1968, quand le foot français était (déjà) au point mort
Stade de la Meinau, le 19 juillet 1968. Ce Strasbourg-Nîmes estival a plus des allures de reprise de saison que d'épilogue. Pourtant, c'est bien son maintien en D1 que le Racing obtient grâce à un match de barrages victorieux (3-0). "On prenait sur nos vacances ! Si on avait réservé, on avait été obligés d'annuler", se souvient Philippe Piat, buteur pour les Alsaciens ce jour-là. "Mais ce que j'en ai gardé comme souvenir, c'est que nous, les joueurs, on avait envie de jouer ces matches, vu qu'il s'agissait de ne pas descendre en D2", poursuit l'actuel président de l'UNFP, le syndicat des joueurs.
Cause de ce dénouement de saison programmé en plein été: les mouvements sociaux du printemps, qui ont mis le pays à l'arrêt, football y compris. "Tout s'est arrêté de fait. A cette époque, les équipes circulaient souvent en train, or tous les transports ont été stoppés nets. Il n'y avait pas les moyens pour poursuivre le championnat", explique Alfred Wahl, historien du football ayant consacré un article sur "le Mai 68 des footballeurs" dans la revue Vingtième Siècle (1990). Yves Chauveau, alors gardien de Lyon, se remémore les complications ayant suivi le déplacement de l'OL à Valenciennes le 18 mai. "En raison de la grève, nous étions rentrés à Lyon en bus car nous n'avions pas pu repartir en avion", décrit-il.
Une fin de saison en juillet
Le 22 mai, seuls trois matches de la 34e journée du championnat peuvent avoir lieu (dont celui de Saint-Etienne, déjà assuré du titre). Le même jour à Paris, plusieurs dizaines de footballeurs, principalement amateurs, investissent les locaux de la Fédération française, réclamant le retour du "football aux footballeurs" et fustigeant "les intérêts égoïstes des profiteurs du sport". L'occupation dure quatre jours. L'interruption du championnat, trois semaines. "Les matches avaient été interrompus et même les entraînements", se rappelle Robert Nouzaret, milieu de terrain de l'OL à l'époque. "Les employés municipaux ne travaillaient plus. La pelouse de Gerland était très haute car ils ne tondaient plus le gazon", sourit l'ancien joueur, désormais âgé de 76 ans.
Mais les problèmes s'arrêtent là: "Le souci à l'époque n'était pas tant de jouer mais d'aller chercher de l'essence ! Pour cela, nous nous rendions en Suisse", glisse Nouzaret. "La coupure était provisoire, on savait que ça n'allait pas durer", prolonge son coéquipier et capitaine Fleury Di Nallo. Dès le 12 juin en effet, le championnat reprend. Le 5 juillet, la 38e journée marque la fin tardive de la saison régulière. Les barrages de relégation, impliquant à l'époque deux clubs de l'élite et deux clubs de D2, ont lieu courant juillet. La saison suivante ne reprend que le premier week-end de septembre. Bref, le calendrier est sereinement revu.
Pas de problème de contrats...
"A l'époque, c'était moins problématique pour terminer le championnat car il n'y avait pas toutes les compétitions organisées aujourd'hui. Nous ne jouions qu'une fois par semaine, le dimanche à 15 heures la plupart du temps", explique Yves Chauveau. "Je ne me souviens pas que le championnat en avait été très perturbé comme il peut l'être aujourd'hui", appuie Nouzaret.
En 1968, pas d'imbroglios administratifs une fois le 30 juin arrivé: les contrats de l'époque liaient automatiquement les joueurs à leur club jusqu'à leurs 35 ans. "Le joueur n'avait aucun droit à la parole, il était vendu à son président", relève Alfred Wahl. Principale conséquence du printemps social sur le football ? La réforme du contrat du joueur professionnel, justement, selon l'historien. Dès 1969, la création d'un nouveau statut pro, renforcé en 1973 par la Charte du football professionnel, libéralise en effet la situation des joueurs. "Les prix explosent, les joueurs se mettent à négocier eux-mêmes leur salaire, cela fait progressivement venir les agents", résume M. Wahl. "C'est un tournant". Cinquante-deux ans plus tard, avec le coronavirus, le foot français connaît un autre tournant, dont les conséquences restent à déterminer.
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