Cet article date de plus de deux ans.

CAN 2022 : "Soit on trahit son club, soit on trahit sa sélection", estime l'ex-international béninois Emmanuel Imorou

D'après l'ex-joueur de Caen et du Bénin, il y a bien un problème de considération à l'égard de la Coupe d'Afrique des nations, dont l'édition 2022 débute dimanche.

Article rédigé par Andréa La Perna, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Emmanuel Imorou (à droite) lors du quart de finale de la CAN 2019 sous les couleurs du Bénin face au Sénégal de Sadio Mané (à gauche). (OMAR ZOHEIRY / DPA)

Avec le retour de la Coupe d'Afrique des nations en hiver, les internationaux africains convoqués se retrouvent obligés de faire un choix entre leur club et leur sélection. Un choix qui peut leur porter préjudice. L'attaquant de la Côte d'Ivoire, Sébastien Haller, a d'ailleurs pointé cette anomalie le 29 décembre lorsqu'un journaliste du média néerlandais De Telegraaf lui a demandé s'il n'aurait pas préféré rester jouer avec son club, l'Ajax Amsterdam.

"Poseriez-vous cette question à un joueur européen avant un Euro ? Bien sûr que je vais aller jouer la CAN. C'est le plus grand honneur. Cette question prouve le manque de respect pour l'Afrique", a déclaré le natif de Ris-Orangis. Sa réaction a provoqué une prise de parole de l'ancien international anglais Ian Wright sur Instagram : "Y a-t-il déjà eu un tournoi aussi peu respecté que la CAN ? Sa couverture médiatique est complètement teintée de racisme".

Des propos qui font écho à ceux du tout frais président de la Fédération camerounaise, Samuel Eto'o, énervé par les pressions des instances non-africaines pour reporter la CAN 2022, organisée dans son pays : "On est en train de nous traiter comme on nous a toujours traités : nous sommes des moins que rien et nous devons toujours subir." A la veille du coup d'envoi de la compétition, l'ex-international béninois Emmanuel Imorou, participant aux éditions 2010 et 2019, revient sur le mépris à l'égard de la Coupe d'Afrique tout en pointant les multiples dysfonctionnements qui empêchent de changer le regard qu'on lui porte.

Franceinfo sport : Sentez-vous ou avez-vous senti un manque de considération à l'égard de la CAN ?

Emmanuel Imorou : Maintenant que je suis passé de l'autre côté (il est responsable de la communication à La Berrichonne de Châteauroux, ndlr), c'est vrai que je me rends compte qu'il est normal pour certaines personnes qu'un joueur n'aille pas disputer la CAN. Et s'il n'allait pas en équipe de France, est-ce qu'on dirait ça ? Bien sûr que non. C'est devenu 'normal' pour certains clubs de choisir pour le joueur s'il va rejoindre sa sélection nationale. Tout ça témoigne du manque de respect qu'on peut avoir d'une façon générale à l'égard du continent africain, au-delà même de la CAN. Je pense que n'importe quel international africain pourra dire la même chose.

D'après vous, tout n'est pas qu'une question de calendrier et ça dépasse le domaine du football ?

Si demain l'Euro était décalé au mois de janvier, je ne pense pas que les clubs européens arriveraient à retenir leurs joueurs. Mais avoir une Coupe d'Afrique en même temps que la saison en club, c'est évident que ça n'aide pas. Il y a quelque chose qui doit venir des joueurs eux-mêmes. Aujourd'hui, c'est trop facile pour un joueur africain de pouvoir faire l'impasse en sélection [en se cachant derrière les ambitions de son club]. Tout ça apporte du crédit aux personnes qui pensent que la sélection africaine ne représente rien. 

Voir de grands joueurs qui jouent dans de grands clubs européens (Mohamed Salah, Sébastien Haller...) prendre position et rejoindre leur sélection pour tous les matchs et pas uniquement pour les phases finales des grandes compétitions, c'est hyper important. Au Bénin, on avait Stéphane Sessègnon. Il avait beau jouer au PSG, il était hors de question qu'il manque le moindre match international.

Ces derniers mois ont enregistré beaucoup de prises de parole médiatiques pour défendre la CAN, est-ce le signe d'une prise de conscience ?

Je pense qu'il y a toujours eu des personnes qui ont pris position pour ne pas négliger la compétition. Maintenant, c'est vrai que la voix d'un Samuel Eto'o peut changer la donne. Il a ses défauts mais c'est quelqu'un qui dit ce qu'il pense. Il n'est pas du genre à s'asseoir devant plus gros que lui. C'est très important qu'un mec qui a déjà eu une carrière utilise son poids médiatique, son charisme et son franc-parler pour défendre le football africain.

Vous parliez des joueurs qui se cachaient derrière leurs ambitions en club pour ne pas aller à la CAN. Deux joueurs de Saint-Etienne, Mahdi Camara et Zaydou Youssouf, ont justement fait le choix de rester dans le Forez. Leur entraîneur Pascal Dupraz a salué "une très belle attitude qui démontre qu'il y a des garçons qui ont encore envie de se battre pour le club". Qu'en pensez-vous ?

C'est hyper malsain. Il sous-entend que ceux qui sont partis ne pensent pas à leur club. Je trouve ça aberrant. L'équipe nationale fait partie de la vie d'un joueur qu'importe la situation du club ou de la sélection. On a trop tendance dernièrement à faire passer le message qu'un joueur appartient à son club. C'est faux. Aujourd'hui, plus la sélection est loin au classement Fifa, plus le club a le sentiment qu'il prédomine. C'est insupportable, mais c'est devenu normal.

Avez-vous subi des pressions de votre club avant de participer à vos deux CAN en 2010 et 2019 ?

Non. La première fois, j'étais à Gueugnon et mon coach était très compréhensif. La seconde fois, ça n'a pas posé problème non plus parce que c'était l'été au moment où mon contrat arrivait à expiration avec Caen. Mais j'ai le souvenir qu'il arrivait que je revienne de sélection avec une douleur à la cuisse par exemple. Les fois d'après, je n'en ai plus parlé. Je dis souvent que les joueurs participent aussi à la décrédibilisation de la CAN mais l'ironie de l'histoire c'est que j'ai moi-même demandé à mon coach son autorisation pour aller à la CAN 2010. J'étais jeune et je n'avais pas encore conscience de tout, et lui-même m'a dit que je n'avais pas à lui demander l'autorisation.

Emmanuel Imorou en discussions avec l'arbitre lors d'un match entre Caen et Paris en Ligue 1 le 20 mai 2017. (STEPHANE ALLAMAN / DPPI via AFP)

Pour remédier au manque de considération qu'il y a à l'égard de la CAN et du football africain, vous parliez de la voix de personnes comme Samuel Eto'o... Qu'est-ce qu'il faudrait de plus pour que les choses changent ?

Il faudrait surtout dans un premier temps que les sélections se respectent et se fassent respecter. Il y a trop d'exemples d'équipes nationales qui courent après des joueurs qui ne veulent pas venir en sélection. Au Gabon, ils paient certains joueurs pour qu'ils portent le maillot de leur pays. Ca ne devrait pas exister. On a le droit de ne pas vouloir jouer pour sa sélection, mais il faut l'assumer. Ca ne devrait pas être aussi facile de pouvoir faire volte-face dans un sens ou dans l'autre. Rien que ça, ça amènerait une part de respect, de fierté et de reconnaissance.

Et pour ce qui est des problèmes de calendrier ?

A titre personnel, je pense que ce serait mieux de la jouer en été et en dehors du calendrier des clubs. Dans l'immédiat, il n'y aura pas forcément plus de considération mais ce serait déjà plus facile pour les joueurs d'aller en sélection. Dans un monde idéal, un international ne devrait pas avoir à choisir mais il est obligé de faire un choix. Soit on trahit son club, soit on trahit sa sélection. Certains joueurs ont le tort d'être trop bons pour préférer la sélection. Si je me mets à la place d'un club et que je veux recruter un joueur, imaginons que j'hésite entre deux joueurs et que l'un des deux est sûr de ne pas être présent pendant un mois. Forcément le doute s'immisce.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.