"Le bénéfice économique de l'Euro 2016 est forcément mal évalué"
Le ministère des Sports chiffre les retombées du tournoi à 1,2 milliard d'euros. Mais pour l'économiste Richard Duhautois, il est impossible d'évaluer avec précision son impact économique, en raison d'une série d'effets difficilement quantifiables. Explications.
Est-ce la plus belle victoire des Bleus ? L’Euro 2016 a rapporté 1,22 milliard d'euros à la France, selon une étude menée par l'organisme Keneo et le Centre de droit et d'économie du sport de Limoges (CDES), commandée par le ministère des Sports et publiée mardi 10 janvier. L'impact financier du tourisme est chiffré à 625 millions d'euros, contre 596 pour le volet organisation.
De quoi faire taire les esprits chagrins ? Pas si vite. Centrée sur les effets à court terme, cette étude omet certains coûts, par exemple la construction et la rénovation des dix stades, évaluée à 1,7 milliard d'euros (62% pour le privé, 38% pour les collectivités locales).
Pour en avoir le cœur net, franceinfo a contacté Richard Duhautois, économiste au Centre d'études de l'emploi et coauteur de Sciences sociales football club (éd. De Boeck Supérieur). Selon lui, l'impact économique d'une grande compétition est difficile, voire impossible, à déterminer avec certitude.
Franceinfo : La fréquentation touristique a baissé de 2,5% cet été en France. Le tourisme lié à l'Euro 2016 a-t-il sauvé la saison ?
Richard Duhautois : C'est tout le problème de ce type d'études, car il n'existe pas de groupe de comparaison. Mesurer les effets spécifiques d'un événement dans des conditions particulières est impossible. En 1998, par exemple, beaucoup de gens ont souligné l'effet positif de la Coupe du monde. Mais, à cette époque, la France était en période de croissance. En théorie, pour mesurer les effets du tournoi, il faudrait comparer la France de l'Euro 2016 à un autre pays strictement identique.
Quelles sont les principales difficultés dans ce type d'études ?
Il y a ce qu'on nomme l'effet de substitution. Celui-ci peut être temporel : si les touristes sont venus à l'Euro, ils ne viendront pas fin juillet et au mois d'août, par manque de disponibilité. Il peut être lié aux biens : si vous dépensez pour du foot, vous n'allez pas dépenser pour autre chose, à moins de puiser dans l'épargne. Sur ce dernier point, d'ailleurs, les données ne sont pas encore disponibles. Il faut aussi prendre en compte les effets d'éviction. Des touristes ne sont pas venus en France pendant l'Euro parce qu'ils n'aiment pas le football.
Les retombées indirectes sont tout aussi délicates à mesurer…
Un touriste étranger dépense dix euros pour acheter un sandwich et des frites, puis le vendeur peut utiliser cet argent pour acheter un ordinateur, etc. Pour mesurer ces retombées en économie, on utilise le "multiplicateur keynésien". Mais il existe des fuites. Quand un touriste dort à l'hôtel pendant l'Euro 2016, par exemple, cet établissement peut appartenir à un groupe, dont une partie des profits quitte la France. Et le problème, souvent, c'est que les études d'impact ne prennent pas suffisamment en compte ces fuites. Les bénéfices indirects sont donc surévalués.
Vous êtes sceptique sur la réalité de cet impact économique…
J'ai lu que les auteurs avaient tenté de prendre en compte ces trois effets (substitution, éviction, fuites), mais ce bénéfice est forcément mal évalué. En Allemagne, deux études ont été réalisées sur l'organisation de la Coupe du monde 1974 et sur la Coupe du monde 2006. Les économistes ont comparé les villes organisatrices à d'autres villes au profil similaire, qui n'avaient pas accueilli la compétition. Ils n'ont trouvé aucun effet sur le taux de chômage ou la consommation. Les études d'impact montrent toujours des effets positifs, mais les études réalisées plus tard indiquent l'absence d'effets.
A moyen terme, justement, peut-on avoir des surprises au niveau des finances publiques ?
Les partenariats public-privé peuvent entraîner des coûts à long terme, en cas de manque à gagner. En quinze ans, l'Etat a payé 110 millions d'euros au consortium du Stade de France, construit pour la Coupe du monde 1998. Le Sénat avait publié un rapport sur le sujet. Ce sont des contrats de long terme, qui font payer les collectivités en cas de manque à gagner.
Cet été, l'UEFA a été exonérée de toutes les taxes françaises, hors TVA. C'est un manque à gagner fiscal pour le pays ?
Le contrat d'organisation prévoit que l'Etat organisateur doit exonérer l'UEFA de toutes les taxes. Si la France n'avait pas fait ce cadeau fiscal, elle n'aurait pas décroché l'Euro 2016. C'est dans le contrat, il faut assumer.
L'Euro 2016 a-t-il permis de donner un coup de fouet à l'emploi ?
Quand on compare le taux de chômage avant et après, il n'y a aucun effet des grands événements sportifs. D'ailleurs, il y a même un effet négatif dans les pays en voie de développement. En effet, une grande compétition crée des demandes d'emploi supplémentaires, qui attirent des gens restés à l'écart du marché du travail. Après la compétition, ces derniers restent sur le marché du travail mais sont désormais au chômage.
Quel est le poids de ces retombées sur le PIB français ?
Les retombées de l'Euro 2016 représentent 0,06% du PIB selon le CDES, ce qui représente presque l'ensemble de la croissance du troisième trimestre, qui est de 0,1%. De ce point de vue là, oui, c'est énorme. Mais pour les raisons évoquées plus haut, je n'y crois pas, personnellement. Par ailleurs, il faut rapporter ce bénéfice de 1,2 milliard d'euros au poids du PIB, de l'ordre de 2 200 milliards.
A long terme, est-ce un pari gagnant ?
Il peut y avoir des effets sur l'image de la France, mais c'est difficile à mesurer. Des touristes ont pu découvrir Bordeaux, un entrepreneur a pu découvrir des images à la télé et prendre la décision d'investir… Mais les Anglais vont-ils revenir à Lens, comme l'assure le ministre des Sports, Patrick Kanner [dans cet entretien au Monde] ? J'en doute. Tout ceci est inquantifiable. Finalement, l'aspect économique de ces événements n'est pas le plus important. Ils donnent surtout un peu de bonheur aux gens.
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