Des profondeurs du basket français au gratin européen en neuf ans : l'irrésistible ascension de Monaco
Le club de basket de Monaco a remporté sa première Eurocoupe vendredi 30 avril face aux Russes de l'Unics Kazan, quelques années seulement après avoir côtoyé le monde semi-professionnel.
Sergey Dyadechko est un homme pressé. L'Ukrainien de 49 ans est un président à part dans le monde du basket français. Si les hommes d'affaires étrangers sont désormais monnaie courante dans le football européen, voir un parfait inconnu devenir le mécène d'une équipe quasi anonyme a tout de l'incongruité dans le monde de la balle orange. Dyadechko a pourtant trouvé, sur le Rocher, une deuxième maison, après avoir dû fuir son pays, visé par une tentative d'assassinat en 2012. Créer une banque visée par un scandale peut faire craindre pour votre vie, tout comme offrir à un club une deuxième existence. De cet événement est ainsi née la destinée fulgurante du club de Monaco.
Principal pourvoyeur de fonds de la Roca Team depuis 2013, le président de la formation monégasque n'est pas qu'un simple portefeuille plein. Dyadechko est un fou de basket, qui a déjà fait grimper le club de sa ville natale Donetsk de la troisième division aux quarts de finale de la C2, l'Eurocoupe. En Principauté, le businessman se laisse tenter par l'idée de refaire le coup, alors que le club vient tout juste d'obtenir sa montée en Nationale 1, la troisième division hexagonale. L'histoire était trop bien écrite pour ne pas se répéter. Avec des moyens très importants pour la division, et les bonnes idées de son bras droit, le manager général Oleksiy Yefimov, Monaco grimpe les échelons à vitesse grand V. Non sans faire se lever quelques voix.
"Quand Monaco me recrute en 2014, le club n'est même pas sûr de jouer en Pro B alors qu'il vient d'être champion de France de Nationale 1. On est sportivement en Pro B… mais pas officiellement", se remémore Cyril Akpomedah, ex-joueur de la Roca entre 2014 et 2016. A l'époque, les instances du basket français refusent de laisser l'équipe monégasque monter à cause des disparités fiscales avec les autres formations professionnelles françaises et demande un dédommagement annuel. Dyadechko n'a pas de temps à perdre : il acceptera de régler la note s'il obtient la présidence du club monégasque. Le dirigeant d'alors, Arnaud Giusti, s'exécute, et Monaco obtient son accession dans l'antichambre du basket français. Il n'y restera qu'une seule saison.
"On sentait tout de suite que c'était réel."
Cyril Akpomedahà Franceinfo
Les finances juteusement gonflées par son bienfaiteur, la Roca Team retrouve alors la première division, quittée en 1991 par la petite porte. Débarquer en Pro A avec la troisième masse salariale du championnat contribue à accélérer la montée en flèche de la nouvelle place forte du basket français. Mais loin de l'image de son voisin footballistique (la salle de basket est située sous les travées du Stade Louis-II) et d'autres clubs aux investisseurs étrangers, l'AS Monaco basket est loin de n'être qu'une opération où les finances sont l'alpha et l'omega.
"On sentait tout de suite que c'était réel, nous assure Cyril Akpomedah. Ils voulaient mettre les moyens de leurs ambitions, mais surtout, la construction de l'équipe est logique. Ce n'est pas un amas de joueurs qui vont coûter cher. Ils tiennent à avoir un mélange de joueurs d'expérience, de jeunes Français, avec quelques grosses individualités. Et ils ont toujours su remodeler l'équipe, année après année."
Le public local ne s'y trompe pas et remplit vite les tribunes de la salle Gaston Médecin. Avec régulièrement parmi eux Sergey Dyadechko comme premier observateur. "Une chose qu'on ne peut pas lui reprocher, c'est de ne pas aimer le basket, insiste "Akpo", qui en a pourtant vu d'autres en 17 ans de carrière. Il voit tous les matches, et c'est un connaisseur ! Il prend part à toutes les décisions du club. Plus qu'un président lambda, il est à fond, il regarde les stats, les vidéos. Ca surprend au début ! (rires) C'est un passionné extrême. Et puis de toute façon, en dehors de la NBA, il y a très peu de clubs de basket qui font vraiment de l'argent."
Et maintenant l'Euroligue
Les choix du tandem Dyadechko – Yefimov paient. Monaco signe un triplé retentissant lors de la Leaders Cup de mi-saison dès ses trois premières années en Pro A. Le titre de champion de France ne se dérobe en 2018 et 2019 qu'au match décisif de la finale contre Le Mans puis l'ASVEL. 2020 aurait pu être celle de la consécration. Mais la Covid-19 en a décidé autrement en sabordant la fin de saison. A défaut de la suprématie nationale, le couronnement princier a donc eu lieu sur la scène européenne le vendredi 30 avril à Kazan. Sur le parquet des Russes de l'Unics, la Roca Team du coach Zvezdan Mitrovic a saisi l'opportunité de soulever un premier trophée majeur (86-83), après avoir remporté la première manche mardi soir à la maison (89-87). Un succès glané sous les yeux du Prince Albert II, lui aussi séduit par ce club rebâti de toute pièce, avec intelligence.
"Je me souviens qu'en 2015-2016, j'avais été nommé capitaine comme un remerciement du parcours pour avoir fait monter le club en Pro A, raconte Cyril Akpomedah. J'étais plus content d'être le capitaine cette saison-là que d'avoir gagné la Leaders Cup ! Les dirigeants ont toujours été très reconnaissants envers tous ceux qui ont construit le club, je trouve ça très chouette. On est loin surtout de certains clichés que j'entends encore autour de Monaco."
Celui d'une équipe de champions s'est ajouté vendredi soir. "Si on n'a pas de cœur pour un match comme ça, on ne l'aura jamais", prophétisait l'international tricolore Mathias Lessort après le premier match, dont il fut élu meilleur joueur. Du cœur et du talent, cette Roca Team n'en a pas manqué pour gravir les échelons jusqu'au sommet de l'Europe. La saison prochaine, elle est d'ores et déjà assurée de découvrir l'Euroligue, la crème de la crème du basket européen. "C'est la continuité de tout le travail qu'ils font depuis le début, ils ont passé les étapes les unes après les autres avec brio, résume Cyril Akopmedah. Le pari est bien plus que réussi."
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