Face à la crise, les clubs de Ligue 1 peuvent craindre un désengagement de leurs sponsors
Dans cette période de crise liée à la pandémie de coronavirus, la moindre perte de revenus est un coup dur pour les clubs de Ligue 1, dont l'activité est à l'arrêt depuis plusieurs semaines. Samedi dernier, le sponsor maillot des Girondins de Bordeaux, Bistro Régent, a été le premier à suspendre provisoirement les versements prévus dans le contrat de partenariat évalué à 1,4 million d'euros par an. Une décision justifiée par Marc Vanhove, le PDG de l'entreprise de restauration, dans les colonnes de Sud Ouest : "Je ne peux pas payer pour une prestation qui n'a pas lieu. Il n'y a pas de match, pas de représentation de la marque au niveau national".
Cette mésaventure, plusieurs clubs de Ligue 1 pourraient la vivre à en croire le dirigeant de Bistro Régent, pour qui plusieurs entreprises se désengagent sans l'annoncer publiquement. Deux autres cas ont ainsi suivi celui des Girondins : le Paris Saint-Germain, avec son partenaire Accor qui a finalement précisé, par l'intermédiaire de son PDG Stéphane Bazin, que tous les versements prévus cette saison avaient déjà eu lieu ; et le Stade Rennais, dont le sponsor maillot, Samsic, s'interroge depuis plusieurs jours sur la conduite à tenir dans les prochaines semaines. Un questionnement "logique" selon Nicolas Holveck, président du club breton.
Faute de compétition, les partenaires doutent. En temps normal, le sponsoring sportif est "un outil de communication extrêmement puissant. Il associe votre marque à des moments de passion et de ferveur", analyse Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora. Mais sans la visibilité espérée, dans le flou concernant la reprise des compétitions, avec une crise économique majeure qui les frappe de plein fouet, les entreprises sont tentées, si les clauses du contrat le permettent, de piocher sur le budget du sponsoring sportif.
Que représente le sponsoring sportif dans le budget des clubs de Ligue 1 ?
En moyenne, en se basant sur le rapport de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) publié en mars et qui concerne l'exercice 2018-2019, 16% du budget total des clubs de Ligue 1 provient du sponsoring. Mais ce pourcentage varie fortement selon les clubs : le budget de Nîmes repose majoritairement sur le versement des montants issus des droits télévisés - qui représentent la principale source de revenu pour tous les clubs de Ligue 1 -, mais ne compte qu'à 4,6% sur les revenus de sponsoring, évalués à 1,5 million d'euros.
À l'opposé, 29,6% du budget du Paris Saint-Germain provient de ses partenaires (pour 195 millions d'euros), talonné de près par l'Olympique de Marseille (28,8% pour 37 millions d'euros).
À court terme, la priorité des droits télévisés
Dans l'immédiat, les clubs de Ligue 1 semblent plus préoccupés par la perte des droits télévisés, leur principale source de revenu. Les grosses écuries du championnat surtout, davantage perdantes proportionnellement par rapport aux clubs moins fortunés - comme l'a rappelé L'Équipe il y a quelques jours, Brest a par exemple touché 91% de ses recettes télévisées de la saison, le PSG seulement 60%. Malgré tout, "si les partenariats ne représentent pas la principale recette des clubs, cela reste un enjeu très important", explique Christophe Lepetit, responsable des études économiques au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges.
À court terme, les clubs avec peu de ressources comme Nîmes, Amiens ou Reims, et dont les revenus reposent très fortement sur les droits télévisés, qu'ils ont donc presque touché en intégralité cette saison, perdraient peu à voir leurs sponsors se désengager dans les prochaines semaines. "Mais l'incertitude est tellement importante sur tous les postes de recettes que c'est loin d'être négligeable", analyse Christophe Lepetit. Quant aux gros clubs, comme l'Olympique Lyonnais ou le PSG, ils peuvent compter sur des partenaires aux reins solides. L'Olympique de Marseille, club le plus déficitaire de Ligue 1 sur l'exercice précédent, pourrait lui craindre fortement un désengagement à court terme de ses sponsors. Le budget de l'OM repose à 30% sur ces derniers, et le club phocéen fait partie des plus lésés par la suspension des droits télévisés. Heureusement pour l'OM, l'UEFA a décidé de suspendre le mécanisme du Fair-play financier, qui a épinglé le club il y a peu de temps, pour la saison prochaine.
Sur le long terme, les clubs aux faibles budgets en danger
En revanche, sur le long terme, les clubs aux plus petits budgets, souvent soutenus par des entreprises locales, risquent de payer les pots cassés. Alors que les contrats sont généralement renouvelés d'une année en année, "il y a une menace réelle et sérieuse que lors des renégociations de contrat, certains partenaires disent qu'ils ne peuvent pas maintenir leur engagement pour la saison à venir", analyse Christophe Lepetit, dont la réflexion se base sur une étude publiée récemment par l'Union sport et cycle. Selon cette dernière, 60% des entreprises sponsors de clubs sportifs disent vouloir mettre un terme à leurs partenariats à la rentrée.
Pour Gary Tribou, professeur à l'université de Strasbourg et spécialiste du sponsoring sportif, "la bagarre est telle sur le marché du partenariat que les clubs signeront d'autres contrats rapidement". Un avis que ne partage pas Christophe Lepetit, pour qui la crise actuelle devrait avoir un impact très important sur le futur du sponsoring sportif. Dans cette situation, les contrats longue durée permettent aux clubs d'envisager la suite plus sereinement. L'OL ou le PSG peuvent ainsi compter sur ce type d'engagement avec ses sponsors respectifs, Fly Emirates (à partir du début de la saison prochaine) et Accor, tandis que Montpellier (Groupe Nicollin), Strasbourg (ÉS), Dijon (Roger Martin) ou encore Nantes (Synergie) possèdent les mêmes partenaires depuis très longtemps maintenant. "Ce serait interprété comme une véritable trahison si ce genre de partenaire historique lâchait le club ou suspendait les versements", assure Gary Tribou. Mais rien ne dit que ces partenaires ne renégocieront pas à la baisse les contrats.
Repenser le modèle de partenariat ?
Face à la perte des revenus liés aux sponsors, Gary Tribou brandit la carte des transferts pour compenser financièrement : "Il suffira de bien vendre un ou deux joueurs". Mais alors que le marché des transferts devrait être profondément impacté par la crise, l'éloignement des sponsors risque de peser fort sur le budget des clubs dans les prochains mois.
Devant l'ampleur de la crise et l'impact qu'elle pourrait avoir sur les partenariats, Christophe Lepetit souhaite que cette expérience permette de repenser le sponsoring sportif : "On doit voir comment passer de cette logique contractuelle à une logique d'engagement des partenaires à un projet. C'est en engageant davantage les sponsors autour d'un projet qu'on réduira aussi le risque de sortie sur ce type de séquence".
Dans les prochains mois, les responsables des partenariats au sein des clubs de Ligue 1 auront donc du pain sur la planche. Avec la crainte de voir les sponsors se retirer définitivement, ou que ces derniers, à l'image de l'annonce faite par Marc Vanhove, le PDG de Bistro Régent, souhaitent "renégocier les montants", très probablement à la baisse.
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