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Euro 2016 : mais pourquoi les Italiens sont-ils les seuls à jouer avec une défense à trois ?

Vous aussi, vous avez été épatés par la maestria défensive italienne contre la Belgique (2-0) ? Explications.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Les joueurs italiens Leonardo Bonucci et Marco Parolo aux prises avec l'attaque belge, le 13 juin à 2016, à Lyon (Rhône). (DIRK WAEM / BELGA MAG)

Sur le papier, seules trois des 24 équipes engagées au départ de l'Euro évoluent avec une défense à trois. Dans les faits, le pays de Galles joue plutôt à cinq derrière, et l'Irlande du Nord avec six joueurs devant le but de McGovern. Il n'y a que l'Italie pour évoluer avec une véritable défense à trois. Et le récital proposé par le trio Barzagli-Bonnucci-Chiellini contre la Belgique montre que le système en 3-5-2 a encore du bon. Voilà pourquoi l'Italie, qui affronte l'Espagne lundi 27 juin en 8e de finale, est la dernière équipe à maîtriser cette tactique.

L'Italie, le pays de la tactique

Jamais Didier Deschamps ne s'est réveillé un beau matin et se disant qu'il allait abandonner sa défense à quatre pour tenter un 3-5-2, avec une ligne arrière Sakho-Varane-Koscielny qui aurait eu de la gueule. Et aucun journaliste n'a jamais émis une telle idée. Chez les Bleus, Raymond Domenech a tenté ce système lors d'un match et demi en 2004 pour deux prestations en demi-teinte, et Laurent Blanc lors d'un quart de finale de l'Euro 2012 de sinistre mémoire face à l'Espagne (0-2). 

Tout le contraire des techniciens qui arrivent en Italie où la science de défendre a été érigée au rang de véritable œuvre d'art. Le magazine spécialisé The Blizzard rappelle que le journaliste sportif transalpin le plus influent du XXe siècle, Gianni Brera, a déclaré un jour qu'"un match parfait devait finir à 0-0". Là-bas, la tactique est un sujet d'intérêt national. Rafael Benitez, fraîchement intronisé à Naples après un long séjour en Premier League anglaise, se souvient de sa première conférence de presse en Campanie : "En vingt minutes, on m'a posé plus de questions tactiques que pendant un an en Angleterre."

Comme le raconte le journaliste Jonathan Wilson dans son essai Inverting the Pyramid, un schisme a coupé en deux l'Europe du football dans les années 1960. En schématisant, le nord-ouest du continent a adopté la défense à quatre, alors que le sud-est s'accrochait au libéro et à la défense individuelle (trois défenseurs, plus un électron libre naviguant de la défense au milieu de terrain). Tout dépendait de l'influence de la meilleure équipe du moment, en Angleterre, en Union soviétique ou en Italie, à une époque où on ne voyait que rarement évoluer les équipes étrangères. 

Le 3-5-2, c'est avant tout un système conçu pour s'assurer une base défensive. L'équipe n'est que rarement prise en défaut, avec trois joueurs restés à l'arrière pour faire face aux contre-attaques. Les arrières latéraux, comptés comme des milieux de terrain, évoluent en piston sur les côtés du terrain, et peuvent prêter main forte à leurs défenseurs en cas de temps fort adverse.

L'irruption du 3-5-2 a suscité de vifs débats au sein du microcosme footballistique. Deux éminentes figures de la formidable équipe de l'Ajax Amsterdam résument bien la controverse. Johan Cruyff, formidable n°10, voyait dans le 3-5-2 "la mort du football", au moins dans sa version offensive. Alors que son coach, Rinus Michels, martelait qu'"il doit toujours y avoir un défenseur de plus face aux attaquants".

Le mystère de l'invention du 3-5-2

Curieusement, le 3-5-2, système plutôt défensif, n'est pas une invention italienne. Selon les sources, trois entraîneurs s'en disputent la primauté. Le plus connu, Carlos Bilardo, a expérimenté le système en 1984 lors d'une série de matchs amicaux de son équipe d'Argentine. La première fois, face à la Suisse, un journaliste l'a repris en conférence de presse : "Mais Carlos, tu as donné un défenseur central de trop !" Ce système, taillé sur mesure pour faire briller la pépite Diego Maradona, a connu un succès fulgurant, avec un sacre lors de la Coupe du monde de 1986. Le mérite de Bilardo aura été de tenir bon face aux critiques de la presse : "Je préfère être compris par 30 joueurs que par 30 millions de gens [la population de l'Argentine à l'époque]." Pas étonnant que, quatre ans plus tard, 20 des 24 équipes en lice choisissent le 3-5-2.

Sauf que deux autres tacticiens affirment avoir inventé le 3-5-2, à peu près à la même période. Le coach allemand des Danois, Sepp Piontek, mais dont l'équipe ressemblait plus à un suicidaire 3-1-6 lors de l'Euro 1984. Et l'éternel coach croate, Miroslav "Ciro" Blazevic, qui explique que son Dynamo Zagreb cuvée 1982 évoluait dans ce système. "Bilardo n'est qu'un connard", tance Blazevic. Réponse du coach argentin : "Si quelqu'un m'apporte une vidéo d'une équipe qui utilisait ce schéma avant moi, je lui paye une semaine de vacances dans les Caraïbes." Il cite pour preuve une conférence organisée par la Fifa lors du Mondial 1998 où figurait sur son CV projeté derrière lui "inventeur du 3-5-2" au milieu de son impressionnant palmarès. Aux dernières nouvelles, le débat n'est toujours pas tranché.

Un système qui a failli disparaître

Comment le 3-5-2 a-t-il pu à ce point disparaître de la circulation, alors qu'il était utilisé par 85% des équipes du Mundiale italien de 1990 ? Pour Jose Alberto Cortes, professeur à l'université de Sao Paulo, c'est à cause du rythme effréné du jeu moderne. "C'est impossible à tenir pour les arrières latéraux, résume-t-il dans le Guardian, car ils doivent être plus rapides et plus en forme que tous les autres joueurs sur le terrain." Pour Bilardo, interrogé dans So Foot, c'est une question de temps : "Aujourd'hui, il est plus simple de jouer à quatre derrière, car c'est le système le plus courant en club et les sélectionneurs n'ont pas le temps de développer le 3-5-2. Jouer à trois derrière, c'est très risqué. Cela donne du beau jeu si c'est bien assimilé, mais sans pratique [en équipe nationale], c'est difficile à faire fonctionner."

Et en Italie, cela fonctionne à la perfection, grâce à la patte du sélectionneur Antonio Conte, qui a restauré le système à la Juventus, et qui a fait de l'arrière-garde juventini celle de la Nazionale. Il n'y a guère qu'en Serie A qu'on retrouve une demi-douzaine d'équipes adoptant cette tactique en championnat. Pas étonnant que l'une des rares fiches détaillées sur le 3-5-2 dans l'encyclopédie en ligne Wikipedia soit en italien. 

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