Foot féminin : bienvenue à la Coupe du monde des smicardes
Même lors des pires matchs de ce Mondial 2015, vous ne pourrez pas critiquer "les millionnaires en short". Il n'y en a (presque) pas.
"On ne joue pas au foot pour gagner de l'argent." Le constat est dressé par l'internationale américaine Nikki Marshall, et semble immuable : vingt-cinq ans après la première Coupe du monde (des tournois non-officiels se déroulaient avant), malgré la médiatisation, les salaires des joueuses demeurent à des années-lumière de ceux de leurs homologues masculins. Etat des lieux à l'occasion du Mondial 2015, qui se déroule jusqu'au 5 juillet au Canada.
La France, eldorado du foot féminin
Combien gagne une footballeuse professionnelle ? Il existe autant de réponses que de championnats - la mondialisation n'a pas encore tout uniformisé. La France et l'Allemagne font figure d'eldorado, avec des salaires allant jusqu'à 10 000 euros mensuels pour la Suédoise Lotta Schelin, à Lyon. Une bonne joueuse du championnat émarge à 5 000 euros mensuels dans un club français de haut de tableau (Lyon, PSG, Montpellier...).
Quant aux autres... "La moyenne en Europe oscille entre 1 000 et 2 000 dollars [880 à 1 760 euros]", explique l'agent Faudlin Pierre à NBC (en anglais). Sur sa plaquette pour démarcher les sponsors, le club d'Arras, lanterne rouge de D1, vante son sérieux : "L'argent investi dans le football féminin n'est pas gaspillé. Pas de salaires mirobolants, 90% des joueuses de D1 ont un statut amateur."
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Et les Etats-Unis, le pays roi du foot féminin ? Le championnat a fait faillite trois fois en dix ans. Lors de la dernière mouture, les salaires ont été strictement plafonnés pour éviter tout dérapage budgétaire. Entre 6 000 dollars (par an, oui, juste au-dessus du seuil de pauvreté aux Etats-Unis) et 280 000 pour les stars comme Alex Morgan (dont le salaire est pris en charge par la fédération américaine). Forcément, cela donne des témoignages comme celui de Maddie Thompson, dans Peninsula Press (en anglais). Professionnelle au Sky Blue FC, une équipe du New Jersey, elle partage une chambre chez l'habitant avec une de ses coéquipières. "C'est comme une chambre d'hôtel en plus petit. Il y a un placard, mais il est rempli à moitié par les affaires de la famille d'accueil." Pour faire des économies, les deux jeunes femmes évitent de sortir au restaurant. Et si le club leur a payé une voiture pour rejoindre le centre d'entraînement, qui se trouve à 30 minutes de route, ou le stade, à 45, il ne prend pas en charge l'essence.
Les joueuses américaines qui mènent des études en parallèle n'hésitent pas longtemps entre poursuivre leur passion et trouver un vrai job. Jazmine Reeves, un an en pro et déjà internationale, a arrêté sa carrière à 22 ans pour travailler chez Amazon, relève ainsi le site spécialisé Equalizer (en anglais).
Une SDF en équipe d'Angleterre
La situation n'est guère plus reluisante en Australie. Katrina Gorry, meilleure joueuse d'Asie, travaille huit heures par jour dans un café de Brisbane, révise le soir pour un diplôme de commerce, et trouve le temps de s'entraîner pour les matchs de championnat. Les joueuses internationales ne reçoivent comme indemnité de la fédération australienne qu'un quart du salaire minimum local, dénonce le site WA Today (en anglais).
Mais l'exemple le plus incroyable vient d'Angleterre, où la joueuse la plus capée de la sélection, Fara Williams, a évolué pendant plusieurs années en club comme en équipe nationale alors qu'elle était SDF. Quand elle a révélé cette période de sa vie, en 2014, dans une interview au Guardian (en anglais), elle s'estimait chanceuse : "Moi, j'avais le football. Beaucoup de sans-abri n'ont plus rien à quoi se raccrocher." Pour éviter d'être reconnue, elle adoptait une technique développée par les SDF qui souhaitent rester seuls : "Je faisais des bruits bizarres, je criais, comme si j'étais folle." La jeune femme, en rupture familiale, a fêté son 18e et son 21e anniversaire dans un hôtel miteux de Lincoln. Il a fallu attendre 2004 et son transfert à Everton pour que sa coach lui propose un travail... et le salaire qui va avec.
Des photos dénudées ne vont pas régler le problème
Le foot féminin est pris dans l'engrenage sous-médiatisation -> peu de revenus -> salaires qui ne décollent pas -> spectacle décevant -> sous-médiatisation. La presse américaine a autant parlé de l'attaquante Alex Morgan lors de la Coupe du monde 2011... que lors de son passage en petite tenue dans le supplément maillots de bain du magazine Sports Illustrated. "Si, grâce à ces photos, les gens passent d'Alex en bikini à Alex sur le terrain... Il faut en passer par là", se défend un membre du staff de la sélection américaine, cité par le site sociologique Contexts (en anglais). Une croyance tenace. Mais fausse. Comme le résume The Nation (en anglais) : "Sexualiser les sportives vend du sexe, pas du sport féminin." Plusieurs études universitaires montrent que le cœur de cible du sport féminin est choqué par ce genre de clichés.
L'équipe de France féminine est aussi passée par là. Quatre joueuses ont posé nues en 2009 pour générer quelques retombées dans les médias. Depuis, les Bleues n'ont plus eu besoin d'avoir recours à ces procédés pour faire parler d'elles, bien aidées par des résultats historiques (demi-finale de Coupe du monde en 2011, demi-finale aux JO l'année suivante). Un titre de championnes du monde, allié à la montée en puissance du PSG pour concurrencer l'OL et donner de l'intérêt au championnat, constituerait une étape décisive.
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