ENTRETIEN. Parité, violences sexuelles, crise sanitaire... La ministre Roxana Maracineanu fait le point sur les enjeux du sport féminin
En tant que ministre, vous vous attendiez à ce qu'il y ait encore autant de travail sur la question du sport féminin ?
Roxana Maracineanu : “Je suis plutôt ravie que ça tombe sur moi, parce que j’étais déjà engagée dans le milieu associatif avant d'être ministre. C'est vraiment par ça que j'ai commencé après ma carrière de nageuse. Et je pense que si j'ai été nommée à ce poste par Édouard Philippe en 2018, c'est aussi parce que je lui ai expliqué tout le potentiel d'améliorations que je voyais dans ce domaine. Je suis donc ravie qu'il m'ait confié cette mission sur ces bases-là. J’exerce donc ma mission avec ambition, confiance et motivation, car je sais qu'il y a tout un champ de développement pour les fédérations sur ce volet. Comme moi, elles savent qu'elles doivent développer ce champ, surtout dans un contexte de baisse du nombre de licenciés et les difficultés financières qu'elles traversent.”
Lorsque vous étiez sportive de haut niveau*, se posait-on autant de questions sur les enjeux du sport féminin, son développement, sa perception ?
RM : “Oui, c'est un combat ancien. D’ailleurs, j’ai pu échanger avec d'anciennes ministres et je sais que c'était une cause à laquelle elles auraient aimé se vouer encore davantage. Toutefois, à l’époque, elles ont été mobilisées sur d'autres priorités. Par exemple, Marie-George Buffet a beaucoup travaillé sur la prévention du dopage, et alerté sur le fait qu'il fallait veiller à la santé des sportifs, vis-à-vis de la recherche de la performance. Valérie Fourneyron a quant à elle beaucoup œuvré sur le sport santé. Aujourd'hui, je pense que le temps est venu de parler de cette égalité hommes-femmes, de cette parité, de cette mixité complète et totale. C'est aussi un engagement très fort du président de la République.”
En tant qu'athlète de haut niveau, comment ressentiez- vous le regard de vos homologues masculins ?
RM : “J'ai eu la chance d'évoluer dans un sport où la mixité ne posait pas de problème. Nous étions traités hommes et femmes de manière équitable, au niveau des primes, des salaires, aussi bien à l'entraînement qu'en compétition. Et dans l'organisation de celles-ci, les garçons n'étaient pas plus mis en avant que les filles. Je n’ai pas ressenti de différence. D'ailleurs, en natation, c’était plutôt les filles qui recevaient la plus grosse part médiatique, grâce à leurs résultats, que ce soit à mon époque ou même après, avec Laure Manaudou qui a fait parler de la natation comme personne d'autre avant elle. En revanche, j'ai constaté une différence après ma carrière, en observant le fonctionnement d'autres sports.
Par ailleurs, j'ai ressenti une difficulté sur la féminisation de l'encadrement, des entraîneurs, des adultes qui entourent les athlètes, où les femmes sont trop peu nombreuses. On travaille déjà sur cet axe, comme sur le renouvellement des instances, et la notion d'engagement de ces athlètes une fois leur carrière terminée dans la vie associative et fédérale, les métiers du sport en général. Car quand vous êtes une athlète et que vous voyez que les entraîneurs ne sont que des hommes, que les bénévoles ne sont que des hommes, vous vous dites qu'une fois votre carrière terminée, il n’y aura pas de place pour vous. Nous, on veut qu'il y ait des perspectives.”
L’année 2020 a été marquée par une crise sanitaire inédite. Le monde du sport a été lourdement touché et le sport féminin en particulier. Quel bilan dresseriez-vous de cette crise et de son impact sur le sport féminin ?
RM : “De manière générale, le sport professionnel souffre. Et le sport féminin a été tout particulièrement impacté par cette crise, alors même que son modèle économique était déjà fragile. C'est pour ça que des dispositifs majeurs d’aides ont été mis en place auxquels nous avons évidemment inclus le sport féminin. Là où les gros clubs masculins ont atteint le plafond maximum d’aides publiques (capé à 800 000 €) depuis le début de la crise, les clubs féminins peuvent bénéficier des dernières aides mises en place mieux que les hommes. Je pense notamment aux exonérations de cotisations patronales sur les salaires qui peuvent représenter jusqu’à 40% d’économie sur la masse salariale.”
Avez-vous prévu de mettre en place de nouvelles mesures dans les semaines et mois à venir en faveur du sport féminin ?
RM : “Il y aura la compensation des pertes de billetterie pour tous les clubs qui n’ont pas pu accueillir des spectateurs à cause du huis clos. 107 millions d'euros y sont consacrés et le sport féminin ne sera pas oublié, même si la part de la billetterie dans ces clubs est moins importante que chez les hommes.”
La crise a révélé des inégalités dans le sport. À moins de quatre ans des Jeux olympiques de Paris, n'est-ce pas l'occasion de développer plus rapidement et de manière plus forte le sport féminin ?
RM : “Nous le développons au travers de toutes nos politiques publiques. Il y a d'abord la loi portée par nos parlementaires dans le courant du premier trimestre de 2021, qui porte sur la représentation dans les instances sportives. On sait que l'égalité hommes-femmes est la grande cause du quinquennat, et pour nous, c'est un véritable enjeu d'avoir plus de femmes dans l'exécutif des fédérations. C'est une question de justice et d'égalité des chances, mais aussi de renouveau du modèle économique des associations, des clubs.
En effet, avec plus de femmes à la tête des associations et des fédérations, on pourra avoir des nouvelles offres à destination du public féminin, plus adaptées à la demande et aux besoins. C'est pourquoi nous encourageons, pendant cette période électorale, des femmes à se présenter. Aujourd’hui, nous avons 16 présidentes parmi les 113 présidents de fédérations. On est encore très loin de la parité.”
Et concernant la pratique sportive ?
RM : “On travaille aussi sur la pratique sportive des filles et des femmes, avec des savoirs fondamentaux que l'on veut enseigner dès le plus jeune âge. On souhaite que toutes les jeunes filles aient accès au sport, quelle que soit leur culture, leur lieu d'habitation ou leurs origines sociales. Proposer deux fondamentaux comme le savoir rouler et savoir nager dès l'âge de quatre ans, c'est aussi travailler sur l'égalité des chances. On sait que dans la pratique sportive parfois, les filles restent sur les gradins et ne veulent pas forcément se mettre en maillot de bain ou en tenue de sport pour pratiquer l'EPS à l'école.
Si on propose ces fondamentaux dès quatre ans, il y aura moins de différences sur ces critères-là. Nous voulons aussi encourager la continuité de la pratique du sport chez les femmes lors de moments spécifiques de leur vie, comme lors d’une grossesse. Le ministère des Sports a édité un guide spécifique qui encourage et accompagne une pratique de l'activité physique adaptée à la période de la maternité, avant et après la naissance.”
Pendant cette crise du coronavirus, les athlètes masculins et féminins n'étaient pas forcément logés à la même enseigne. Dans le rugby par exemple, les joueurs du Top 14 ont le statut professionnel et ont pu reprendre les entraînements et les compétitions bien avant leurs homologues féminines de l’Élite 1, qui ont le statut amateur. Cette crise n’est-elle pas l'occasion de faire évoluer les statuts des joueuses ?
RM : “Je plaide pour cela. Je vous rejoins totalement dans cette volonté de structurer et professionnaliser encore plus. C'est d'ailleurs un discours que j'ai tenu devant les fédérations et les ligues pour que ces instances établissent des contrats en bonne et due forme pour faire en sorte qu'elles se consacrent pleinement à leur pratique sportive comme c'est le cas pour les hommes, quand ils sont professionnels. Et même à un niveau inférieur, au niveau des clubs professionnels ou semi-professionnels, il faut insister auprès des clubs pour qu’ils transforment les défraiements actuels de leurs joueuses, qu’ils les considèrent comme des professionnelles, avec un vrai contrat et un statut qui leur permet de cotiser, d'avoir des droits à la retraite. Un vrai travail est engagé par les fédérations des sports collectifs mais aussi par les syndicats des joueuses.”
L’année 2020 a aussi été marquée par de nombreuses affaires de violences sexuelles dans le sport. Comment avez-vous vécu les révélations sur celles-ci ?
RM : “C'est un sujet qui me tient à cœur. Il est essentiel pour moi de pouvoir affirmer avec les fédérations, que nous avons zéro tolérance au sujet des violences dans le sport, que ce soit des violences sexuelles ou verbales, ou des faits de harcèlement ou de discrimination. J'ai été heureuse que les victimes puissent s'exprimer, que l'on puisse les écouter enfin, que ce soient les fédérations, le ministère des Sports, ou la justice puisque beaucoup de nos enquêtes administratives ont été portées à la connaissance des parquets.
À ce jour, plus de 370 affaires sont traitées par mon ministère. Parmi elles, il y a des dossiers anciens, mais aussi actuels. Pour la plupart, ce sont des affaires de violences sexuelles, dont la justice s'en est emparée pour certaines. Je suis rassurée que tout le monde aille dans le même sens, que ce soit le ministère qui n'a pas peur d'affronter cette thématique, ou les fédérations qui ont conscience de la gravité des faits.
Dans le sport, nous avons une longueur d'avance sur ce sujet, et un engagement commun avec l’administration, la justice, le monde fédéral, et les collectivités qui nous suivent aussi. Nous sommes convaincus d'une chose, que le club doit rester ce qu'il est : un lieu d'épanouissement, d'éducation pour nos enfants, et que ce genre de pratique ne peut pas venir ternir la véritable nature du sport. On veut éradiquer ce phénomène et veiller à ce que des personnes condamnées ne puissent plus jamais se retrouver dans des associations sportives.”
*Roxana Maracineanu a été championne du monde (1998), d’Europe (1999) et vice-championne olympique (2000) de natation.
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