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En Finlande, le football prend timidement son envol

Alors que la France affronte la Finlande ce soir en match amical (21h10), c’est une sélection en pleine progression qui vient se frotter aux Bleus. Proche du cercle polaire arctique, c’est aussi un pays éperdument amoureux du hockey qui se met à se prendre d’affection pour le football. 
Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 11min
Teemu Pukki face à la Bulgarie en octobre 2020. (JUSSI NUKARI / LEHTIKUVA)

Teemu Pukki. Si vous ne suivez pas assidûment le championnat anglais, vous n’avez sans doute jamais entendu parler de cet attaquant au crâne rasé, et à la barbe fournie blondissante. Pourtant, si vous vous promenez dans les faubourgs d’Helsinki, vous le verrez affiché partout. Pourquoi ? Car l’attaquant star de la sélection finlandaise y est pour beaucoup dans la première qualification des Huuhkajat (les Hiboux) pour l’Euro de football, qui aura lieu l’année prochaine. Un coup de projecteur tonitruant pour une nation habituée à évoluer dans un relatif anonymat. "L’emblème du pays aujourd’hui c’est Teemu Pukki, qui a fait passer le foot à un autre niveau. À Norwich (Angleterre), il a super bien marché", nous détaille Jean-Christophe Coubronne, joueur du FC Lahti, au nord d’Helsinki, depuis plus de deux ans.

Ce Français est arrivé début 2018 dans un pays loin de l’effervescence de l’Europe du sud envers le football. "J’en avais un peu marre de certains business dans le foot européen, j’ai eu cette offre et je n’ai pas trop réfléchi pour voir d’autres horizons", débute-t-il. Après des passages à Novara (Italie) et Olhanense (Portugal), le défenseur de 29 ans atterrit en Finlande. Changement brutal, choc thermique. La chaleur humaine des pays méditerranéens tranche avec la discrétion des Finlandais. "C’est vraiment particulier : il y a une bonne entente dans le vestiaire, mais les Finlandais sont polis, calmes, éduqués, assez réservés. Ici, c’est vraiment chacun chez soi, même les Finlandais entre eux. C’est vrai dans tout le pays, dans tous les milieux", raconte Jean-Christophe Coubronne, d’abord passé par Kotka avant de se poser à Lahti.

Teemu Pukki sous les couleurs de Norwich. (ADRIAN DENNIS / AFP)

Sauna et jeu léché

"Dans les autres clubs ou j’étais, les gens qui te reconnaissent vont t'interpeller, ici c’est très très rare. Ils savent tous qui tu es, mais ils ne vont pas oser venir te déranger. Par contre, une fois qu’ils ont un petit coup dans le nez, c’est l’opposé ! Pour discuter avec des gens ici, il faut trois bières. A partir de là, ils commencent à s’ouvrir et se lâcher", sourit-il. Un contact difficile à établir, brisé le temps de quelques rares moments de lâcher prise, à la finlandaise. "Ma première année, à part avec les étrangers, j’avais très peu de contacts avec les joueurs finlandais. Au bout de 10 jours, on a fait un sauna d’équipe : les joueurs se retrouvent, mangent des pizzas, boivent beaucoup et font un sauna. Une fois que les jeunes avaient bu, ils n’arrêtaient pas de me poser des questions, savaient tout de moi. Le lendemain, c'était fini. C’est incroyable."

Dans un championnat, la Veikkausliga, sans joueur de renom, difficile de se rendre compte du niveau réel du football finlandais. Pourtant, le défenseur formé à Sochaux a rapidement revu son jugement. "J’ai été agréablement surpris car dans l’ensemble, le niveau reste très correct. Je m’attendais à un jeu assez direct, très physique, et au final, pas du tout, ça joue au ballon. Ils essayent de faire un peu ce que font les clubs espagnols : ballon à terre, sorties propres."

Le gardien Lukas Hradecky arrangue des fans après la victoire de la Finlande face à la Hongrie en 2018. (ANTTI YRJONEN / NURPHOTO)

Un statut de footballeur très précaire

Mais avec des montants de droits TV très faibles qui empêchent les budgets de grimper, l’attractivité reste faible. La solution : aller puiser ailleurs. "Les trois-quarts des clubs gardent des jeunes Finlandais qui ont un niveau faible, quelques Finlandais de très bon niveau, et signent quasiment tous 6-7 joueurs étrangers pour faire partie du onze type. Ils n’ont pas le choix : s’ils ne jouaient qu’avec des Finlandais, le niveau serait quand même assez faible", continue Jean-Christophe Coubronne. Il poursuit en pointant un problème clé dans le développement du football en Finlande : le statut bancal des athlètes de haut niveau. "A part le hockey et le football, les sportifs de haut niveau ne sont pas reconnus à leur juste valeur au niveau du gouvernement et de nos droits." 

Alors que la Finlande a été parmi les meilleurs élèves pour endiguer la pandémie de Covid-19, avec un seul confinement de quelques semaines autour d’Helsinki, et des masques seulement recommandés, le statut déjà précaire des sportifs s’est malgré tout aggravé. "Avec la Covid, certains clubs ont coupé les salaires et des joueurs se sont retrouvés au chômage avec un minimum de droits car ce n’est pas reconnu comme un métier à part entière. Ce n’est pas très bien encadré, et ça n’incite pas à devenir professionnel, d’autant que les salaires ne sont pas très élevés à part certains clubs", explique-t-il.

Conséquence : les jeunes se tournent davantage vers des métiers du civil, plus stables dans un pays où la part économique du football reste faible. "Les jeunes qui n’ont pas un niveau très élevé, je comprends qu’ils cherchent un autre travail car ils gagneront plus en faisant autre chose. Ça m’étonne d’un pays qui privilégie pourtant le sport dans tous les domaines."

La joie des Finlandais après le but décisif de Glen Kamara face à la Grèce en 2018. (ANTTI YRJONEN / NURPHOTO)

A l'ombre du foot business

En Finlande, le football a les inconvénients de ses avantages. L’éloignement, géographique et économique, du football business crée un cocon de vie apaisant pour les joueurs. "J’étais content de retrouver le terrain sans ces a côtés qui t'écœurent, tout ça pour une poignée d’argent. J’ai vu des mecs brisés simplement parce qu'un autre joueur devait être mis en avant. Ici, il n’y a pas de joueur en prêt ou des clubs qui ont intérêt à mettre un joueur en valeur. J’étais venu un peu pour ça et je n’ai pas été déçu. Ce n’est pas dans leur mentalité", explique le défenseur. 

Mais cette bulle freine aussi un développement plus rapide du football par un manque d’ambition général. "Ici, il n’y a aucune pression. Pour certains clubs, ça montre un manque d’ambition. L’année dernière, on s’est retrouvé en bas de tableau : à la fin d’un match, j’ai vu le président arriver, je pensais prendre une soufflante méritée. Mais il nous a dit qu’il était super fier de nous, qu’on faisait une bonne saison ! Même en France dans les bas échelons, ça ne se serait pas passé comme ça. Des fois, il faudrait un peu plus de pression pour pouvoir franchir un palier. C’est très rare de voir des entraîneurs se faire virer, il faut vraiment qu'il y ait une crise pour que l'entraîneur s’en aille. Mais ça commence à changer, ça évolue doucement, mais ça évolue", déplore Jean-Christophe Coubronne.

Franck Ribéry, buteur lors de la dernière confrontation avec la Finlande en 2013. (MATTHIEU DE MARTIGNAC / MAXPPP)

Une place à trouver au pays du hockey roi

Alors comment faire exister le football face au sport roi, le hockey et même le handball, qui ont historiquement la faveur des Finlandais ? "Il faudrait qu’il y ait un peu plus d’investisseurs. L’objectif des clubs ici, ça reste le maintien. Il n’y a qu’un seul club qui descend, donc il n’y a pas beaucoup de pression. Il faudrait changer les mentalités dans les écoles, changer le statut des sportifs professionnels, faire un effort au niveau de la diffusion des matches et essayer de ramener quelques gros noms", résume Jean-Christophe Coubronne.

Seul éclair dans l’immobilisme du football finlandais : une sélection qualifiée pour l’Euro malgré un groupe relevé (Italie, Arménie, Grèce, Bosnie-Herzégovine). "La qualification a été accueillie avec une très, très grosse ferveur : dès que l’équipe nationale joue, c'est à guichets fermés avec une très belle ambiance. La qualification a été célébrée dans tout le pays, et Pukki a pris un autre statut, il est vraiment devenu la tête d’affiche du pays", dévoile Jean-Christophe Coubronne.

Le capitaine finlandais Tim Sparv porté par des supporters lors de la qualification de la Finlande pour l'Euro 2021. (MARKKU ULANDER / LEHTIKUVA)

L'Islande, phare nordique

Le parcours d’un autre petit pays nordique, l’Islande, parvenu à atteindre les quarts de finale du dernier Euro, a désinhibé en partie les pays nordiques, dont la Finlande, souvent dans l’ombre de la Suède et du Danemark dans les grandes compétitions. "L’Islande a montré à tous les autres qu’il n'y a plus de petit pays, qu’il faut jouer sa chance à fond. Quand j’étais plus jeune, on voyait la France mettre des 7-0 aux petites équipes, c’est beaucoup moins le cas. Ça a ouvert des portes pour beaucoup de pays, et surtout pour les pays nordiques", constate le Français.

L’Euro 2021 parait encore loin, et la France pourrait découvrir des joueurs de talent comme Pukki, le gardien Lukas Hradecky (Leverkusen), Joel Pohjanpalo (Union Berlin) ou Glen Kamara (Rangers) mercredi. Quelle Finlande verrons-nous, alors que le dernier affrontement s'était soldé par une victoire 3-0 de la France en 2013 ? "C’est une équipe très solide, très bien organisée qui joue en contre. C’est Pukki qui a toute la charge de la victoire sur les épaules. Ils ont des joueurs d’expérience puisque la grande majorité joue à l’étranger. Je ne pense pas qu’ils en prennent 7 ou 8. Je vois plus le score de 2-0 ou 3-1 pour la France", pronostique le plus Finlandais des joueurs français. Défaite ou victoire, Jean-Christophe Coubronne en est pourtant certain : cette qualification n’est pas un exploit isolé. "Ca va être lent, mais la Finlande va grimper. Certains pays du sud de l’Europe sont en phase descendante, la Finlande elle, est en phase ascendante."

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