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Foot, argent sale et paradis fiscaux : pourquoi le prix des transferts explose

Depuis vingt ans, le montant des transferts de joueurs de football a explosé : il s’élevait à 3 milliards 600 millions d'euros en 2014. Selon la FIFA, près de 30% de l’argent des transferts iraient dans d’autres poches que dans celles des joueurs : agents, conseillers ou fonds de pension.
Article rédigé par Benoît Collombat
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Franceinfo (Franceinfo)

 Alors que va bientôt débuter en France l’Euro de football, "Secrets d’info" enquête sur les coulisses du "foot business". L’argent coule à flots mais est en grande partie détourné comme en témoigne l’ancien agent de joueur, Patrick Mendelewitsch : "Soit le prix du transfert inclut une rétro-commission, ce qui est le cas le plus fréquent, soit il est accompagné d’un véritable micmac du type 'acquisition des droits à l’image'. J’ai constaté que 90 % des transferts étaient pipés".  L’argent des pots de vin passe ensuite discrètement par les paradis fiscaux.

 

  (Patrick Mendelwitsch © B.Collombat/RF)
 

Opération de blanchiment via le transfert de joueurs

Il n’y a pas de prix officiel pour un joueur, ce qui permet toutes les dérives, explique Grégory Schneider, journaliste à Libération : "C’est une valeur 'à la Loulou'. La valeur d’un joueur, c’est le prix de revente espérée. Par exemple : j'achète un gars un million pour le revendre cinq, donc je vais faire une super bascule. En fait, le mec est un tocard, je vais le revendre zéro, mais le million a volé. C’est un terrain très précieux pour le blanchiment, quasi miraculeux. " Le blanchiment consiste donc à recycler de l’argent illégal dans un circuit légal. En l’occurrence : les transferts de joueurs.

Le contrôle a minima de la FIFA

C’est un contrôle très limité, sans réelle traçabilité des flux financiers. Le football devient ainsi un "terrain de jeu" potentiel pour toute sorte de trafics. Comme a pu le constater dans ses dossiers, il y a quelques années, l’ancien juge Eric Halphen : "Les filières bancaires utilisées dans la corruption du BTP, le trafic d’armes ou de stupéfiant étaient aussi employées dans bon nombre de transferts sportifs. Avec des filières en Suisse, au Luxembourg, au  Liechtenstein , en Allemagne, Autriche, et évidemment dans certains paradis fiscaux. On y retrouvait les mêmes personnes ."

  

  (L'ancien juge Eric Halphen © B.Collombat/RF)

 

La montée en puissance des fonds spéculatifs

Et désormais, ce sont les fonds spéculatifs qui investissent les terrains de football, car les banques ne prêtent plus à des clubs financièrement sur la corde raide. D’où l’inquiétude du président de la commission juridique de la Ligue de football, André Soulier : "Nous devons savoir d’où vient cet argent. Qui sont les investisseurs ? Qui sont les actionnaires ? Les Chinois ont trouvé la formule adéquate : 'Ce qui est important, c’est ce qu’il y a derrière le rideau'. Ce qu'on appelle les ombres chinoises. Et en ce moment, nous avons beaucoup trop d’ombres chinoises. "

 

Certains fonds achètent des joueurs comme on achète des actions, puis les revendent pour gagner toujours plus, s’inquiète le spécialiste de la financiarisation du foot, Pippo Russo : "Nous n’avons plus de liberté de concurrence entre joueurs. La raison sportive passe derrière la raison économique, financière. Le joueur devient un produit financier, il est important qu’il circule et qu’il se valorise. "

Des agents troubles

Pour faire circuler ces joueurs, on peut compter sur quelques hommes clés, comme l’ex-agent Lucien D’Onofrio : il a eu des clients prestigieux, comme Zinédine Zidane ou Didier Deschamps, l’actuel sélectionneur de l’équipe de France. Il a aussi été condamné à de la prison ferme, dans l’affaire des comptes de l’OM, ainsi que dans celle de la "caisse noire" de Toulon.

 

  (Le journaliste David Leloup © B.Collombat /RF)
 

 

D’Onofrio est un spécialiste des montages off-shore, selon le journaliste indépendant David Leloup qui a enquêté sur lui : "Il dispose de toute une galaxie de sociétés off-shore, mises en place soit pour toucher des commissions en tant qu’agent de joueur, soir pour rémunérer parfois des joueurs, au black, ou pour acheter de l’immobilier. C'est le volet blanchiment de l’argent. J’ai dénombré plus d’une dizaine de sociétés off-shore au Panama, aux Iles Vierges britanniques, à Chypre, aux Pays Bas, en Grande-Bretagne.

 

Le dernier "coup" de cet agent trouble : une énorme culbute financière sur les transferts du défenseur français, Eliaquim Mangala. Passé du Standard de Liège à Porto, puis à Manchester City. L’opération a rapporté à Lucien D’Onofrio près de 5 millions d’euros de plus-value...

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