Euro 2016 : la plus grande menace pour l'Albanie n'est pas la France, mais le Kosovo
Profitez bien de la présence de l'Albanie lors de l'Euro, on risque de ne pas la revoir de sitôt. En effet, la moitié de ses joueurs sont kosovars, et le Kosovo a été autorisé par les instances du football à créer une équipe nationale.
Quand l'Albanie s'est qualifiée pour la première fois de son histoire pour l'Euro, l'année dernière, les rues de Tirana, la capitale, étaient en fête. Mais aussi celles de Pristina, capitale du Kosovo voisin. Car une bonne moitié des footballeurs de la sélection albanaise sont kosovars et auraient donc pu jouer pour le voisin, à commencer par le capitaine, Lorik Cana. Problème : la Fifa et l'UEFA ont reconnu le Kosovo comme équipe indépendante, et pourraient priver l'Albanie, adversaire de la France mercredi 15 juin, de son vivier de joueurs à très court terme.
2/2 Out of 30 #Albanian speaking players in @UEFA2016, 13 are of #Kosovo origin, playing for @FSHForg and @SFV_ASF pic.twitter.com/BUonCo9dhz
— Republic of Kosovo (@RepKosovo) 6 juin 2016
L'équipe de la diaspora
"L'équipe d'Albanie représente une diaspora de gens qui ne sont pas nécessairement nés dans ses frontières", résume l'universitaire Loïc Trégoures, spécialiste du football dans les Balkans. Des frontières issues d'un compromis en 1912, qui réduisent le pays à la portion congrue. D'où le mythe d'une grande Albanie, qui comprendrait le Kosovo, le sud de la Serbie et une partie de la Macédoine. Autant de territoires où la population soutient majoritairement les Kuq e Zinjtë (les Rouge et noir en VF).
Ainsi, à Pristina, capitale du Kosovo, on croise bien plus de drapeaux albanais ou américains que de drapeaux kosovars. En partie parce que beaucoup d'habitants soutiennent les Albanais en foot, et aussi parce que l'étendard du pays, créé par une agence américaine en 2008, n'est pas encore entré dans les mœurs. "Si l'équipe du Kosovo obtient de bons résultats dans les années à venir, il est tout à fait possible que ça prenne, insiste Loïc Trégoures. C'est ce qui s'est passé en Bosnie où, là encore, le drapeau est le produit d'un appel d'offres sous l'égide de l'ONU."
Le flou juridique qui change tout
Pour les bons résultats, on repassera. L'équipe actuelle du Kosovo est un alliage hétéroclite de joueurs de seconde zone –un joueur de D3 allemande, un autre de D2 suédoise– pas de nature à bouleverser la hiérarchie régionale, malgré une récente victoire 2-0 sur les Iles Féroé en match amical. Dans les buts, Samir Ujkani... qui compte 20 sélections avec l'Albanie.
Ujkani profite d'un flou juridique. D'habitude, quand un pays explose, les joueurs déjà appelés par le pays d'origine ne peuvent pas changer de sélection, selon la jurisprudence Serbie-Monténégro en 2008. La règle avait été réaffirmée par l'ex-président de la Fifa, Sepp Blatter, un Suisse, pays dont la sélection comporte... une demi-douzaine de joueurs kosovars (et encore plus en juniors). Depuis quelques mois, cette règle semble sujette à caution : le prodige belge Adnan Januzaj, qui a porté six fois le maillot des Diables rouges, a fait part de son intention de rejoindre la sélection kosovare. "On voit mal la Fifa autoriser un Ujkani à jouer pour le Kosovo mais pas un Granit Xhaka [un des joueurs vedettes de la Suisse, qui vient de signer à Arsenal] ou un autre", estime Romain Welter, spécialiste du foot kosovar, qui gère le site Hajde.fr.
La fédération kosovare entend bien changer la donne. Son secrétaire général, Erol Salihu, est bien conscient que son pays a donné "la colonne vertébrale" de l'équipe albanaise. Prêté serait le mot juste. Car Salihu affirme à Reuters qu'il veut que soit appliqué "notre droit naturel à récupérer nos joueurs désireux de représenter notre pays."
Jusqu'à trois nationalités pour un joueur
Un joueur comme Xherdan Shaqiri a choisi d'évoluer sous les couleurs de la Suisse, qui l'a formé, même s'il n'oublie pas ses pays de cœur : lors d'un match amical face à l'Albanie en 2012, les drapeaux albanais et kosovar s'affichaient sur ses chaussures. Lors du tour d'honneur après la victoire du Bayern en Ligue des champions en 2013, il a défilé avec les trois drapeaux sur le dos.
Même histoire dans la famille Xhaka. Le plus doué de la fratrie Granit a revêtu le maillot suisse. Son frère, Taulant Xhaka, moins doué, porte le maillot... albanais. S'il y a un petit cousin dans la famille, peut-être portera-t-il le maillot kosovar...
Si la tendance se confirme, l'Albanie va devoir améliorer à vitesse grand V ses infrastructures. Jusqu'à récemment, ce pays marqué par un demi-siècle de régime communiste stalinien n'avait pas investi dans le sport. La fédération a à peine commencé à investir dans des centres de formation. "Le Kosovo représente une menace sportive pour l’équipe d'Albanie.C'est un vivier de plus d’un million de personnes dans lequel elle ne pourra plus puiser à souhait", renchérit Romain Welter. Sur les 20 joueurs de champ présents en France, seuls cinq ont été formés dans des clubs albanais. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle l’Albanie parle tant de cet Euro sans réellement évoquer le futur. Il n’est pas dit que cette génération connaisse une héritière dans les dix ou quinze ans à venir."
Vous êtes perdus ? Vous n'êtes pas seul. Lors d'un match amical entre l'Albanie et le Kosovo en novembre 2015, le principal groupe de supporters albanais a boycotté la partie. Leur explication : ils ne pouvaient pas supporter que deux équipes albanaises s'affrontent, raconte le site Balkan Insight. Au moment de souhaiter bonne chance aux 23 Albanais qui s'installaient à Perros-Guirec (Côtes-d'Armor) pour l'Euro, le Premier ministre albanais Edi Rama a eu cette phrase : "Non seulement vous représentez l'Albanie et le Kosovo, mais aussi tous les Albanais du monde entier." Qu'on estime à 200 000 en Suisse et en Allemagne, à 500 000 en Italie ou 200 000 en Amérique du Nord.
N'allez pas croire que la question va s'arrêter au football. D'après le Guardian, le capitaine albanais, Lorik Cana, est courtisé... par des partis politiques albanais et kosovars pour les rejoindre une fois qu'il aura raccroché les crampons.
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