Joueurs blessés: Comment l'équipe de France coopère (ou non) avec les clubs ?
Depuis quelques jours, le torchon brûle entre le Bayern Munich et l’équipe de France. La cause de l’incendie : l’appel en Bleu de Lucas Hernandez, diminué au genou droit selon le club bavarois qui, par plusieurs sorties dans la presse, a blâmé le choix de Didier Deschamps, tout comme l’a fait le PSG suite à la convocation de Kylian Mbappé. Irrité, le sélectionneur tricolore a répondu en conférence de presse : "Il ne faut pas que les clubs pensent qu'ils vont me mettre une petite pression, quelle qu'elle soit". Et s’il n’y a pas de fumée sans feu, derrière cette polémique se cache un vieux problème des sélections : leurs relations avec les clubs, et notamment les staffs médicaux.
En seize années sur les bancs des différentes équipes de France, Pierre Mankowski a pu se faire un avis sur la question. Egalement passé par plusieurs clubs (PSG, Saint-Etienne, LOSC ou Strasbourg), il a vécu ces trêves internationales des deux côtés : "Ce cas de figure du joueur blessé, ça arrive à chaque rassemblement. C’est très compliqué, parce que le club et la sélection n’ont pas les mêmes intérêts", pose celui qui a été adjoint des A de 2002 à 2010. Il poursuit : "Pour le club, la trêve, c’est l’occasion de reposer ses joueurs, de réparer les petites blessures. Quand j’entraînais en club, je n’étais pas content de voir partir mes internationaux. Je leur disais de lever le pied, de faire attention. C’est de bonne guerre."
Pas le même maillot ni les mêmes objectifs
Souvent, les médecins de clubs glissent même une petite lettre dans la valise des internationaux. "Les clubs protègent leurs joueurs, et quand un international arrive blessé, le médecin du club met la pression pour que la sélection laisse son joueur se reposer, alors que l’équipe nationale a aussi ses objectifs à assurer", témoigne Pierre Mankowski. Médecin des équipes de France pendant 42 ans, Edouard Lipka complète : "Pour nous, le premier jour du rassemblement, c’est une journée terrible. De 11h à 20h, on examine tous les joueurs, et au moindre soucis, il faut rapidement prendre la décision de garder le joueur ou non. Si c’est le cas, les ennuis commencent : le médecin, voire le président du club, appelle, et là…"
Lors de phase finale des compétitions internationales, la vie est bien plus simple. "Sur ce genre de rassemblement, on maîtrise le calendrier", détaille Edouard Lipka, "Par exemple en 2013, Kurt Zouma se blesse pour deux semaines pendant la préparation de la coupe du monde U20. On décide de l’emmener quand même avec nous, et il participe à tous les matchs après la phase de poule jusque la finale, victorieuse." Pierre Mankowski précise : "Le plus compliqué, c’est vraiment les stages courts, de deux matchs sur dix jours. Là, les clubs défendent leurs intérêts bec et ongles." Selon l’ancien entraîneur du PSG, cela va même un peu plus loin : "Les périodes de trêve sont frustrantes pour l’entraîneur d’un club. Il se retrouve avec un groupe amoindri, il ne peut pas faire de séances vraiment intéressantes. Le seul intérêt est de découvrir les gamins du centre". A condition qu’ils ne soient pas, eux aussi, appelés en sélections de jeunes.
Coup de pression vs coup de téléphone
En dehors des périodes de trêve internationale, clubs et sélections restent proches. "Quand j’étais sélectionneur, j’appelais les entraîneurs au moindre pépin physique, et inversement", assure Pierre Mankowski. Son médecin de toujours, Edouard Lipka, était alors plus qu’un simple professionnel de santé : "Concrètement, j’avais une liste des joueurs sélectionnables. Mon rôle c’était de regarder les joueurs qui sortaient pendant les matchs le week-end, de comprendre pourquoi ils sortaient, et en cas de blessure d’appeler le médecin du club. Ensuite, chaque lundi midi, je débriefais avec le sélectionneur."
En règle générale, les relations entre clubs et sélections sont donc cordiales. Toutefois, les attitudes récentes du PSG et du Bayern à l’égard de l’équipe de France font naître quelques craintes. Celle, notamment, de voir un jour l’influence des clubs prendre le pas sur le prestige des sélections nationales, à l’image de ce qui se passe avec les franchises de NBA en basketball. « Ce serait catastrophique", estime Pierre Mankowski. "C’est un honneur de représenter son pays, il faut que cela reste quelque chose de très important. Il faut espérer que cela n’arrive pas ». Et s’il rappelle que les joueurs sont avant tout des employés de leur club, l’ancien sélectionneur des Espoirs rassure : "Au delà de toutes ces tensions, les joueurs ont toujours envie de porter le maillot national, de se faire une place. Je n’ai rarement, si ce n’est jamais, vue de mauvaise volonté." C’est ce qui s’appelle éteindre l’incendie.
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