Jeux vidéo : La jurisprudence Juventus ou la nouvelle règle du jeu des licences football
"Mort de rire, on dirait une blague". L'annonce a fait bondir sur les réseaux sociaux. Le 16 juillet dernier, à l'Allianz Stadium de Turin, la Juventus fait une annonce fracassante pour les fans de jeux vidéo. Cette saison, la Vieille Dame n'ira crécher que chez Pro Evolution Soccer, la simulation de Konami. La nouvelle fait du bruit, en particulier pour les fanatiques de l'autre simulation de football qui cartonne, FIFA. Exit la Juve, l'éditeur EA Sports se voit contraint de rebaptiser le champion d'Italie en "Piemonte Calcio" et de créer des maillots factices pour le club turinois. Un soubresaut de plus dans un milieu hyper concurrentiel ? Cela va plus loin que cela. Avec cette exclusivité, Konami vient peut-être de faire rentrer le football et le jeu vidéo dans une autre dimension.
Pour la première fois, un club a négocié individuellement ses droits et son image pour qu'ils puissent se retrouver dans les salons du monde entier. Des partenariats privilégiés ont fleuri ces dernières années, le FC Barcelone devenant l'étendard de PES, le Paris Saint-Germain privilégiant, lui une entente premium avec FIFA, offrant ainsi la possibilité de jouer au Parc des Princes uniquement dans les différents opus d'EA Sports. Mais la Juventus Turin est la première à aller plus loin, en octroyant seule le privilège de son maillot bianconeri, son blason new look et son nom iconique. Le tout, bien sûr, en monnayant ces passe-droits, s'offrant une nouvelle source de revenus jusqu'alors pas autant exploitée.
Welcome to the jungle
La guerre des licences est pourtant presque aussi vieille que les simulations vidéoludiques de ballon rond, tournant à l'avantage de FIFA, qui bénéficie notamment de l'aura de son partenariat avec la Fédération Internationale de football.
En principe, les droits d'image des clubs sont gérés par les championnats auxquels ils appartiennent. Mais ensuite, chaque compétition peut fixer ses propres conditions. Le championnat d'Angleterre, la Premier League, a pris le parti de vendre l'utilisation de ses équipes au plus offrant (EA Sports actuellement), tout en laissant la possibilité de créer les clubs sous de fausses identités et d'obtenir deux formations "officielles". Le championnat d'Allemagne est plus restrictif encore : EA Sports possède les licences exclusives (noms des clubs, stades, maillots, etc…) et seuls trois clubs peuvent être intégrés dans tout autre jeu, sans la possibilité de créer des "contrefaçons" des quinze autres qui composent la Bundesliga. La Ligue 1 en revanche semble partir du principe qu'un maximum de visibilité vaut mieux qu'une exclusivité et fait affaire avec FIFA comme avec PES.
La Juventus, elle, a décidé de créer ses propres règles du jeu. Le club transalpin a négocié directement avec Konami pour vendre l'étiquette Juve, dans le but de toucher de nouveaux publics et accroître sa visibilité et ses recettes. "Nous sommes particulièrement fiers du partenariat signé avec Konami, explique Giorgio Ricci, chargé de l'optimisation des revenus du club. Cet accord voit deux icônes mondiales du football et du divertissement, PES et la Juventus, s’associer pour les trois prochaines années. Cela nous permettra de nous rapprocher plus facilement de nos plus jeunes fans ainsi que d’accroître notre rayonnement auprès des fans de sport et de ceux d’esport."
Le montant de tels accords font partie des secrets les mieux gardés de cette industrie (Konami n'a pas souhaité communiquer de chiffres, EA Sports n'a pas donné suite à nos sollicitations). Mais en coulisses, tout le monde s'accorde pour assurer qu'un deal avec un grand club tourne autour des mêmes sommes que l'achat des droits d'un championnat entier de bon niveau. Le Monde évoque par exemple plus d'un million d'euros annuel pour les droits de la Ligue 1.
"Cela devient bénéfique pour les clubs de négocier individuellement"
On est encore loin des tarifs de certains contrats de sponsoring ou de diffusion TV, qui se chiffrent en centaines de millions d'euros. Mais le club transalpin a possiblement creusé un sillon dans lequel de nombreux clubs ne vont pas tarder à s'engouffrer pour mieux faire monter les enchères. "Nous nous attendons à ce que les négociations avec les clubs changent et que chaque club fonctionne différemment", nous prédit Lennart Bobzien, manager de la marque PES en Europe. La façon dont l'industrie se transforme signifie qu'il va désormais être plus intéressant pour les clubs de négocier des contrats commerciaux par eux-mêmes."
Avec autant de compétitions qu'il n'y a d'engagements contractuels pour les clubs, la révolution du marché des licences ne pourra se faire en un jour. "Certaines équipes ont encore des contrats plus importants avec leurs championnats" précise Lennart Bobzien. Mais il ne devient plus inconcevable d'imaginer deux jeux se battre un peu plus férocement pour obtenir la primeur des plus grandes formations du monde. Lancé dans une stratégie de qualité de ses exclusivités autant que de quantité, Konami compte bien que ce vent du changement continue de tourner.
"Nous sommes déterminés à travailler avec les meilleurs clubs de la planète, poursuit Bobzien. (ndlr : PES est aujourd'hui partenaire du FC Barcelone, du Bayern Munich, d'Arsenal ou encore de Manchester United en sus de la Juventus). Obtenir des licences est un long travail mais il est incroyablement gratifiant. Nous scrutons les marchés les plus importants, nous analysons ce qui est le plus pertinent pour nous et quels clubs sont disponibles. Ensuite, nous les contactons et nous voyons comment nous pourrions collaborer."
A la traîne depuis plusieurs années face au catalogue pléthorique de FIFA, Konami tente donc de rebattre les cartes par une petite révolution. Mais elle n'est pas sans risque pour les joueurs. Cette nouvelle tendance pourrait déboucher sur un partage du gâteau, avec par exemple le FC Barcelone seulement sur son jeu Pro Evolution Soccer, et son concurrent avec le grand rival, le Real Madrid pour lui seul. La situation serait alors difficile à digérer.
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