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Comment la Turquie est devenue l'eldorado des footballeurs français

A l'image de Mathieu Valbuena, de nombreux internationaux français et étrangers ont quitté la Ligue 1 cette année pour rallier la Super Lig plutôt que les championnats italien, anglais, allemand ou espagnol. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Mathieu Valbuena accueilli par les fans de Fenerbahce à l'aéroport Atatürk d'Istanbul (Turquie) le 12 juin 2017. (OZAN KOSE / AFP)

Bafétimbi Gomis, Younès Belhanda, Jérémy Menez, Mathieu Valbuena ou encore Nabil Dirar. Ces piliers de la Ligue 1 ont tous pris le chemin de la Turquie cet été, accueillis à chaque fois par une foule compacte dans le terminal de l'aéroport. En attendant peut-être Gaël Clichy ou Bakary Sagna. Mais pourquoi choisir ce championnat méconnu alors que ces internationaux ne sont pas encore tout à fait en fin de carrière et que la Super Lig ne peut pas vraiment être qualifiée d'antichambre de la retraite ? Eléments de réponse.

Une fiscalité défiant toute concurrence

C'est l'immense atout dans la manche de la Turquie : un taux d'imposition à 15% pour les footballeurs, le deuxième plus attractif d'Europe (derrière la Bulgarie, dont le championnat ressemble à un champ de ruines). C'est trois fois moins que dans l'Hexagone. C'est aussi beaucoup moins que... pour les fonctionnaires turcs (27%), dont la fiche de paye comprend bien moins de zéros, expliquait en 2015 le Daily Sabbah. "Autre avantage considérable : les clubs turcs prennent systématiquement en charge l'impôt", déclare Charles Le Lez, ancien professeur de droit fiscal à l'Ecole des agents, au journal L'Equipe (article payant). Ajoutez à cela l'exonération dont bénéficient les clubs, et vous comprenez vite le raisonnement des joueurs qui touchent plus sur un salaire de 8 millions d'euros annuels en Turquie que de 10 millions en Espagne. 

Un championnat de nouveau attractif

Longtemps, le championnat turc a pâti d'une image peu sérieuse. Quand la junte militaire renverse le pouvoir en 1981, la première décision d'un des généraux est de promouvoir Ankaragucu en D1 sous prétexte que "la capitale mérite un représentant dans l'élite".

Quand le prestigieux entraîneur italien Carlo Ancelotti est débarqué de Parme en 1998, Fenerbahce commence une cour effrénée. Tout en ayant aucune intention de signer là-bas, le coach italien enchaîne les demandes extravagantes pour voir jusqu'où ce club jugé peu sérieux peut aller pour le séduire. "J'ai demandé une villa avec accès à la plage. 'Accepté'. Une voiture avec chauffeur. 'Pas de problème'. Les billets d'avion pour l'Italie remboursés. 'OK'. J'amène mon staff sans que vous ayez un droit de regard. 'Pas de souci'", raconte-t-il dans son livre The beautiful games of an ordinary genius. Un empressement douteux à satisfaire ses demandes considère l'actuel coach du Bayern Munich. La crédibilité du championnat en prenait encore un coup en 2011, quand la police démasquait un vaste réseau de matchs truqués impliquant les clubs phares du pays.

De l'histoire ancienne ? Depuis, la Super Lig s'est considérablement renforcée. Des hommes d'affaires ont succédé aux aventuriers à la tête des clubs - ainsi à Galatasaray, un businessman a remplacé... un marchand d'armes. Les gros clubs ont accru leurs revenus - Galatasaray s'est ainsi doté d'un stade flambant neuf de 52 000 places, le plus grand du pays, rapidement garni par 40 000 abonnés fidèles. Conséquence de ce renouveau : les droits télé ont explosé, passant de 5 millions d'euros en 1994 à près de 400 millions aujourd'hui.

L'attaquant français Bafé Gomis arrive à l'aéroport Atatürk d'Istanbul (Turquie), le 28 juin 2017. (OZAN KOSE / AFP)

Le système des quotas bazardé

Il n'y avait que neuf joueurs étrangers en Super Lig en 2002. On en compte aujourd'hui près de 200. Jusqu'en 2014, le pouvoir avait instauré un strict quota de joueurs étrangers pour favoriser le développement des jeunes éléments turcs. Un système pervers, qui a entraîné une flambée des prix dès qu'un local atteignait un niveau correct.

Ainsi, Bursaspor exigeait le prix astronomique de 12 millions d'euros pour son milieu défensif de 19 ans, Ozan Tufan, qui en vaut deux fois moins, note Hurriyet. La bulle spéculative a fini de convaincre les autorités, qui ont élargi, depuis la saison 2015-2016, ce quota à 14 étrangers maximum au sein des effectifs. Allié à l'explosion des droits télé, cette décision explique l'appel d'air de joueurs de Ligue 1 de l'autre côté du détroit du Bosphore.

Des clubs (un peu) mieux gérés

L'unique club turc à avoir gagné une coupe d'Europe, Galatasaray en 2000, a connu des lendemains qui déchantent. Vainqueurs de feu la coupe de l'UEFA face à Arsenal avec une équipe de stars (le meneur roumain Gheorghe Hagi, le gardien brésilien Claudio Taffarel, l'attaquant vedette Hakan Sukur) aux salaires tellement élevés que le président du club a dû les brader lors des mercatos suivants.

Depuis quelques années, les clubs turcs parviennent à retenir leurs stars. Enfin, celles qui ne sont pas trop regardantes sur le versement des salaires en temps et en heure. Même la tête de gondole de la Super Lig, le Néerlandais Wesley Sneijder, a dû taper du poing sur la table. "C'est vrai que je n'ai pas été payé, Galatasaray travaille dur pour débrouiller la situation", avait grondé publiquement le Néerlandais après deux salaires de 300 000 euros non versés. Une semaine plus tard, le club avait trouvé les fonds.

Le meneur de jeu de Galatasaray, Wesley Sneijder, lors d'un match contre Osmanlispor, à Istanbul, le 19 mai 2017. (METIN PALA / ANADOLU AGENCY / AFP)

Mais cette politique de gros salaires à des conséquences. Galatasaray, Fenerbahce Besiktas et le club Trabzonspor trustent le haut de la liste des clubs européens les plus endettés, avec près d'un milliard d'euros dans le rouge à eux trois, insiste Hurriyet.

Un fort soutien politique

Dans les années 1980, le pouvoir cherchait à apaiser les régions kurdes en y délocalisant les matchs de coupe de Galatasaray, le plus populaire du coin. Football et politique ont toujours eu des liens étroits en Turquie. Le président Erdogan ne fait pas exception à la règle, et compte sur le soft power de la Super Lig pour remodeler l'image de son pays.

Sportivement, il entend en faire l'un des quatre plus gros championnats du monde, dans le sillage de la Premier League anglaise ou de la Liga espagnole. Pour cela, il n'a pas lésiné sur les moyens, en bâtissant une douzaine de stades dans tout le pays - dans les villes où l'AKP, son parti, fait ses meilleurs scores, disent ses détracteurs.

Méfiance tout de même pour les candidats tricolores à l'exil. Certaines destinations de l'arrière-pays peuvent s'avérer moins alléchantes que prévu. L'ailier anglais Darius Vassell avait passé une année seul dans sa chambre d'hôtel à Ankara pendant la saison 2009-2010 et lancé un blog pour partager son spleen. "Impossible de dormir, je ressasse tous mes problèmes, cherche la bonne solution. Allongé sur le lit, réveillé, avec le son de la climatisation comme la salle des machines de toutes mes pensées négatives..." L'aventure de Vassell à Ankara tournera court... quand le club oubliera de payer sa note d'hôtel. 

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