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Foot : de Gibraltar au Bhoutan, la galère des nations les plus faibles du monde

Dans les tréfonds du classement Fifa se déroulent des histoires incroyables avec des personnages hors du commun. Plongée dans le foot d'en bas !

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
L'équipe nationale de Gibraltar lors d'un match de qualification à l'Euro 2016,  en Pologne, le 7 septembre 2015 à Varsovie. (MATEUSZ WLODARCZYK / NURPHOTO)

La décision du tribunal arbitral du sport est tombée lundi 2 mai : le dossier de candidature de Gibraltar devra être examiné par la Fifa. Un grand pas vers l'incorporation de ce territoire de 6 km2, peuplé de 30 000 habitants tellement sous influence britannique que ses clubs s'appellent le FC Prince of Wales ou Manchester United (si, si !).

Déjà membre de l'UEFA, Gibraltar a connu un baptême du feu délicat en qualifications pour l'Euro 2016, avec huit défaites en huit matchs (joués au Portugal faute de stade aux normes) et 50 buts encaissés. Dans quelques années, les Gibraltariens vont connaître les joies des équipes qui trustent les dernières places du classement Fifa. Et le quotidien des plus mauvaises équipes du monde est plutôt rude.

Le Bhoutan, invité à jouer la Coupe du monde des losers

Longtemps, le Bhoutan a traîné l'étiquette d'équipe la plus nulle du monde. Abonné aux dernières places du classement Fifa, ce pays de l'Himalaya est plus réputé pour la qualité de ses archers plus que de ses avant-centres. L'unique terrain aux normes a l'air d'un stade de CFA qui sent bon les années 1970. Pas trop usé cela dit : l'équipe n'a disputé qu'une soixantaine de matchs depuis le début des années 1980, dont une défaite 20-0 face au Koweit en 2000. 

Il a fallu que la Fifa finance leur participation aux qualifications au Mondial 2018 pour qu'ils se lancent dans l'aventure. Un mois de préparation commando plus tard, le résultat est là : un succès maîtrisé face au Sri Lanka (1-0, 2-1). "Personne ne s'attendait à ce qu'on gagne, confie au Guardian (en anglais) Tshering Dorji, l'avant-centre de l'équipe. D'habitude, quand on évoque les matchs internationaux, c'est pour débattre du nombre de buts qu'on va prendre et espérer limiter les dégâts au tableau d'affichage."

Jusqu'à présent, leur titre de gloire était d'avoir gagné la "Coupe du monde des losers", face à Montserrat, l'autre équipe du fond du classement. Tout est parti d'une lubie d'un réalisateur de documentaires hollandais, qui préparait un film sur le parcours des Pays-Bas au mondial nippo-coréen de 2002... Les Bataves ayant finalement échoué à se qualifier, il se lança sur le projet The Other Final. Devant 25 000 spectateurs enthousiastes du stade de Thimphou (un record pour le pays), les Asiatiques s'étaient facilement défaits des Caribéens, 4-0, le 30 juin 2002, soit le même jour que la finale du mondial asiatique [le Brésil s'était imposé face à l'Allemagne 2-0].

Les Samoa américaines, encore traumatisées par un score de jeu vidéo

Pour les Samoans, le traumatisme n'est pas encore totalement effacé. Un triste jour de juin 2001, les Samoas américaines s'inclinent 31-0 contre l'Australie. Un but encaissé toutes les trois minutes en moyenne. Le gardien Nicky Salapu a refait pendant des années le match sur sa Playstation, en laissant délibérément les Samoans gagner par cinquante buts d'écart. Aujourd'hui, il a changé de console – une Xbox désormais – mais pas son habitude. Petite différence : c'est son fils qui tient la manette pour les Samoa désormais, raconte Al Jazeera.

Après une série de défaites qui a duré 17 ans – 12 buts marqués, 229 encaissés – les Samoas américaines ont enfin réussi à obtenir une victoire contre les Tonga en 2014, avant d'enchaîner un nul héroïque face aux îles Cook. Coup de chance : une équipe de tournage était présente pour immortaliser ce moment, alors que le sélectionneur avait envisagé de refuser que soit tourné un documentaire sur son équipe. "Je craignais que ça tourne à la parodie", confie John Rogen, qui a martelé cette phrase à son équipe, juste avant le haka d'avant l'entraînement : "Montrez-moi comment vous vous battez, je vous montrerai comment gagner."

Les îles Vierges britanniques, qui ont eu Andres Villas-Boas comme DTN

José Mourinho a refusé récemment le poste de sélectionneur de la Syrie. Un de ses disciples, Andres Villas-Boas, qui a dirigé Porto, Chelsea, Tottenham avant de prendre en main le Zénith Saint-Pétersbourg, a eu une courte expérience de directeur technique national aux îles Vierges britanniques, qui n'ont jamais dépassé la 160e place au classement Fifa. Il n'a précisé son âge à ses nouveaux dirigeants que le jour où il a pris l'avion pour le petit archipel de 30 000 habitants. Mais à seulement 21 ans, il parvient à en imposer à des joueurs plus âgés parfois d'une dizaine d'années et qui peinent à prononcer son nom. Ils l'appelleront "Luis", raconte The Independent.

Son bilan est honorable : quelques victoires en amical contre les îlots voisins, mais une lourde défaite 14-1 en cumulé contre les Bermudes en éliminatoires du Mondial 2002. Celui qui était habitué à remplir des rapports ultra-détaillés sur les adversaires de Chelsea a dû faire simple. "Il m'a appris beaucoup de choses qui me sont encore utiles aujourd'hui", confie Avondale Williams, ancien capitaine devenu sélectionneur... qui encaisse régulièrement des fessées.

Les îles Turques-et-Caïques, gérées par un champion de pub

"Si vous m'aviez dit à la fin des années 90 que je serai en charge d'une équipe de foot impliquée dans les qualifications de la Coupe du monde, je vous aurais traité de fou." Et pourtant ! Matthew Green n'avait jamais coaché une autre équipe que celle du pub où il servait, à Hull, la ville où il est né et a fait ses études. Avec certes un titre amateur à la clé, mais c'est un peu court comme CV... Il obtient un job d'enseignant aux Bahamas, y devient entraîneur d'une équipe féminine qu'il mène six fois de suite au titre, avant d'obtenir le poste pour gérer la sélection des îles Turques-et-Caïques.

L'archipel, au décor de rêve et peuplé par 30 000 habitants, où Bruce Willis dispose d'un pied à terre n'est pas vraiment une terre de football. Dans ce pays, Matthew Green gère tout, des formations d'arbitres au nettoyage des maillots, raconte-t-il au Guardian. "Tout le monde pense que je passe mes journées assis sur la plage en sirotant des piñas coladas. Si seulement ! Il y a tant à faire", poursuit-il sur la BBC. Effectivement. Le pays reste sur un double set de tennis infligé par Saint-Christophe-et-Niévès en qualifications pour le Mondial 2018 (6-2, 6-2).

Pohnpei, au royaume des obèses, les footballeurs sont devenus rois

Il n'y a que très peu d'Anglais qui coachent une équipe étrangère en ce moment, mais les sujets de sa Gracieuse Majesté ont un faible pour les équipes improbables. En témoigne l'aventure de deux amis, Paul Watson et Matthew Conrad qui se sont embarqués pour l'île de Pohnpei, en Micronésie (2 000 km au nord-est de la Papouasie) après avoir envoyé un mail à la fédération locale pour proposer leurs services comme sélectionneurs. "Personne n'avait pensé à prendre ce poste", se souvient Paul Watson, dans So Foot. Il y a de quoi. Le terrain n'a pas été tondu depuis des lustres, est envahi par les crapauds, et 90% de la population - donc du vivier potentiel de joueurs - est obèse. Mission impossible ?

A force d'entraînement - pour leur première séance, un seul aspirant se pointe, le maillot de Beckham sur le dos - ils parviennent à battre la grosse île voisine de Guam 7-2. "Lorsque nous avons rendu visite à Guam, nous nous entraînions sept jours sur sept. Nous avions mis en place un entraînement en salle tous les matins à 5 heures. Les joueurs étaient donc en grande forme", raconte Paul Watson au site de la FifaDe quoi laver l'affront du précédent match (16-1 pour Guam) et s'offrir un nouveau défi. Actuellement les deux globe-trotters organisent une télé-réalité en Mongolie pour bâtir une équipe capable de remporter le titre de champion...

Et pendant ce temps, une équipe de Micronésie (rassemblant les îles de Pohnpei et Guam, entre autres) a fait les gros titres pour encaisser 119 buts en trois matchs, dont 46 contre les Vanuatu en juillet 2015. Ce qui a paradoxalement permis d'attirer l'attention sur leur pétition pour intégrer la Fifa.

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