Cet article date de plus de cinq ans.

Burgers roses, crampons aiguilles... Quand le marketing autour de la Coupe du monde féminine se met hors-jeu

Depuis le début de la compétition, certains publicitaires croient bien faire en mettant les femmes en avant. Problème, c'est parfois complètement raté. 

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Capture écran du site de la société speed-burger qui commercialise des burgers roses pour la Coupe du monde féminine de football. (www.speed-burger.com)

Speed Burger pensait bien faire en proposant à ses clients un burger rose pour la Coupe du monde féminine de football. Raté : depuis son lancement le 3 juin, le sandwich (et sa double ration de cheddar à 6,90 euros) fait un flop sur les réseaux sociaux. "Toujours plus loin dans les clichés""sexisme crasse"" récupération commerciale sexiste", s'agacent les internautes.

La fondatrice du compte Twitter @PepiteSexiste, qui relève les "pépites sexistes" comme son nom l'indique, a elle aussi failli s'étouffer en tombant sur l'affiche du burger rose : "Mais franchement, comment peut-on encore avoir l'idée de faire ça en 2019 ?"  Après quinze jours de compétition, il est clair que les "perles sexistes" en matière de marketing ont eu beaucoup de temps de jeu. Si l'on fait un rapide inventaire sur le pré vert, il y est question de jouer en talons aiguilles ou de célébrer la victoire en faisant le ménage.

Même les plus grandes multinationales peuvent tomber dans le panneau. C'est le cas de la compagnie aérienne Qatar Airways qui a cru bon d'intégrer à son spot un visage connu (celui de Neymar) pour rendre son message plus attractif.

"On a bien affaire à un marketing genré"

Le directeur général de Speed Burger ne voit pourtant pas ce qu'il y a de gênant avec son burger rose. "Il y a toujours des gens qui cherchent à voir le mal partout, s'agace Bruno Bourrigault. Le maillot [des Bleues] a une pointe de rose sur le logo, on s'est dit qu'on pouvait se permettre de faire ça aussi. Que certaines personnes puissent être heurtées sur la couleur d'un burger quel que soit l'événement, c'est bien dommage."

Ce n'est qu'un burger, on parle de quelque chose qui pèse 70 grammes, il y a pire dans la vie.

Bruno Bourrigault

à franceinfo

Le directeur général de Speed Burger assure que ceux qui critiquent l'opération se trompent de combat. "Si on compare la communication nationale par rapport au Mondial masculin, là il n'y a pas photo. L'année dernière, les joueurs on les voyait partout. Les joueuses, on les voit moins", note-t-il. Bruno Bourrigault se félicite donc d'avoir pu se saisir de l'événement et ne regrette pas ce burger rose. Le patron s'inquiète surtout des stocks disponibles : "On sait que l'équipe de France sera en finale, sourit-il. Mais je ne suis pas sûr qu'on pourra aller jusqu'au bout de la compétition avec ce burger."

Des explications qui font sourire Marie-Noëlle Bas. "C'est tout le temps ce que disent les gens pour se défendre ou se défausser, constate la présidente de l'association Les Chiennes de garde. Pour autant, burger ou pas, on a bien affaire à du marketing genré. On prend un produit qui n'a rien à voir avec le sport et on le rend 'girly'."

Dans le football, quand on évoque les footballeurs, c'est en termes de compétences et de puissance. Mais quand on évoque les femmes, c'est toujours à travers leurs corps et leur caractère.

Marie-Noëlle Bas

à franceinfo

"On retrouve des stéréotypes basiques"

Dans toute cette accumulation d'exemples, qu'ils soient locaux ou nationaux, la sémiologue Mariette Darrigrand y voit surtout "du retard et de la bêtise ordinaire". "Il y a encore des gens que ça gêne de voir des femmes jouer au football parce que c'est relativement nouveau et que ça touche des représentations, décrypte auprès de franceinfo l'auteure de J'te kiffe/Je t'aime (éd. Gallimard). Donc on retrouve des stéréotypes basiques." Et d'ajouter : "L'idée n'est pas de dire que nous n'avons pas le droit de rire ou de plaisanter parce que ce sont des femmes. Pas du tout, on a le droit de marivauder mais il y a ici une volonté de discréditer ou de dégrader", analyse la créatrice de L'Observatoire des mots.

Avec les années, Marie-Noëlle Bas constate aussi quelques progrès : "J'ai le sentiment que les pièges du passé ont été globalement évités cette année. Par exemple, je n'ai pas vu de femme dénudée pour évoquer le tournoi." Marion, qui anime le compte Twitter @PepiteSexiste, voit également du changement. "Il arrive que des annonceurs fassent leur mea culpa. Un établissement, qu'on avait épinglé, m'a contactée en privé pour s'excuser et me demander comme il pourrait se rattraper." Sa phrase "Ici, on mate les filles" a été complétée et remplacée par "Ici, on mate les fillesles garçons et la Coupe du Monde".

 

"C'est assez rare comme démarche positive qu'elle mérite d'être soulignée", applaudit Marie-Noëlle Bas, de l'association Les Chiennes de garde. "Donc, j'ai envie de me dire que les choses rentrent un peu dans la tête des gens avec le temps, que les gens ont compris que le sexisme était un vrai sujet. Mais on n'est pas encore au bout de la compétition !" sourit-elle. Autrement dit, pendant les trois semaines qui restent, on n'est pas à l'abri d'une belle position hors-jeu de la part d'un publicitaire.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.