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Bestial, populaire, maudit... quel type de club est l'Atlético Madrid ?

Le club entraîné par Diego Simeone affronte le Real Madrid en finale de Ligue des champions samedi. S'il n'a pas autant de trophées que son illustre voisin, l'Atlético bénéficie d'un amour inconditionnel de ses fans et d'une réputation rock'n'roll...

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un supporter de l'Atlético Madrid exhibe un tatouage à la gloire de son club, le 17 mai 2014.  (DANIEL OCHOA DE OLZA / SIPA )

"Dis papa, pourquoi on est pour l'Atléti ?" Dans sa voiture, le père de famille regarde droit dans le pare-brise, sans trouver ses mots. A la fin du spot, on lit : "[l'amour de l'Atlético Madrid] C'est difficile à expliquer, mais c'est quelque chose de très grand."

Le deuxième club de Madrid, derrière l'insurpassable Real, n'a pas une armoire pleine à craquer de trophées pour faire sa promotion, mais préfère jouer sur la ferveur de son incroyable public. Portrait d'un club d'anciens losers sacré champion d'Espagne le week-end dernier et en lice pour soulever la Ligue des champions samedi 24 mai. 

Un club de prolétaires

"Le Real est un club mondial, alors que l'Atlético est le club de Madrid", affirme l'attaquant international Fernando Torres, enfant du club rouge et blanc. L'establishment espagnol a choisi son camp : l'ancien Premier ministre José Maria Aznar avait sa carte de socio des "Merengue" (les meringues, en référence au blanc immaculé du maillot du Real). L'actuel chef du gouvernement Mariano Rajoy n'a pas caché sa préférence : "Je souhaite que le Real gagne." L'ancien président de l'Atletico, Jesus Gil y Gil, a un jour déclaré que "la tribune présidentielle du Real Madrid est constituée des trophées de chasse de Franco"

Résumer la finale à un match entre les quartiers riches du nord du Madrid pro-Real et les pauvres du sud pro-Atlético serait un peu réducteur. Le prince Felipe est président d'honneur de l'"Atléti" – les fans ne prononcent pas la dernière syllabe, sachez-le –, pour maintenir un semblant d'équilibre.

Un club de fous

L'ancien président de l'Atletico Madrid Jesus Gil y Gil à la fenêtre du tribunal de Malaga, le 8 août 2003.  (REUTERS)

Souvent taxé de maison de fous, l'Atlético doit largement cette réputation à son ancien président, Jesus Gil y Gil qui reprend le club en 1987 après avoir fait fortune dans l'immobilier. Au départ, il voulait être vétérinaire, mais sa terreur des scalpels le poussera à changer de voie. Pourtant, il sera souvent question d'animaux au cours des deux décennies qu'il passer à la tête du club. Lorsque son équipe gagne le championnat, en 1996, il parade dans les rues de Madrid sur un éléphant. Dans les moments difficiles, il menace ses joueurs de les jeter aux crocodiles. Les mauvaises langues affirment qu'en matière de transferts, Jesus Gil y Gil prenait conseil auprès de... son cheval, Imperious, note le Guardian. L'animal ne savait manifestement pas toujours miser sur le bon cheval. En vingt ans, Gil a renvoyé 50 entraîneurs, et a enrôler en moyenne environ 14 nouveaux joueurs chaque saison. Un record du monde, d'après les calculs du blog The Swiss Ramble (en anglais).

A son actif : un inoubliable doublé coupe-championnat en 1996. A son passif : une bagarre mémorable avec le président du club de Compostelle, une dette abyssale, une condamnation pour fraude... contre son propre club, en 2003. Pourtant, un millier de fans le fêtent à sa sortie de prison la même année.

Un club maudit

"Quand j'avais 7 ou 8 ans, presque tous les enfants à l'école supportaient le Real. Du coup, je mettais mon survêt de l'Atlético pour les provoquer. Mais au fond de moi, j'étais dégoûté, car je savais qu'on allait perdre le week-end", se souvient Fernando Torres, cité par ESPN

Tout commence en 1974. Jusque-là, les "Rojiblancos" (rouge et blanc) ont enchaîné les titres dans les années 1940, 1950 et 1960, donnant du fil à retordre au Real Madrid. Cette année-là, le club atteint la finale de la Coupe des clubs champions, ancêtre de la Ligue des champions, contre le Bayern Munich. Il reste une minute à jouer quand l'Atlético ouvre le score, sur coup franc. Dans ce cas-là, 99% des équipes gagneraient le match en adoptant la tactique du "tous derrière". Pas l'Atlético. A dix secondes de la fin, un défenseur espagnol oublie de dégager le ballon en touche. Un Bavavois tente alors une frappe de 40 mètres qui se loge dans la lucarne madrilène. L'arbitre siffle le coup de sifflet final sur un match nul. A l'époque, les tirs au but n'avaient pas été inventés. La décision se fait au cours d'un match d'appui, remporté par le Bayern 4-0. 

Le président Vicente Calderon – qui a donné son nom au stade de l'Atlético – surnommait son équipe El Pupas (les maudits). A croire que les bonnes fées ne se sont penchées que sur le berceau du Real Madrid, et pas sur celui de son club. 

Un autre exemple ? En 1992, le fantasque président du club Jesus Gil y Gil décide de fermer le centre de formation pour réaliser des économies. Il prend la décision tellement vite que les responsables du centre n'ont pas le temps de lui dire qu'ils ont trouvé la plus grande pépite du foot espagnol. Un gamin de 13 ans nommé Raul, que le Real Madrid s'empresse d'embaucher. Raul, considéré comme le plus grand attaquant de l'histoire du football ibérique, a marqué plus de 300 buts pour son club, dont un lors de sa première saison en pro, contre l'Atletico Madrid, alors que son club était réduit à 10 et mené 1-0.

Un club fataliste

"L'Atlético Madrid est le seul club au monde où les supporters s'attendent à perdre", résume l'ancien attaquant de Liverpool et d'Osasuna, Michael Robinson, fin connaisseur du football espagnol. La musique choisie par le club pour la vidéo de son centenaire ? You can't always get what you want, des Rolling Stones Assez bien résumé... Le plus ancien des supporters du club a un jour déclaré qu'après avoir arrêté de fumer à 73 ans, de boire de l'alcool à 70 ans et du café à 65 ans, désormais, il n'y a plus que l'Atlético qui le tue. Le sponsor du club n'a jamais été Prozac, curieusement. Mais en 2004, l'équipe porte les couleurs du film Closer. Commentaire d'un fan du Real, cité par FourFourTwo : "Ils auraient pu enlever le 'C'."

Un club de caractériels

"Si vous ne gagnez pas ce soir, je m'enfoncerai une putain de bouteille de Coca format familial dans le cul." Le discours de l'entraîneur Luis Aragones, avant la finale de la Coupe du roi 1992, est entré dans la légende. A l'Atlético, ce qui marche, ce sont les entraîneurs 50% grande gueule, 50% génie tactique. Diego Simeone, ancien milieu argentin international, connaissait un début de carrière d'entraîneur mitigé quand on lui a proposé le banc de l'Atlético, en 2011. L'association fonctionne aussitôt. Simeone, qui cultive son look de gangster avec ses chemises, cravates et costumes noirs, en est bien conscient : "A la guerre, ce ne sont pas les meilleurs qui gagnent, mais les meilleurs stratèges."

L'entraîneur de l'Atletico Madrid Diego Simeone, lors du match de son équipe contre l'Espanyol Barcelone, dans son stade de Vicente-Calderon, le 24 février 2013. (JUAN MEDINA / REUTERS)

Et le petit Atlético (192 millions d'euros de budget, tout de même, contre environ 515 pour le Real et 508 pour le Barça) se remet à gagner. Quand il a marqué le but de la victoire en finale de la Coupe du roi 2013, le défenseur brésilien Joao Miranda, qui avait fait un passage anonyme à Sochaux quelques années plus tôt, a lâché sur ESPN : "Je voulais marquer, pour faire taire tous ces gamins qui se moquent de mon fils tous les jours, car il est fan de l'Atlético." Ils ne rient plus désormais. 

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