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De Knysna à son coup de pied, la carrière à rebondissements du sulfureux Patrice Evra

Les fans marseillais ne le supportaient plus. Le latéral gauche de l'OM, qui a été exclu jeudi soir pour avoir frappé un supporter à l'échauffement d'un match, a été mis à pied par le club phocéen vendredi.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le défenseur Patrice Evra à son arrivée au centre d'entraînement de l'équipe de France, à Clairefontaine, le 9 novembre 2015. (FRANCK FIFE / AFP)

"J’ai choisi l’OM car beaucoup de personnes m’ont dit de ne pas venir, à cause de l’ambiance chaude, des gens qui oublient vite." En septembre, Patrice Evra expliquait dans La Provence son choix de quitter la Juventus de Turin pour rejoindre le club de la cité phocéenne, son projet ambitieux et ses polémiques permanentes. Le défenseur assure que c'est le public marseillais qui l'a motivé : "Moi, j’aime où il y a la merde. Je suis comme ça, on ne me changera pas, j’ai besoin de ça."

Jeudi 2 novembre, après avoir reçu l'insulte de trop de la part de supporters phocéens en déplacement à Guimaraes (Portugal), Patrice Evra a envoyé un coup de pied au visage de l'un d'eux, entraînant son expulsion avant même le début du match. Et précipité peut-être, dans un coup d'éclat "cantonesque", la fin de sa carrière : le joueur de 36 ans a en effet été mis à pied par son club, avant un "entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire".

Le joueur de l'Olympique de Marseille Patrice Evra donne un coup de pied au visage d'un supporter du club, avant un match à Guimaraes (Portugal), le 2 novembre 2017. (MAXPPP)

On ne changera pas Patrice Evra, latéral gauche au palmarès aussi conséquent que son égo, dont le parcours est autant marqué par les polémiques que par sa capacité à les surmonter.

Le chef de file des grévistes de Knysna

Ce n'est pas la première fois que Patrice Evra est la cible unanime des critiques de la France du foot. Personne n'a oublié le fameux épisode de Knysna, en 2010. Les Bleus sont au bord de l'élimination au Mondial en Afrique du Sud quand L'Equipe révèle les insultes de Nicolas Anelka adressées à son sélectionneur Raymond Domenech. L'attaquant est exclu, prié de rentrer en France, mais ses coéquipiers font bloc derrière lui. Patrice Evra est leur capitaine : lors d'une conférence de presse surréaliste, il explique que le vrai problème est la présence d'un "traître" qui aurait parlé aux journalistes d'un incident censé rester dans le secret du vestiaire.

Le lendemain, les Bleus refusent de s'entraîner et restent dans leur bus. Les caméras filment, à distance, le capitaine tricolore, envoyé comme messager des grévistes, faire face à la colère de Robert Duverne, le préparateur physique, sous l'œil d'un Raymond Domenech dépité. Patrice Evra devient le visage de la mutinerie des joueurs de l'équipe de France. C'est lui qui est dans le viseur de Roselyne Bachelot, la ministre des Sports, quand elle attaque à l'Assemblée nationale les "caïds immatures" qui "commandent à des gamins apeurés". C'est lui aussi qui, après Nicolas Anelka, écope de la sanction la plus lourde de la part de la Fédération française de football : une suspension de cinq matchs. Il ne portera plus jamais le brassard de capitaine.

Patrice Evra était-il le leader de la fronde ou un bouclier pour ses coéquipiers ? Libération affirme que le joueur a endossé un rôle de quasi martyr lors du retour des Bleus en France, prenant les joueurs à part, un par un, pour les rassurer : "Ne t’inquiète pas, tu peux partir en vacances tranquille. C’est moi qui vais tout prendre." Son rôle dans la grève est incertain. Toujours selon le journal, le capitaine aurait convaincu les Bleus "d’opter pour la grève de l’entraînement en Afrique du Sud plutôt que pour un boycott du match suivant" aux conséquences plus désastreuses encore.

Patrice Evra lors d'une altercation verbale avec le préparateur physique de l'équipe de France de football, Robert Duverne (à droite, de face), à Knysna (Afrique du Sud), le 20 juin 2010. (FRANCK FIFE / AFP)

Bref, à en croire le quotidien, Patrice Evra serait le sauveur de l'équipe de France. "Il est consumé par cette vérité inexprimable qui, pense-t-il, pourrait faire de lui une sorte de sauveur objectif du foot français", écrit Libération en 2013. Patrice Evra n'aura en tout cas aucun mal à être réintégré en sélection, une fois sa suspension purgée. Son image, elle, ne s'en est jamais vraiment remise.

Un joueur qui invente sa propre légende

Patrice Evra n'a pas toujours connu les sommets. Né à Dakar (Sénégal) et élevé aux Ulis, en banlieue parisienne, celui qui joue alors en attaque n'est pas retenu par les clubs de l'Hexagone, mais un agent italien lui permet de s'engager à Marsala, bourgade de Sicile perdue en troisième division italienne. Le joueur narre dans So Foot son arrivée à la gare de Milan, d'où il doit rejoindre son équipe en stage dans la campagne italienne.

Je suis complètement largué sans portable, sans GPS, ni même de notions d'italien pour demander ma direction. Je suis comme un petit clandestin sénégalais de 17 ans perdu en plein milieu de l'Italie.

Patrice Evra

à "So Foot"

C'est justement un Sénégalais qui lui vient en aide, l'héberge pour le soir et l'aide à trouver son train le lendemain. Il panique, à nouveau, au moment de savoir où descendre et s'en sort en sympathisant avec un groupe de religieuses. A Marsala, à l'en croire, le jeune joueur qui découvre le métier "coupe les escalopes en deux histoire de faire deux repas pour le prix d'un". Une histoire digne d'un biopic, dont il est difficile de savoir s'il la romance ou non : "Le milieu [du football] le soupçonne d’être sous l’emprise d’une forme de déréalisation, pointe LibérationIl faut toujours qu’il en fasse des caisses et au bout de quinze années à [se] raconter des trucs, forcément, démêler le vrai du faux n’est pas chose aisée."

Reste que Patrice Evra s'est effectivement sorti du bas de l'échelle du football italien, en surmontant une adversité pas toujours sportive. Seul joueur noir de son équipe, il raconte que "dans les premiers temps, mes coéquipiers voulaient m'appeler 'nero'. J'ai dû les menacer de les appeler 'bianco di merda'". "Ce n'était pas tout à fait du racisme, plus de l'ignorance, estime-t-il. J'ai eu les bruits de singes dans les tribunes et les pires insultes, mais je m'en suis servi pour me transcender."

Il explose à Monaco puis Manchester

Après un an à Marsala, il part au niveau supérieur, à Monza, avant d'arriver à Nice, en deuxième division française. Sa carrière bascule quand son entraîneur l'utilise pour dépanner sur le côté gauche de la défense, lui qui jouait en attaque. Son adaptation est tellement réussie qu'il est élu meilleur joueur de D2 à son poste, et signe à Monaco, où il explose en 2004 quand le club atteint la finale de la Ligue des champions.

Là encore, son tempérament le distingue. En demi-finale, contre Chelsea, un tacle dès le début du match lui laisse une plaie ouverte à la jambe. Son entraîneur Didier Deschamps lui fait signe pour le remplacer. 

Je lui ai dit que je lui défoncerais la tête s'il me faisait sortir. Je sais que c'était un peu fou, mais il fallait que je joue, même si j'avais l'impression que mon pied pendait à ma jambe. Je me suis excusé après coup d'avoir été aussi vulgaire.

Patrice Evra

au "Guardian"

Son tempérament fait une sacré impression à Alex Ferguson, le coach de Manchester United, qui lui rappelle cet épisode au moment de le faire signer. En Angleterre, il ramasse des titres à la pelle : cinq de champions, trois en Coupe de la Ligue, et trois finales de Ligue des champions dont une victorieuse en 2008. Il y gagne aussi une image de joueur très sûr de lui, capable de déclarations mémorables. "C'était onze hommes contre onze enfants", lâche-t-il après une victoire nette contre Arsenal en 2009, vexant quelque peu les joueurs d'en face.

Patrice Evra soulève le trophée du championnat d'Angleterre avec ses coéquipiers de Manchester United, le 12 mai 2013 à Manchester. (ANDREW YATES / AFP)

Capitaine officieux et susceptible

Devenu l'un des meilleurs du monde à son poste, Patrice Evra n'accepte pas toujours d'être critiqué en France. En 2013, il dégoupille contre des chroniqueurs lors d'une interview surréaliste dans l'émission "Téléfoot". Luis Fernandez est renommé "Michel Fernandel", et Rolland Courbis "Rolan Tournevis". Il met aussi au défi le chroniqueur Pierre Ménès : "Le jour où il arrivera à faire 8 jongles, j'arrête ma carrière". Le journaliste en fera 10, sans qu'Evra raccroche les crampons. Il s'en prend même à son prédécesseur en bleu, Bixente Lizarazu : "Lui, je ne sais pas s'il a déjà été élu meilleur arrière gauche du monde." Sa cible a, excusez du peu, remporté la Coupe du Monde et l'Euro. La séquence déclenche la deuxième grande polémique de la carrière de Patrice Evra, après Knysna, mais n'empêchera pas Didier Deschamp, le sélectionneur des Bleus, de le rappeler pour la Coupe du monde au Brésil, en 2014 : le joueur est simplement trop fort par rapport à la concurrence.

Ni l'égo ni les frasques de Patrice Evra ne lui ont fait perdre sa place et son influence en équipe de France. S'il n'est plus capitaine depuis 2010, les apparences ne trompent personne. "Il faut respecter Hugo [Lloris] et arrêter de dire que Patrice Evra est le capitaine des Bleus", implore-t-il en 2014, sans ignorer que le dire ne fait que le renforcer dans son rôle officieuxD'un documentaire sur le parcours de la France à l'Euro 2016, tout le monde retient le discours mobilisateur de "tonton Pat'" à la mi-temps de France-Allemagne, où ses coéquipiers renverseront les champions du monde. 

Déchaîné sur Instagram, largué sur la pelouse

Quand Marseille le recrute, en janvier, le club s'offre moins un arrière gauche vieillissant qu'un joueur d'expérience capable de galvaniser une équipe. "J’arrive à un âge où ce n’est même plus ma performance qui m’intéresse, reconnaît-il dans L’Equipe. Ce que je veux, c’est transmettre à mes coéquipiers cette envie de tout casser." Pourtant, rien ne se passe comme prévu. Aveuglé par sa confiance, Patrice Evra a-t-il surestimé ses capacités sur le terrain ? Ses performances donnent des sueurs froides aux supporters et, pour son premier "classique" contre le PSG, il est sorti à la mi-temps d'un défaite 5-1 au Vélodrome. Dans le même temps, il expose une autre facette sur Instagram, où il s'en donne à cœur joie, s'inventant un slogan – "I love this game" –, chantant en peignoir avec Paul Pogba ou embrassant son singe. Y compris les lendemains de défaites.

"Retourne à tes vidéos" devient alors une des invectives lancées depuis les tribunes. Le désamour avec le public marseillais est tel que ces dernières semaines, selon L'Equipe, son entraîneur "trouvait souvent des prétextes et des blessures diplomatiques pour ne pas consumer son cadre à domicile". Pendant ce temps, le joueur qui l'a mis sur le banc à l'OM, Jordan Amavi, a été appelé en équipe de France, où lui n'a plus mis les pieds depuis novembre 2016. C'est dans ce contexte que Patrice Evra a franchi la ligne rouge en frappant un supporter, jeudi soir. Pour la première fois de sa carrière, il pourrait ne pas s'en relever.

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