Depuis quand le football est-il un sport fair-play ?
Si vous avez vu le but du joueur du Shakhtar Donetsk mardi, vous avez dû crier au scandale. Pourtant, on ne fait pas plus d'entourloupes dans le foot qu'ailleurs...
FOOT - On jouait la 29e minute du match de Ligue des champions entre Nordsjälland et le Shakhtar Donetsk, mardi 20 novembre. Victime d'un coup de coude, un joueur danois s'écroule. Pas de faute sifflée mais les joueurs s'arrêtent. L'arbitre donne alors la balle aux Ukrainiens. La coutume non-écrite aurait voulu que ces derniers rendent la balle à leurs adversaires. Ce que l'un d'entre eux s'apprête à faire en envoyant la balle au gardien danois... sauf que l'attaquant ukrainien Luiz Adriano en profite pour s'emparer du ballon et le pousser dans les filets. Tollé du stade, protestations des joueurs danois... mais but validé. Cet incident met en lumière le fait que le football et le fair-play, ça fait deux.
Les actes de fair-play, une rareté
En théorie, le fair-play sur le terrain est constitutif du football. A la fin du XIXe siècle, les joueurs se signalaient les fautes et évoluaient sans arbitre (en anglais). A l'époque, le sport était un divertissement de gentlemen désœuvrés, pétris d'amateurisme et qui jouaient pour s'amuser. Albert Camus a écrit en 1945 : "Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois." Voilà pour la légende.
Dans la réalité, les choses se sont gâtées. Histoire de montrer l'exemple, l'UEFA et la Fifa décernent chaque année le prix du fair-play. Avec des ratés : en 1997, l'instance européenne le remet à l'attaquant de Liverpool Robbie Fowler. Or, lors d'un match contre Arsenal, un penalty est sifflé. L'attaquant explique à l'arbitre qu'il n'y a pas faute. Mais l'homme en noir reste inflexible. Robbie Fowler aurait pu alors tirer le penalty et le manquer intentionnellement. Mais c'est sans faire exprès qu'il le rate. Un de ses équipiers reprend quand même la balle et la met au fond des filets.
Officiellement, Robbie Fowler l'a fait exprès. En fait, pas du tout. Mais on ne le saura qu'une fois qu'il a reçu le prix, rappelle The Guardian (en anglais). Cette anecdote constitue un condensé des rapports entre foot et fair-play aujourd'hui.
Les règles non-écrites, fléau du foot
On peut distinguer trois types de scandales dans les matchs de foot : 1) les simulations qui entraînent des penalties et des expulsions injustes ; 2) les buts marqués alors que le ballon n'a pas franchi la ligne ou est passé par un côté du filet ; 3) les actions qui se poursuivent alors qu'un joueur d'une équipe est au sol. Dans cette dernière catégorie figure le but de Luiz Adriano avec le Shakhtar. "Il a marqué avec son instinct", l'a défendu son entraîneur, le Roumain Mircea Lucescu.
C'est aussi là qu'on trouve les principaux actes de fair-play des dernières années : le geste de l'attaquant de West Ham, Paolo Di Canio, qui stoppe une action très favorable à son équipe alors que le gardien adverse est au sol. Ou encore, en 1999, quand l'entraîneur Arsène Wenger fait rejouer un match après un but de son équipe marqué alors que l'adversaire comptait un homme au sol.
Ces actions sortent de l'ordinaire, en bien comme en mal, parce qu'elles reposent sur un pacte de non-agression non-écrit. Le public s'attend à ce que le Shakhtar Donetsk rende le ballon, mais il n'est légalement pas tenu de le faire. Pratiquement, tous les joueurs suivent cette règle mais le très conservateur International Board, l'instance qui édicte les règles du foot, n'a pas traduit cette habitude dans les textes. "Que vous le vouliez ou pas, le sportif moderne utilise tous les moyens à sa disposition pour atteindre des succès commerciaux, comme des milliers de professionnels, écrit le magazine britannique When Saturday Comes (en anglais). Ces joueurs utilisent des lois faibles, que la Fifa n'arrive pas à changer pour améliorer le jeu."
La triche, une culture universelle
La culture du vice et de la triche dans le dos de l'arbitre n'est pas l'apanage du football. Si le terme de "fair-play" a été inventé par Shakespeare, selon le Comité international olympique (PDF en anglais), les Anglo-Saxons utilisent plutôt le terme de "sportsmanship", l'esprit sportif. Une vertu rapidement dévoyée en "gamesmanship" : en 1947, l'écrivain anglais Stephen Potter écrivait le livre The Theory and Practice of Gamesmanship (or The Art of Winning Games without Actually Cheating). Autrement dit, Théorie et pratique des stratagèmes, ou comment gagner des matchs sans vraiment tricher. Si cet extrait sur la conduite à tenir face à un adversaire supérieur au tennis ne vous rappelle rien, c'est à n'y rien comprendre : "Faire son lacet pendant de longues secondes, alors que l'adversaire a enchaîné les services gagnants juste avant, se moucher longuement, s'éponger le visage, ainsi qu'une bonne dose de sueur imaginaire dans le cou ou sur le front..."
A l'époque, c'était parodique. Aujourd'hui, c'est devenu la réalité : "La triste vérité, c'est que depuis la publication du livre, le côté insouciant a été retiré de toutes les compétitions athlétiques, analyse la prestigieuse Victorian Quaterly Review (en anglais). Le sport a perdu son innocence."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.