Liga : le racisme dans le football espagnol, un mal ancien
C'est presque devenu une routine. L'ailier brésilien Vinicius Junior a subi, dimanche 21 mai, des insultes racistes, lors du déplacement de son équipe du Real Madrid à Valence. Une fois de plus, serait-on tenté de dire, tant le Madrilène - ou plutôt, sa couleur de peau - suscite une haine viscérale dans de nombreux stades espagnols. Avant Mestalla, il y a eu, entre autres, Barcelone, Valladolid ou Majorque avec, à chaque fois, des "mono, mono" ("singe") sans équivoque tombés des tribunes. Des insultes qualifiées de "délit de haine" par le club merengue, qui a annoncé porter plainte au lendemain des faits.
"Nous avons un problème de comportement, d'éducation, de racisme dans notre pays", a reconnu le président de la Fédération espagnole de football Luis Rubiales, lundi, en conférence de presse. Vinicius est même allé plus loin." Le championnat qui appartenait autrefois à Ronaldinho, Ronaldo, Cristiano et Messi appartient aujourd'hui aux racistes", s'est-il indigné dans un message sur Instagram, y accolant ironiquement le slogan "No es fútbol, es La Liga" ("Ce n'est pas du football, c'est La Liga"), si cher au sulfureux président de la Ligue espagnole de football, Javier Tebas.
La Liga accuse Vinicius
Face à cette situation qui entache l'image de son championnat, ce dernier n'a rien trouvé de mieux que... de fustiger le comportement de Vinicius. "Nous avons voulu t'expliquer ce que fait la Liga pour agir contre le racisme, mais tu ne t'es présenté à aucun rendez-vous programmé, a tweeté Javier Tebas dimanche soir. Avant de critiquer et d'insulter la Liga, tu dois t'informer."
L'efficacité du protocole mis en place par l'instance peine à se traduire dans les stades, tant les affaires se sont multipliées ces derniers mois. Une dizaine de plaintes pour racisme ont ainsi été déposées depuis le début de la saison, soit autant que sur les cinq exercices précédents. Celles-ci n'aboutissent pourtant que très rarement à des sanctions. En décembre dernier, le Tribunal de Madrid a, par exemple, blanchi certains supporters de l'Atlético, au motif que leurs chants - comparant, déjà, Vinicius à un singe - s'inscrivaient dans un contexte de "grande rivalité sportive", le derby madrilène en l'occurrence. Le Real Valladolid a, de son côté, infligé à dix de ses supporters une sanction plus lourde (trois ans d'interdiction de stade) que celle promulguée par la justice (un an d'interdiction et 4 000 euros d'amende). Valence a annoncé dans un communiqué [en espagnol], lundi, son intention de bannir à vie les personnes qui s'en sont pris à Vinicius dimanche.
Pape Cheikh Diop, passé par Lyon, a également été victime d'insultes racistes lorsqu'il jouait à Levante, en 2014, au cours d'un match contre l'Atlético."J'en ai aussi souffert en France, mais c'est encore plus fort en Espagne, narrait-il pour Marca en 2021. Aucune sanction n'a alors été prise contre les supporters colchoneros, à qui Diop a répondu en dansant. "On m'a même demandé des excuses. Cela dit beaucoup de la manière dont le problème est considéré en Espagne", poursuivait-il. D'autres épisodes marquants, comme des jets de bananes à l'encontre de Daniel Alves à Villarreal en 2014 ou des cris de singe visant Samuel Eto'o à Saragosse en 2006, avaient déjà émaillé le football espagnol, sans que les rencontres ne soient arrêtées.
L'extrême droite en progression constante
A ce jour, un seul match a déjà été interrompu pour cause de "discours haineux" outre-Pyrénées, dans un contexte bien particulier. Lors d'un match de deuxième division en décembre 2019, le joueur ukrainien d'Albacete Roman Zozulya avait été traité de "nazi" par certains supporters du Rayo Vallecano, club marqué à gauche. La rencontre avait été stoppée à la mi-temps."Toutes les situations sont différentes, c'est à l'appréciation de l'arbitre", avait alors expliqué peu après Javier Tebas sur La Sexta, se camouflant derrière un "deux poids, deux mesures" étonnant.
L'homme ne fait pas mystère de ses opinions politiques : "Je sais où j'en suis et c'est public : je n'ai pas voté pendant de nombreuses années et depuis que je l'ai refait, je l'ai toujours fait pour Vox", avait-il dit dans El Periodico de Espana . Cette formation politique (la première de ce bord depuis la chute du franquisme en 1975) est créditée de 15% d'intentions de vote, selon un sondage GAD3 pour ABC daté de mars 2023, faisant d'elle la troisième du pays."Vox se présente comme un parti autoritaire, xénophobe, homophobe et nationaliste", décirvait Lluis Orriols, professeur de sciences politiques de l'université Carlos III de Madrid, dans Les Echos en 2018 . Ces déclarations ambiguës à répétition du président de la Liga n'aident pas vraiment à prendre la mesure du problème.
L'Espagne s'est pourtant dotée en 2007 d'une loi contre la violence, le racisme, la xénophobie et l'intolérance dans le sport."Mais le problème, c'est qu'on n'agit pas, relève Raul Martinez Corcuera, professeur de communication à l'Université de Vic interrogé par l'AFP en avril 2021. Il faut fermer des tribunes, des stades, il faut nettoyer." La route est encore longue.
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