Espagne, la victoire en bâillant
Louée autrefois pour son jeu offensif, la Roja de cet Euro 2012 se distingue par son jeu frileux et ennuyeux. Décryptage.
Samedi 23 juin à Donetsk, les sifflets qui descendaient des travées de la Donbass Arena n'étaient pas seulement à destination de l'équipe de France et de sa triste prestation. Les Ukrainiens, majoritaires dans le stade, en voulaient également aux Espagnols de ne pas leur offrir plus de spectacle, relève le Guardian (lien en anglais).
Ils ne sont pas les seuls. Avant la demi-finale qui opposera la Roja au Portugal, mercredi 27 juin, les critiques se multiplient sur la frilosité du jeu espagnol. Contre la France, Andres Iniesta et ses coéquipiers n'ont guère cherché à inscrire un second but après l'ouverture du score de Xavi Alonso. Ils se sont contentés de gérer leur avance, en faisant tourner le ballon. Une manière très efficace de priver les attaquants français de munition et les spectateurs de sensations fortes. Seule la rentrée de Pedro, qui a obtenu le penalty du 2-0, a apporté un peu de folie à un match qui en manquait cruellement.
Zidane, dernier bourreau des Espagnols
Si l'on ajoute à ce quart de finale décevant la courte victoire contre la Croatie (1-0) au match précédent, le constat est sévère : l'Espagne est une équipe ennuyeuse, qui gagne d'abord parce qu'elle défend bien. Même les supporters de la Roja étouffent un bâillement devant les prestations de leur équipe préférée. Selon un sondage en ligne du site du quotidien sportif madrilène Marca (lien en espagnol), 58,5 % d'entre eux jugent leur sélection ennuyeuse.
Les statistiques confirment cette impression. Capable de pulvériser les petites équipes, comme l'Irlande en match de poules (4-0), la Roja joue à la passe à dix et ferme le jeu face à une opposition plus relevée. Et cela fonctionne. L'Espagne n'a plus encaissé de but en match à élimination directe d'un grand tournoi (Euro et Coupe du monde) depuis les huitièmes de finale de la Coupe du monde 2006 et le déboulé d'un certain Zinédine Zidane.
Par la suite, lors de ses huit matchs couperets (Euro 2008, Coupe du monde 2010, Euro 2012), l'Espagne a gardé sa cage inviolée, tout en se contentant du minimum syndical devant (10 buts marqués et une série de quatre matchs remportés 1-0 avant de soulever la Coupe du monde en 2010). A titre de comparaison, sur ces trois compétitions, en sept matchs à élimination directe, l'Allemagne a inscrit 18 buts.
Une équipe sans avant-centre
Ce style de jeu et cette force défensive s'expliquent par la composition du groupe espagnol. Si les stratèges Xavi et Iniesta sont régulièrement loués par les supporters espagnols, l'arrière-garde de la Roja compte de très grands joueurs avec Carles Puyol (blessé cette année), Gerard Piqué et Sergio Ramos. Et lorsque ces derniers sont en difficulté, le gardien de but, Iker Casillas, prend le relais. Si l'Espagne n'a pas encaissé de buts lors de la Coupe du monde 2010, elle le doit à deux parades décisives de son portier : un penalty stoppé contre le Paraguay, et une sortie incroyable contre Robben en finale.
Autre explication du style frileux proposé par les hommes de Vicente Del Bosque cette année, la blessure de David Villa. L'attaquant barcelonais, homme-clé des campagnes de 2008 et 2010, s'est fracturé le tibia fin 2011. En son absence et malgré la présence des buteurs de Chelsea et Bilbao, Torres et Llorente, sur le banc, le coach ibérique a préféré à plusieurs reprises jouer sans avant-centre de métier, confiant le poste au milieu offensif Cesc Fabregas.
Résultat, comme le reconnaissait Del Bosque lui-même avant le match contre la France dans le Guardian (lien en anglais), son équipe manque de "verticalité" et multiplie les passes latérales. A tel point que Gary Lineker, ancien attaquant du FC Barcelone et de l'équipe d'Angleterre, accuse la Roja de faire de l'avant-centre une espèce en voie de disparition.
If Spain go on to win #Euro2012 playing this way, strikers could well become an endangered species.
— Gary Lineker (@GaryLineker) Juin 23, 2012
Face à ses critiques, certains joueurs bottent en touche. "Qu'importe ce que les gens disent, je ne pense pas que nous allons changer", répliquait Xabi Alonso après le quart de finale contre la France. D'autres estiment que les attentes autour d'eux sont désormais trop élevées. "Vous ne pouvez pas gagner tous les matchs 3-0 et être brillant à chaque fois", justifiait Alvaro Arbeloa devant le Guardian (lien en anglais).
Grisé par l'épopée du FC Barcelone coaché par Pep Guardiola, le monde du football oublie parfois que Lionel Messi est argentin et qu'une grande compétition internationale se gagne d'abord avec une bonne défense. La maîtrise technique et collective nécessaire pour confisquer le ballon comme le font les Espagnols est en outre sous-estimé. Lorsque Iniesta et consorts prendront leur retraite, "vous ne verrez probablement plus jamais une sélection comme l'Espagne de votre vie", prévient Roger Bennett, éditorialiste sur ESPN (lien en anglais). Il a sans doute raison.
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