd’hui. On n’en a pas besoin pour que ça se passe super bien. Ils vivent leur passion comme nous on la vit", justifie Jérôme, qui poursuit : "Je suis toujours allé à Saint-Etienne, ça s’est toujours bien passé, avec de grosses ambiances. On a fait des fêtes avec eux là-bas, je m’en souviendrai toute ma vie, mais je ne peux pas raconter (rires). Mais attention : on se respecte, on s'apprécie, mais on reste chacun supporter de notre club". Dans le Forez, Yoël approuve : "Une fois j’étais monté sur Lens pour voir jouer les filles de l’ASSE, ça se jouait à Arras. Je suis allé dans Lens avec mon maillot vert pour voir Bollaert, les gens me disaient qu’ils appréciaient les Verts. C’était hyper chaleureux". Conscient de cette amitié naturelle, le RC Lens avait alors émis le souhait de recevoir l’AS Saint-Etienne début décembre, à l’occasion de la Sainte-Barbe, la fête des mineurs.
"C’était une super idée...", regrette Jérôme, car cela ne s’est pas fait. Fabrice Wolniczak, directeur commercial du RCL, explique pourquoi : "Compte tenu du contexte on n’a pas pu comme tous les ans émettre des souhaits pour le calendrier. On n’a pas pu formuler la demande officiellement au près de la LFP. C’est dommage. Le but était d’associer le peuple vert à cette fête. On n’avait pas encore creuser les idées, mais ça aurait été moment de fraternité et aussi l’occasion de mettre les projecteurs sur cette fête qui est un moment important pour la population chez nous". Il faudra donc attendre un peu.
« L’ASSE a un truc en plus : son histoire, son palmarès, ses épopées européennes. Lens est plus le petit club qui a fait des beaux trucs, mais n’a pas l’impact sportif de Saint-Etienne »
Toutefois, si Lens et Saint-Etienne sont similaires, chaque club a ses particularités. Et les défend. D’un côté, l’ASSE s’appuie sur un des plus beaux palmarès du football français. Ce que reconnaît le Lensois Jérôme : "L’ASSE a un truc en plus : son histoire, son palmarès, ses épopées européennes. Lens est plus le petit club qui a fait des beaux trucs, mais n’a pas l’impact sportif de Saint-Etienne". Pour Fabrice Wolniczak aussi il ne faut pas faire d’amalgames : "Il y a une ferveur extraordinaire des deux côtés. De là à dire que ce sont les mêmes publics, non. Nous on a un kop unique en tribune latérale qui crée automatiquement une ambiance différente, surtout avec les instruments de musique. Chacun conserve ses particularismes. Nous ne sommes pas des frères, mais on se connaît et en un regard on se comprend".
Pour le Stéphanois Yoël, la différence réside aussi dans l’importance de l’héritage minier dans la vie du club : "On parle plus de l’héritage minier à Lens qu’à Saint-Etienne, le bassin minier du Nord est plus médiatisé, surtout depuis le film Germinal, qui a été tourné dans le nord, même s’il est tout aussi présent dans nos vies". Pour expliquer cette différence de traitement, c’est vers l’Histoire qu’il faut se tourner. Marion Fontaine éclaire : "A Lens, il n’y avait que la mine. A Saint-Etienne, elle faisait partie d’un tissu industriel plus large". Voilà pour les bases, mais la spécialiste de l'Histoire du monde ouvrier développe : "Le RC Lens a joué la carte minière pendant et après les mines pour faire de Lens un symbole de l’identité minière. Des dirigeants du club appuyés par la municipalité ont beaucoup mis en avant cette dimension pour se distinguer, c’était une façon de forger une image singulière. C’est une fabrication a posteriori. Par exemple chanter les Corons, ça apparaît dans les années 1990". Un chant depuis devenu un hymne, car au Nord, c’était bien les Corons. Mais aussi près du Chaudron.
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