Grandir à l'étranger : les tribulations allemandes de Michaël Cuisance et Jonathan Schmid
L'écrasante majorité des gloires du football français sont toutes passées par la case Ligue 1. Prenez l'équipe championne du monde 1998. L'intégralité des vingt-deux hommes appelés par Aimé Jacquet étaient tous passés par l'élite du football français et, à l'exception de David Trezeguet, y avaient tous débuté leur carrière professionnelle. Vingt ans plus tard, le championnat français n'est plus une étape obligatoire dans le cursus des footballeurs français.
Quatre champions du monde 2018 ne connaissent ni la Beaujoire, ni le Roazhon Park. Parmi eux des stars, des modèles à suivre : Paul Pogba et Antoine Griezmann. Le premier a signé pro avec Manchester United, l'autre avec la Real Sociedad. Les deux ont déjà été nommés parmi les 15 premiers du classement du Ballon d'Or. Steven N'Zonzi et Lucas Hernandez n'ont également pas eu besoin de faire leurs preuves en Ligue 1 pour glaner la deuxième étoile bleue.
Ce phénomène est relativement récent. Si l'on s'intéresse aux trajectoires des trentenaires parmi les vingt-trois du Mondial en Russie, aucun n'a quitté la France avant ses 25 ans, que ce soit Lloris, Mandanda, Rami, Matuidi ou Giroud. La génération qui les suit, celle des moins de 23 ans, encore considérée "espoirs", est majoritairement déjà passée à l'étranger. Quatre des six U23 champions du monde cette année jouent déjà à l'étranger (Pavard, Lemar, Dembélé, Hernandez), les deux autres évoluant sous les couleurs du PSG (Mbappé, Kimpembe).
L'accroissement de l'intérêt porté aux pépites françaises et le développement des réseaux de scouting des clubs étrangers ont joué un rôle dans ces départs précoces. Mais il arrive également que le joueur décide lui-même de tenter sa chance hors des projecteurs de la Ligue 1. Pour creuser la question, qui ne s'étend pas seulement aux internationaux, nous nous sommes concentrés sur le championnat allemand et avons donné la parole à deux joueurs qui y ont lancé leur carrière professionnelle : Michaël Cuisance et Jonathan Schmid.
Privilégier la souplesse
Les deux joueurs sont issus d'une pré-formation strasbourgeoise et ont mis le cap sur l'Allemagne au moment de passer pro à presque dix ans d'intervalle. Si Michaël Cuisance avait plusieurs offres sur la table avant d'opter pour le Borussia Monchengladbach à l'été 2017, Jonathan Schmid s'est trouvé au bon endroit au bon moment quand Fribourg lui a donné sa chance en 2008.
"Jeune je voulais faire mes preuves en Ligue 1, mais j'ai été viré du centre de formation de Strasbourg à 15 ans", explique le latéral polyvalent, reconnaissant un déficit d'implication et une tendance au surpoids à l'époque. Il passe alors par des petits clubs de quartier comme celui de Bischheim en 2007, puis passe un essai avec Offenburg, un petit club allemand. Lors d'un match amical contre Fribourg, il inscrit un but et est attiré par le club alors pensionnaire de deuxième division allemande.
Opportunité saisie. De son côté, Cuisance avait le choix entre plusieurs offres au moment où Nancy ne le fait pas jouer du tout en Ligue 1. Observé et contacté par plusieurs clubs, il "pèse le pour et le contre" et opte pour la Bundesliga et Monchengladbach. Un club qui "fait confiance aux jeunes" selon l'intéressé, qui s'est très tôt fixé un plan et des objectifs.
Les deux joueurs s'accordent sur une chose : le système d'ascension français est trop rigide comparé à celui qu'ils ont connu de l'autre côté du Rhin. Ne pas faire partie du groupe pro à 20 ans rend les choses très compliquées en France selon Schmid. "En Allemagne, à n'importe quel âge tu peux passer pro. Les clubs sont plus patients", explique l'homme aux 199 matches de Bundesliga. Rigueur et souplesse dans la formation.
L'adaptation en guise de seconde nature
"Quand je suis arrivé, je n'avais pas appris le moindre mot d'Allemand", concède Cuisance, qui a dû prendre des cours pour s'intégrer dans le vestiaire, même s'il y côtoie plusieurs francophones comme Thorgan Hazard, Mamadou Doucouré ou Ibrahima Traoré. Schmid est également passé par là en arrivant à Fribourg. "Je comprenais assez pour faire les exercices comme les autres, mais c'est vrai que pour s'exprimer c'était plus compliqué. J'étais un peu timide et j'avais peur de faire beaucoup de fautes", explique-t-il.
Les valises aussitôt posées sur un sol moins familier, la jeune recrue se place dans une position d'adaptation. Processus banal pour bon nombre de footballeurs professionnels. Mais à force de pratiquer l'intégration, elle devient une seconde nature, surtout dans un contexte où le maître-mot est "discipline" - le terme revient chez les deux joueurs. Contrairement à un jeune espoir français lambda lancé en Ligue 1 après plusieurs années passées dans son club formateur, il n'y a pas cette atmosphère de confiance.
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Des lacunes trop importantes, ne serait-ce qu'en termes de compréhension des consignes à l'entraînement, induisent généralement une mise à l'écart. Dans tout ce qu'il accomplit, Michaël Cuisance doit faire ses preuves et il le sait. Pour sa première saison dans l'élite du football allemand à 18 ans, il s'adjuge même une place de titulaire dans l'entre-jeu du Borussia (24 matches sur 34 disputés) et est nommé joueur de l'année par son club. Conscient du tranchant de son jeu de passe et de son endurance, il sait que tout départ, aussi flamboyant soit-il, n'est pas suffisant.
"Je dois m'inscrire dans la durée. Si on s'adapte pas, on tombe", tranche l'international français U20 dont le temps de jeu s'est réduit en ce début de saison (3 matches, 0 titularisation). De son côté, Jonathan Schmid est devenu une valeur sûre de Bundesliga. Toujours dans cette idée de répondre présent "quand on a besoin de (lui)", il a n'a jamais disputé moins de 22 matches de championnat par saison depuis 2011. D'abord ailier droit, il est plus régulièrement appelé au poste de défenseur latéral ces derniers mois, comme si sa polyvalence était le fruit d'une adaptation constante.
Appels de phare bleu-blanc-rouge
Dans un contexte post-deuxième étoile, difficile d'imaginer ces deux expatriés bousculer la hiérarchie à court terme chez les Bleus. Mais Schmid n'a que 28 ans et n'a pas souhaité évoluer sous les couleurs de l'Autriche, pays de son père. Il pourra peut-être créer la surprise au poste de latéral droit, le moins bouché en équipe de France, dans les prochains mois.
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De son côté, Cuisance est pressenti pour intégrer les A à terme. Il présente des qualités très demandées à son poste actuellement, dont un jeu de passe aiguisé à même de briser les lignes adverses. Si Didier Deschamps a appelé son coéquipier Alassane Pléa, il est possible d'imaginer qu'il garde un œil sur le jeune milieu du Borussia Monchengladbach.
Pour Jonathan Schmid, il faudra espérer une belle saison d'Augsbourg, qu'il a rejoint en 2016. "Pourquoi pas accrocher l'Europa League", concède-t-il, tout en espérant un maintien le plus précoce possible. Et si les radars de l'équipe de France ne le détectent pas, un retour en Ligue 1 est envisageable. Le latéral polyvalent de 28 ans confie avoir "envie de retrouver (ses) proches". Il se verrait bien porter à nouveau les couleurs strasbourgeoises, cette fois chez les pro, "sans rancune" après l'échec de son éclosion française.
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