Football : pourquoi y a-t-il de moins en moins d'entraîneurs français dans les grands championnats européens ?
Il était le dernier. Mardi 14 novembre, Naples a limogé Rudi Garcia cinq mois après son arrivée, le remplaçant par Walter Mazzarri. Désormais, plus aucun entraîneur français n'opère dans les grands championnats européens. Seule la Ligue 1 compte des représentants tricolores, et encore, ils ne sont que huit, soit moins de la moitié. Il y a encore quelques années, la France était pourtant bien représentée à l'étranger, avec Arsène Wenger à Arsenal ou encore Zinédine Zidane au Real Madrid. Comment expliquer cette raréfaction grandissante ?
Un des axes avancés concerne la barrière de la langue. Elle reste un obstacle à l'exil des entraîneurs français, comme l'a rappelé le sélectionneur de l'équipe de France, Didier Deschamps, l'été dernier. "On a objectivement un handicap : notre pratique des langues étrangères. Nous ne sommes pas assez bons dans ce domaine. Un entraîneur étranger, en France, peut ne pas parler français, on l’admettra. Va en Italie, en Angleterre ou en Espagne. Si tu ne parles pas la langue du pays, tu n’es même pas sollicité", a constaté le double champion du monde dans les colonnes de VSD.
Un problème qui freine l'expatriation, comme pour Didier Tholot, qui a alterné entre la France (Reims, Châteauroux, Nancy) et la Suisse (Sion). "J'aurais pu avoir d'autres opportunités ailleurs en Europe, mais qui se sont vite refermées, parce que je ne parle pas l'anglais couramment, et je ne parle pas d'autres langues. Ça devient primordial aujourd'hui de pouvoir s'exprimer en deux ou trois langues", a confié le technicien à franceinfo: sport.
Un apprentissage manquant lors de la formation pour devenir entraîneur, souligné par le directeur technique national (DTN) du football français, Hubert Fournier. Ce dernier a confirmé à SoFoot que la question s'est pourtant posée. "On s’est demandé : est-ce qu’on doit travailler sur les langues ? Mais ce n’est pas notre métier, déjà, et on ne peut pas obliger un entraîneur français à parler anglais, même si je milite pour."
Une différence dans la formation avec d'autres pays ?
Autre axe d'interrogation : la formation française a-t-elle du retard sur les autres ? Au Portugal, les entraîneurs suivent un cursus universitaire en parallèle, à l'image de José Mourinho et son master en Droit, Économie et Gestion du sport. Les Italiens se rejoignent eux à Coverciano (Toscane), le centre technique national, pour passer leur examen avec la rédaction d'une thèse de plus de 100 pages présentant leurs idées tactiques.
L'actuel entraîneur de l'OGC Nice, Francesco Farioli, a passé cette étape et fait partie des 16 entraîneurs diplômés en Italie. Une formation qui réussit plutôt bien puisque les Aiglons jouent les premiers rôles en Ligue 1. Roberto De Zerbi, autre entraîneur italien en vogue, est très apprécié du côté de Brighton, où il propose un des jeux les plus séduisants d'Angleterre.
Mais en France, le souci n'est pas lié à la formation selon Christian Damiano, qui a bien connu le football étranger pour avoir été l'adjoint de Claudio Ranieri à l'AS Rome et à l'Inter Milan (2009-2012), ou encore de Gérard Houllier à Liverpool (2003-2004). "C'est plus un problème de coulisses que de formation, tempère-t-il. La formation française est longue et difficile. Quand j'étais à la DTN, on allait voir comment ça se passait dans les autres centres de formation d'entraîneurs, comme à Coverciano (Italie) ou ailleurs, pour s'informer. Les Français sont armés à ce niveau-là, mais ne sont pas assez présents sur le marché international."
"Il y a du lobbying aussi dans ce secteur"
Christian Damiano évoque également le rôle des agents, primordial aujourd'hui pour obtenir un poste. Il a été confronté, lorsqu'il était DTN de la Chine, à des agents "espagnols et portugais qui proposaient des entraîneurs parfois moins compétents que les Français, mais réussissaient à les placer quand même grâce à la puissance de leurs contacts". Un sentiment que partage Francis Gillot, qui soulignait déjà le manque de réseau des entraîneurs français il y a deux ans. "Aucun entraîneur français ne travaille avec un agent capable d'avoir des connexions à l'étranger", avait assuré à franceinfo: sport l'ancien entraîneur de Sochaux, Lens ou Bordeaux.
Le relationnel est déterminant pour retrouver un poste, y compris en passant par les médias. "Il y a du lobbying aussi dans ce secteur. Il faut montrer sa tête à la télévision, être partout", assure Mécha Bazdarevic, ancien entraîneur de Grenoble et de l'ES Sahel en Tunisie. Quelques anciens joueurs ou entraîneurs devenus consultants ont trouvé un poste d'entraîneur, à l'image de Rudi Garcia, parti à Marseille après l'Euro 2016 ou Habib Beye au Red Star (National), après un passage remarqué sur Canal+.
Les entraîneurs français restent donc le plus souvent dans l'Hexagone pour se faire un nom. Une situation que regrette Denis Troch, ex-adjoint au PSG et aujourd'hui coach en optimisation de performance. "Je crois que les entraîneurs français ne veulent pas suffisamment être à l'étranger. Pourtant, il faut entraîner pour avoir de l'expérience, quitte à passer trois ans aux Etats-Unis ou en Italie", avait-il expliqué pour franceinfo: sport il y a deux ans.
Une analyse que Christian Damiano interroge. "Il peut y avoir une part de frilosité de la part des entraîneurs français. Est-ce qu'ils veulent partir ? C'est une autre culture, il faut vite s'adapter. Les entraîneurs français sont capables de le faire, mais il faut oser". Un cap que certains ont déjà franchi avec succès, et que d'autres devront imiter afin de redonner leurs lettres de noblesse aux coachs tricolores sur la scène européenne.
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