"La corruption dans le foot anglais" : le surprenant mémoire universitaire d'un joueur de foot islandais
Peut-on truquer un match (même amical) sans se faire pincer ? Les Bleus feraient bien de ne pas essayer, vendredi soir, contre les Islandais. Leur défenseur Kari Arnason est l'auteur d'un mémoire universitaire... sur les dessous de table dans le football. Un document toujours top secret.
"Comment ça, mon mémoire ?" Visiblement, Kari Arnason s'attendait à parler de beaucoup de choses, sauf de ça. Des retrouvailles avec les Bleus (désormais champions du monde) en match de qualification de l'Euro 2020, vendredi 11 octobre, par exemple. D'Olivier Giroud, "cet attaquant incroyable que vous aimez bien critiquer, vous les Français". De "la technique folle" de Kylian Mbappé. Mais "parler de [s]on mémoire, alors là, sacrée surprise...", a souri le joueur de 35 ans, joint par franceinfo fin septembre 2018. Il venait tout juste de se qualifier pour le quatrième tour de la Coupe de Turquie, avec son équipe de Gençlerbirligi (il a signé depuis au Víkingur Reykjavík), lorsqu'il a décroché son téléphone pour nous répondre.
C'est que le sujet traité dans ce fameux mémoire, "La corruption dans le football anglais", a ouvert grand les yeux de franceinfo. Tout simplement. C'est écrit noir sur blanc sur la page de couverture. Kari Arnason en convient, ce n'est pas tous les jours qu'un footballeur écrit un mémoire, encore moins sur une problématique aussi sensible.
"Il y avait des choses choquantes"
Pour comprendre ce qui l'a poussé à produire ce travail universitaire, il faut revenir en 2010. Le défenseur central islandais arbore depuis peu le vert et le blanc du maillot de Plymouth Argyle, club de deuxième division anglaise. "A côté des matchs et des entraînements, j'avais du temps, raconte le joueur. Alors, parallèlement, je me suis inscrit comme étudiant en filière 'business' à l'université de Bifröst, chez moi en Islande. Je suivais les cours à distance".
Il y avait tellement d'histoires qui circulaient dans les vestiaires. J'étais sur place, au cœur, je voulais creuser le sujet.
Kari Arnasonà franceinfo
Tout en prenant bien soin de faire attention à ce qu'il peut dire et ne pas dire, Kari Arnason accepte de détailler "un peu" ces fameuses "histoires de vestiaires". Il évoque essentiellement "des pots-de-vin et des commissions occultes". Ça se passe en Premier League mais aussi en Premiership (l'équivalent de la deuxième division). "Je trouvais ça impressionnant qu'il y ait des choses aussi choquantes en Angleterre, l'un des plus grands championnats du monde. Alors je voulais vérifier ce qui se disait."
Au total, son enquête dure cinq mois. Il interroge des dizaines de personnes du milieu. Des joueurs, des managers, des membres du staff, des agents... Il coupe : "Pour que tout soit clair, aucune des personnes que j'ai interviewées n'était impliquée dans ce genre d'affaires. Mais certaines étaient en mesure de faire la lumière sur la façon dont tout cela se passait et de confirmer certaines choses."
Pour rester "discret", il ne parle pas de ses travaux à ses coéquipiers. Ou très peu. Et c'est le soir, après l'entraînement, qu'il se met au clavier. "Je jouais mes matchs les uns après les autres, tout en continuant de rédiger mon mémoire", décrit-il. Il finit par rendre un dossier de cinquante pages. Note finale : 8,5 sur 10. Réaction de l'intéressé : "Oui, oui, c'est pas si mal", lâche-t-il, modeste.
"Je savais juste qu'il faisait des études"
Des pressions ? L'international islandais affirme n'en avoir reçu aucune, "que ce soit de la part des joueurs, des clubs, de la Fédération anglaise, de l'UEFA..." Ni pendant la rédaction du mémoire, ni après. La preuve : les noms des personnes qui ont accepté de répondre à ses questions n'ont jamais filtré. Confidentialité totale, "même vous, vous n'avez pas l'autorisation de lire mes travaux, désolé..."
Ils ne voulaient pas qu'on donne leur nom, je ne vais pas rompre la confiance... ce serait tellement facile de retrouver ensuite qui a dit quoi.
Kari Arnasonà franceinfo
Sollicitée par franceinfo, l'université de Bifröst en Islande n'était pas en mesure de nous donner accès au mémoire. Aujourd'hui encore, "plein de gens ne sont pas au courant" de son mémoire, conservé dans un dossier caché quelque part dans son ordinateur. A commencer par l'attaché de presse de l'équipe nationale islandaise qui "savai[t] juste qu'il faisait des études".
Aucun de ses coéquipiers qui ont joué avec lui lors de la Coupe du Monde en Russie à l'été 2018 n'ont lu ses textes. Pas plus que ceux qui étaient sur la pelouse du Stade de France, le 3 juillet 2016. Ce soir-là, ils affrontaient les Bleus en quart de finale de l'Euro. "Ça avait été disons... compliqué", se rappelle le numéro 14. Une manière sobre de dire que son gel dans les cheveux n'avait pas tenu très longtemps face aux accélérations de Blaise Matuidi et consorts. Défaite 5-2.
Celui qui parle quatre langues couramment (islandais, anglais, suédois et danois) n'a pas vraiment eu envie d'apprendre le français ce soir-là. En revanche, il promet d'essayer de se mettre "un peu au turc", "même si mon contrat avec Gençlerbirligi n'est que d'un an". Ah, et il est aussi en train d'intégrer un master à l’Université Robert Gordon à Aberdeen (Ecosse). "Dans deux ans, je devrai de nouveau faire un mémoire." Son sujet n'a pas encore été validé. Mais les footballeurs écossais feraient quand même bien de se méfier.
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