: Grand entretien Sébastien Haller : "Ma vie de footballeur m’a aidé à vaincre le cancer"
Sa plus belle victoire, Sébastien Haller vient de la signer loin des terrains de football. À 28 ans, l'attaquant franco-ivoirien du Borussia Dortmund a vaincu un cancer du testicule, diagnostiqué en juillet 2022. Après sept mois de chimiothérapie et deux opérations, le treizième du dernier Ballon d'Or est revenu à la compétition en janvier, et a même disputé les huitièmes de finale de Ligue des champions.
Ce combat contre la maladie, Sébastien Haller a décidé d'en faire "quelque chose d'utile". C'est ainsi qu'est né le documentaire "Le Combat d'Haller"*, disponible sur Canal+, et qu'il est venu présenter à ses proches dimanche 19 mars, à Paris. Dans ce film d'une heure, on suit l'athlète dans sa lutte touchante contre le cancer, dans l'intimité de sa famille, et les efforts consentis pour revenir au plus haut niveau derrière. De longs mois de combat sur lesquels revient Sébastien Haller pour franceinfo: sport, avant de s'envoler rejoindre la sélection de Côte d'Ivoire.
Franceinfo: sport. On sort de la projection du documentaire sur votre combat contre le cancer, devant vos proches. Pourquoi avoir organisé tout cela, alors que vous aviez déjà une maladie à combattre ?
Sébastien Haller. C'était très important pour moi. Cet évènement, c'était aussi pour réunir des gens que je n'ai pas forcément vus depuis le début de ma maladie, pour discuter avec eux de ce que j'ai traversé. C'est bien pour mes proches aussi de voir ce que j'ai dû, pu faire. Ils comprennent ce que j'ai traversé. Réunir tout le monde, c'est un beau moment. En plus après un doublé [contre Cologne, deux jours avant l'interview réalisée dimanche 19 mars], avant de rejoindre la sélection, le timing est parfait (rires). Ça donne un écho médiatique à ma lutte, et c'est ce que je voulais.
Justement, laisser entrer des caméras dans son intimité, quand on lutte contre le cancer, ce n'est pas simple. C'est votre idée ?
Oui. Dès le tout début, je me suis dit qu'il fallait que je tire quelque chose de cette épreuve. Ça a mis un peu de temps à se mettre en place, parce qu'il y a tout un processus à suivre par rapport à la maladie. Mais je me suis dit que si ça m'arrivait à moi, qui ai la chance d'avoir une notoriété, je devais en faire quelque chose. Je ne voulais pas que ça passe inaperçu, que tous ces efforts soient vains. J'ai reçu tellement de soutiens du monde du football, de mes proches…
"Je voulais rendre mon combat contre le cancer public pour montrer que ce soutien me rendait fort, et qu'on pouvait s'en sortir."
Sébastien Hallerà franceinfo: sport
Montrer ma lutte, les jours d'hôpital, ça permet de faire parler du cancer et de prouver qu'on peut aller de l'avant, et comment on le fait. Vaincre la maladie, c'est un travail de longue haleine qui se fait au jour le jour. Je voulais briser le tabou autour du cancer. Il ne faut pas attendre d'avoir un cancer pour en parler. J'ai voulu utiliser mon image pour transformer cette épreuve en quelque chose de positif, surtout en ces temps compliqués. Et ça me fait plaisir de le faire.
On voit dans le film que vous gardez votre humour dans cette épreuve, ce qui vous permet d'évoquer des sujets comme l'impact supposé sur la masculinité, la vie sexuelle…
Oui, parce que ce sont des sujets sur lesquels on ne va pas te lancer. Personne ne va te demander "Alors, ça fait quoi de n'en avoir plus qu'une ?". Personne ne va oser. C'est à toi d'aller vers les gens, d'en parler librement pour expliquer que rien ne change. De toute façon tu ne vas pas les montrer à tout le monde dans la rue, si ? Donc rien ne change, ça reste dans l'intimité. Ça n'enlève pas les rêves que tu as, les choses que tu as accomplies, la personne que tu es. C'est juste un changement physique, et un changement qui ne se voit même pas, en plus !
Avant d'en rire, ça a dû vous prendre du temps. Pour résumer la situation : vous devenez la recrue la plus chère de l'histoire de Dortmund en juillet, avec la lourde tâche de succéder à Erling Haaland. Et dans la foulée, on vous diagnostique ce cancer du testicule…
En plus ma femme n'était pas là, elle était avec les enfants. Ça a été plus dur pour elle, je pense, qui était seule avec les trois enfants, à devoir faire semblant pendant trois jours. Moi, j'étais seul, je pouvais gérer. C'était compliqué, évidemment, mais ce sont des paramètres que tu ne contrôles pas. Ça te tombe dessus, c'est comme ça. Tu dois l'annoncer à ta famille, au monde entier. Ton quotidien se retrouve chamboulé du jour au lendemain. C'est relou, tu pars pour des efforts et épreuves que tu n'avais pas prévus. Mais jusque-là, j'ai eu une vie chanceuse.
"Chacun a son lot d'épreuves, je me suis dit que je devais passer par ça pour être encore plus heureux et profiter de la vie, donc allons-y : on va le battre ce cancer."
Sébastien Hallerà franceinfo: sport
Vous parlez souvent de vos enfants, mais comment on annonce une chose pareille ? À leurs yeux, on passe du père fort, sportif, au père malade...
Dès la première opération, on discute avec Priscilla [son épouse] pour savoir comment on l'annonce. On ne peut pas le cacher aux enfants, ils me voient partir à l'hôpital pendant cinq jours, perdre mes cheveux. Ils voient leur mère triste. C'est impossible de leur cacher. Et dans cette génération de réseaux sociaux, les images pouvaient très vite leur arriver. On a discuté, on s'est renseignés sur internet. On a trouvé une vidéo youtube qui expliquait le cancer aux enfants. On a essayé de tout leur dire. Et après, on leur montre qu'on est forts, qu'on avance.
La maladie a-t-elle changé votre rapport à votre corps, qui est aussi votre outil de travail ?
J'ai toujours eu conscience de l'importance de mon corps, depuis tout petit. Quand on vient d'une banlieue parisienne, avec une vie modeste, et qu'on te dit que tu peux t'en sortir grâce à tes pieds, et changer la vie de toute la famille, tu prends conscience que ton corps vaut cher. Tu le chouchoutes. Tout le travail que j'ai fait en amont, ma vie de footballeur, m'a aidé à vaincre le cancer. J'ai continué à prendre soin de mon corps pendant le traitement. La chimio, ça faisait mal : on se rend compte qu'avec tous ces médicaments, on te tue de l'intérieur un peu. Mais je continuais à travailler, notamment la mobilité pour réduire la tension au niveau des cicatrices.
Le regard des autres, même si vous avez été beaucoup soutenu, pèse aussi. Et malgré ça, vous êtes allés sur scène lors du Ballon d'or en octobre. Pourquoi ?
Déjà, la présence de Didier Drogba, mon idole, sur scène, ça a pesé. Et puis surtout : il n'y a pas de honte à être malade, à avoir un cancer. Ce n'est pas de notre faute. Et ce combat contre la maladie, c'est un beau combat. Si tu ne te bats pas, tu ne gagnes pas. Aller au Ballon d'or, c'était une façon de remercier pour le soutien, de montrer que je me battais, et que la vie continuait. Qu'on soit footballeur, ouvrier ou chômeur, on ne peut pas se permettre de ne pas avancer. Il ne faut pas survivre, mais vivre, aller chercher les choses et ne pas se cacher.
Vous avez fait votre retour sur les terrains en janvier, marqué, et même disputé les huitièmes de finale de Ligue des champions face à Chelsea. À quel moment avez-vous compris que ce cancer était derrière vous ?
Quand le docteur me dit que c'est bon, qu'il n'y a plus de restrictions. À la fin de cette échographie, fin décembre, je sais que c'est bon : je suis revenu, et c'est reparti. Me revoilà !
*Les revenus publicitaires générés par le documentaire seront reversés à la Ligue contre le Cancer.
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