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Face au vide, la presse sportive entre adaptation, crise et stimulation 

Depuis deux mois, la pandémie de Covid-19 a mis le monde du sport à l’arrêt, comme seules les guerres avaient pu le faire auparavant. Au delà des athlètes et institutions, premiers concernés, cette paralysie sportive a poussé la presse spécialisée à s’adapter, notamment pour les magazines. Comment continuer de paraître sans actualité à traiter ? Plusieurs rédactions répondent, avant de tourner la page dès la reprise.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
 

Face à l’arrêt des compétitions, il y a eu deux types de réactions dans la presse sportive : abdiquer, ou s’adapter. La plupart des titres ont choisi la deuxième option. Quant aux rares qui ont renoncé à publier leur magazine, ils l’ont fait à contre-cœur. Ainsi, Yann Duploye, rédacteur en chef de La Voix des Sports, raconte : “On a publié notre journal et notre magazine jusqu’au 16 mars. Ce jour-là, on a titré ‘Pause à durée indéterminée', mais on parlait du sport, pas de nous…”. Depuis, la rédaction sport de La Voix du Nord tourne à 20% de ses effectifs. “Le reste de nos équipes écrivent dans d’autres rubriques du journal, et on garde deux pages sports chaque jour”, précise Yann Duploye.

Montrer que le sport vit encore

Avec son journal et son magazine publiés chaque lundi, la Voix des Sports a joué la carte de la prudence, raconte le rédacteur en chef : “Après réunion avec la direction, on a estimé que c’était mieux ainsi. On aurait eu des difficultés à vendre et, comme on ne traite que l’actualité sportive régionale des Hauts-de-France, on aurait pu tenir quoi, 3 ou 4 semaines ?”. Un arrêt net des activités qui a entraîné l’annulation de certaines éditions spéciales : “Notre numéro sur Paris-Roubaix sera publié au moment de la course fin octobre. En revanche, on avait prévu une édition pour fêter les vingt ans de la finale de Coupe de France de Calais. Ça, c’est foutu”, regrette Yann Duploye. Heureusement pour lui et ses collègues, les Hauts-de-France auront quatre clubs de football professionnel l’année prochaine en L1 et L2 : “C’est notre bouffée d’oxygène, cela va nous aider à repartir. On reprendra nos activités trois semaines avant la reprise du foot”.

Toutefois, l’arrêt de publication reste une minorité. La plupart des magazines de sport spécialisés ont pu s’adapter et garder le rythme, à l’image du mensuel So Foot : “On a découvert la start up nation, on l’a prise en pleine face, on n’avait pas l’habitude de travailler en visioconférence”, raconte Javier Prieto Santos, l’un des rédacteurs en chef. Son homologue de Vélo Magazine, Gilles Comte, détaille : “On prend les coups les uns derrière les autres et on ne fait que s’adapter. Il fallu être réactif”. Même son de cloche du côté du bi-hebdomadaire Midi Olympique : “On a maintenu notre rythme habituel de parution parce qu’on tient à garder le contact avec les gens, à l’heure où le rugby se ferme. On est les seuls à tenir. On a adapté nos publications à la réalité actuelle”, explique Emmanuel Massicard, rédacteur en chef.

Sortir de la sinistrose

Et la réalité actuelle, c’est évidemment le Covid-19, qui a bousculé l’actualité sportive. Mais pas facile de traiter les conséquences de la pandémie lorsque l’on sort une fois par mois : “On a quand même fait un sujet, pour rappeler tous les épisodes, mais on ne voulait pas en faire des tonnes parce que les lecteurs du magazine viennent y chercher de l’oxygène”, glisse Gilles Comte. A So Foot, Javier Prieto Santos abonde : “Pour le premier numéro, on ne voulait pas parler du coronavirus parce que tout le monde était gavé de cela par les infos. Notre but était de s’échapper de ce contexte, de cette sinistrose, et de raconter des histoires. Pour le deuxième, c’était plus compliqué. Après deux mois de coronavirus, tu ne peux pas faire l’impasse sur ce sujet, qui est important, qui touche le foot. Mais on voulait aussi attendre de voir ce que cela allait provoquer à moyen et long terme”.

Montrer que le sport continue de vivre même sans compétition, et raconter les histoires de sportifs engagés dans la lutte contre le Covid-19, c’est aussi l’option choisie par le Midi Olympique, selon Emmanuel Massicard : “On fait évidemment ressortir des pépites de l’histoire, mais on est surtout redevenu un journal beaucoup plus engagé, moins témoin. On a aussi essayé de porter les sujets d’actualité qui fâchent, et de faire vivre le rugby”. Du côté des mensuels, les journalistes ont l’habitude de sortir de l’actualité brûlante, ce qui a aidé à traverser les dernières semaines. “L’autre avantage dans le cyclisme, c’est qu’on sait que le lecteur a un vrai attachement à l’histoire du vélo. Par exemple, francefootball qui ferait une Une sur Raymond Kopa, ce serait un échec assuré. Mais en vélo tu peux mettre Bobet ou Anquetil, ça cartonne. C’est comme cela qu’on s’en sort, sur nos racines”, éclaire Gilles Comte.

Javier Prieto Santos va encore plus loin : “Nous, à la limite, on pourrait ne pas regarder les matches. Ce qui nous intéresse c’est l’émotion, les hommes derrière les footballeurs, les personnalités, les parcours humains. Donc là, on a pas trop changé nos habitudes. Mais il ne faut pas que cela dure, les gens vont finir par se dire de quoi ils vont parler’ “. Ainsi, le mensuel a réalisé un dossier tactique sur le "gegenpressing allemand", un entretien avec Pablo Sarrabia du PSG,  tout en "racontant des histoires" comme celle de la maudite Atalanta Bergame. Du côté du Midi Olympique, les articles historiques sont restés minoritaires assure Emmanuel Massicard : “La majeure partie de nos contenus sont des reportages, portraits, on a une rubrique écologie, une économie, beaucoup d’interviews. On raconte les histoires de joueurs agriculteurs, bouchers, maraîchers. C’est un exploit de la rédaction, qui a été pleine d’engagement, à l’image du rugby”.

Un mal pour un bien ?

S’ils ont su s’adapter, ces différents titres de presse sportive spécialisée ont dû sacrifier quelques contenus face à la pandémie : “Surtout des interviews que les clubs ont annulées, ou les joueurs. Une interview c’est un joueur qui se raconte, c’est assez nombriliste, donc beaucoup ont considéré que ce n’était pas le moment de parler d’eux. Cela nous a saoulés mais ça montre qu’ils ne sont pas forcément dans leur bulle et qu’ils ne pensent pas qu’à leur gueule”, raconte Javier Prieto Santos. Et ce n’est pas la seule conséquence négative de la crise sur ces magazines : “Au niveau éditorial on peut faire face mais niveau publicitaire, c’est plus compliqué. On n’a pas encore eu les chiffres du premier numéro de confinement, mais forcément on va subir une baisse”, prévient Gilles Comte.

Pour autant, les conséquences sont aussi positives. Ainsi, le manque d’actualité chaude et de compétitions a poussé les rédactions à se creuser la tête. “Ce qu’on pensait impossible, on l’a fait et on va le faire parce que là on parle des huit dernières semaines, mais il en reste encore plus avant la reprise. C’est très stimulant, ça a libéré des énergies. Le télétravail impose des contraintes, pas facile pour tout le monde, mais la rédaction a fait preuve d’une formidable inventivité, de réactivité, d’intelligence. On a ouvert des portes pour demain. ll y a avait un avant le 17 mars, et il y aura un après”, assure ainsi Emmanuel Massicard.

“On peut encore tenir 4 mois je dirai comme ça, sans tomber dans la facilité. Mais je n’ai pas envie de continuer 4 mois sans foot : donnez-moi un Dijon-Nancy ou n’importe quoi, s’il vous plaît”, se marre Javier Prieto Santos. “Au niveau des contenus rétros, on peut tenir toute l’année. Je n’ai pas d’inquiétudes au niveau des ressources et des idées, mais ce n’est pas souhaitable”, assure de son côté Gilles Comte. Quoi qu’il en soit, dans toutes les rédactions, comme dans tous les salons, la reprise des compétitions est plus qu’attendue. 

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