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Fin de la saison 2019-2020 de football : "C'est le scénario catastrophe. Les clubs vont être à l'agonie"

Édouard Philippe l'a annoncé ce mardi lors d'un discours à l'Assemblée nationale : la saison 2019-2020 de football ne doit pas reprendre. Les formations de Ligue 1, de Ligue 2 et de National ne pourront retrouver les terrains qu'à partir d'août, mais à huis clos, comme l'a précisé Roxana Maracineanu. Cette décision a d'importantes conséquences économiques tant sur le plan des droits télévisés, des sponsors, de la billetterie que sur le marché des transferts. Tour d'horizon des difficultés économiques que rencontrera le milieu du sport dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
  (PASCAL PAVANI / AFP)

1,2 milliard d'euros. Voilà l'impact financier pour le football français de l'annulation de la fin de la saison 2019-2020. L'annonce a été faite par le Premier ministre Édouard Philippe ce mardi, lors d'un discours à l'Assemblée nationale portant sur les modalités du déconfinement. Avant que la ministre des Sports Roxana Maracineanu n'ajoute que le sport ne pourra pas reprendre avant le mois d'août. Un coup dur pour l'ensemble des clubs de Ligue 1, de Ligue 2 et de National, qui espéraient encore que la saison aille à son terme. Le tout quelques jours seulement après qu'un accord a été trouvé entre Canal+, beIN Sports et les clubs de Ligue 1 pour le versement d'une partie des droits télévisés, qui représentent la part la plus importante du budget des équipes de football.

Avec l'annonce de la fin de la saison, des incertitudes sportives émergent : qui sera qualifié pour la Ligue des champions et la Ligue Europa la saison prochaine ? Qui sera relégué en Ligue 2 et qui sera promu en Ligue 1 ? Que feront les joueurs du Paris Saint-Germain et de l'Olympique Lyonnais pendant plusieurs mois si la Ligue des champions se déroulent en août, comme cela est envisagé par l'UEFA ? Mais surtout, des questions financières se posent. Car les conséquences économiques de la fin de la saison sont énormes, et représente un "scénario catastrophe", comme l'explique pour France tv sport Virgile Caillet, délégué général de l'Union sport et cycle et spécialiste en marketing sportif.

Les droits TV aux oubliettes ?

Après des négociations menées par Nasser Al-Khelaïfi (PSG), Olivier Sadran (Toulouse), Jean-Pierre Rivère (Nice) et Jacques-Henri Eyraud (OM), un accord avait enfin été trouvé vendredi dernier entre les clubs de Ligue 1 et les diffuseurs du championnat de France, Canal+ et beIN Sports. Ces derniers avaient refusé début avril de régler le versement de près de 150 millions d'euros à la Ligue de football professionnel (LFP) en raison de l'interruption de la saison. Alors que le budget des clubs de football français repose principalement sur cette source de revenus, les quatre présidents de clubs avaient réussi à convaincre les diffuseurs de verser au moins les montants liés aux matches déjà retransmis, soit 47 millions d'euros.

"La fin de la saison, c'est le pire scénario possible", juge Virgile Caillet. "Le budget des clubs a été prévu de longue date, et dans le business plan, ces recettes liées aux droits télévisés étaient inclus. Il y a maintenant un enjeu de survie." Avec l'annulation des dernières journées de championnat, ce sont 140 millions d'euros qui risquent de ne pas revenir aux clubs de football. Le prochain versement devait avoir lieu début juin. "Il y aura d'âpres négociations avec les diffuseurs qui vont défendre le fait qu'ils n'ont pas eu le droit à l'ensemble de la prestation qu'ils ont payé. On va rentrer dans des enjeux juridiques d'autant plus sévères et serrés que Canal+ a perdu le contrat suivant. Les relations ne sont plus celles qu'elles étaient auparavant." Le risque est donc grand de voir les clubs ne pas pouvoir compter dans les prochains mois sur cette entrée d'argent essentielle pour eux.

Le mercato estival, morne plaine ?

Le marché des transferts de cet été ne ressemblera pas à ceux des années précédentes. Cette affirmation était déjà acquise depuis le début de la crise liée à l'épidémie du nouveau coronavirus. Mais l'annonce de la fin de saison du football français "vient encore enfoncer le clou, selon Virgile Caillet. Ça renforce la situation catastrophique pour certains clubs pour qui le trading de joueurs fait partie de l'équation économique". Ces clubs, comme les Girondins de Bordeaux ou encore le LOSC, voient cette stratégie d'achat et vente de joueurs comme une manière de faire de belles plus-values. Mais au vu de la crise globale que traverse le monde du football, les clubs capables d'investir de grosses sommes cet été seront rares. En France, à part le PSG dont les moyens semblent illimités, aucun club ne pourra se permettre de folies sur le marché des transferts. Cette entrée directe de trésorerie sera donc limitée pour les clubs français cet été, encore aggravée par l'annulation de la fin de la saison 2019-2020.

Des cessations de paiement à venir ?

Pour compenser l'absence de revenus dans les prochains mois en raison de l'annulation de la fin de la saison, Virgile Caillet voit deux possibilités pour les clubs : "Soit un actionnaire principal permet de passer l'orage en couvrant les dettes, et le club partira avec des budgets plus prudents et trois ou quatre années seront nécessaires pour absorber cette dette. Soit les clubs vont devoir baisser leurs charges, en vendant des joueurs par exemple. Mais encore faudra-t-il trouver des acheteurs." Alors que certains clubs avaient anticipé dans leur budget l'augmentation importante des revenus liés aux droits télévisés pour la période 2020-2024 - évalués à 1,15 milliard d'euros contre 727 millions d'euros pour 2016-2020 -, "cette crise va les mettre à l'agonie", juge l'expert en marketing sportif.

C'est le cas par exemple de l'AS Saint-Étienne ou des Girondins de Bordeaux, qui ont augmenté les salaires de leurs joueurs tout en cherchant à se montrer plus ambitieux sur le marché des transferts. "Certains clubs pourraient se retrouver en cessation de paiements dans les prochains mois", explique Virgile Caillet, qui précise que cette situation est plus à même de toucher les clubs de Ligue 2 que ceux de Ligue 1. En attendant d'éventuels dépôts de bilan, la santé financière des différents clubs suite à cette crise sera donc à suivre de près.

"Une crise sociale locale"

L'annonce de la fin de la saison de football a un autre impact, plus social et plus local selon Virgile Caillet. "Je pense à toutes les activités que font vivre ces clubs. Les prestataires de sécurité, les hôtesses, les traiteurs, les hôtels, les cafés-restaurants... Tous vivent de ces clubs-là et avec la fin du championnat, c'est une vie sociale à l'arrêt. Tous ces prestataires locaux de premier ou second rang vont être en difficulté. Ce sont peut-être ceux qui vont payer le plus cher. Ça va entraîner une vraie crise sociale locale." Alors que l'ensemble des secteurs d'activité reprendront leurs droits par étapes à partir du déconfinement le 11 mai prochain, l'absence des matches de football jusqu'à août aura inévitablement un impact sur la vie locale qui tourne parfois en grande partie autour de ces clubs de Ligue 1 ou de Ligue 2.

Pour la billetterie et les partenaires, l'incertitude

Si la saison 2019-2020 de football avait repris, les matches se seraient probablement déroulés à huis clos. Pour cette raison, "les clubs avaient déjà digéré cette perte de revenus" liée à la billetterie, explique Virgile Caillet. Pour les clubs de football français, ces revenus représentent en moyenne entre 10 et 15% du budget annuel, allant jusqu'à 33% pour le RC Lens. Mais au vu de la situation, la fin de la saison ne change pas grand chose. Selon l'expert en marketing sportif, les clubs devront cependant affronter un autre problème dans les prochaines semaines : "La période d'abonnement, qui se fait généralement en fin de saison, ne devrait pas être aussi efficace que les saisons précédentes." Une ordonnance doit permettre aux clubs, dans les prochains jours, d'établir un système d'avoirs dont bénéficieront les supporters, afin de compenser les matches auxquels ils n'auront pas pu assister en cette fin de saison. Les clubs pourront garder intacte leur trésorerie sans rembourser directement leurs abonnés, mais la campagne d'abonnement devrait en prendre un coup.

Concernant les partenaires des clubs, l'incertitude est également grande. Bistro Régent, sponsor maillot de Bordeaux, a été le premier à suspendre les versements aux Girondins en raison d'un manque de visibilité liée à la suspension des compétitions. Avec la fin de la saison, d'autres partenaires pourraient faire de même. "Mais c'est important de prendre en compte le secteur d'activité du partenaire. Une banque, un constructeur automobile ou une assurance a de la lisibilité dans le temps, ce qui permet d'envisager un passage difficile. Pour des secteurs comme la restauration, c'est la double peine de devoir sortir de l'argent pour un club." Certains sponsors pourraient se désengager, mais la situation reste floue. C'est surtout pour la saison prochaine que les contrats pourraient être revus à la baisse voire suspendus. Et mettre, encore une fois, les clubs en grande difficulté.

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