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ENTRETIEN. "Nous sommes toujours heureux de remonter à la surface, car notre vie est sur terre", témoigne l'apnéiste Guillaume Néry

À l'occasion de la sortie en librairies de son livre Nature Aquatique, mercredi, le champion français revient sur l'accident de 2015 qui a bouleversé sa vie et qui a changé son rapport au sport et à la mort.

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'apnéiste Guillaume Néry publie un livre mercredi 30 mars, Nature aquatique, sur son rapport à la mer. (VALERY HACHE / AFP)

Il est l'apnéiste tricolore le plus connu des Français. Quatre fois recordman du monde d'apnée en poids constant (descente et remontée à la seule force des palmes ou sans), Guillaume Néry publie mercredi 30 mars un ouvrage intitulé Nature Aquatique (Ed. Arthaud). Dans ce livre, l'apnéiste raconte son accident en 2015 lors des championnats du monde, qui a failli lui coûter la vie à cause d'une erreur des organisateurs.

Base de son ouvrage, cet accident l'amène à prendre du recul avec sa discipline et à se retirer de la compétition. Sans pour autant rompre son besoin indéfectible de faire corps avec la mer. Toutefois, son rapport à la mer et à l'apnée est aujourd'hui différent. Il le partage avec générosité dans son livre. Pour franceinfo: sport, Guillaume Néry revient sur sa passion, son "art de vivre".

Votre livre s'ouvre par le récit de votre accident en 2015 à Chypre, où vous avez frôlé la mort. Cet accident a modifié votre rapport à l'apnée et la mort. De quelle manière ?

Guillaume Néry : Quelques semaines avant mon accident, j'avais ressenti une sorte d'anxiété. Je ne crois pas aux prémonitions, mais je ressentais quelque chose qui a changé ma véritable compréhension du risque de plonger si profond pour battre des records.

Cette angoisse fait partie de l'histoire de cet accident, comme si je m'y préparais avec les différents drames, les décès d'amis apnéistes, que j'ai pu vivre dans les mois et années précédents. Au moment où j'ai l'accident, c'est la goutte de trop, et j'ai décidé de prendre de la distance. Sur le moment, je mets un terme définitif à ma carrière. En réalité, c'était un moment où j'avais besoin de prendre du recul, et d'arrêter d'aller chercher les profondeurs.

Et aujourd'hui ? 

Je ne suis plus animé par cette envie d'aller dans des profondeurs inconnues afin de battre des records à tout prix. J'ai renoué avec la profondeur car cela fait toujours partie de moi. J'ai redéfini mon rapport à la mer. Il est devenu très universel. J'ai un besoin d'aller dans l'eau qui se suffit à lui-même. L'idée de la performance n'est plus le moteur central.

Ce sentiment a été accentué avec le confinement où vous expliquez n'avoir jamais "si peu retenu [votre] souffle" depuis vos 14 ans. Le besoin de la mer et de l'apnée vous est donc apparu comme vital ?

On a tous souffert du confinement, d'être privé de liberté et de l'accès à la nature. Cette privation d'être dans l'eau a été à la limite du soutenable. J'étais anxieux et j'avais une impression d'étouffer. C'était viscéral. Cette privation a confirmé cet attachement que j'ai à la mer, et ce besoin naturel d'être dans la mer, sans chercher la performance.

Vous avez battu quatre fois un record du monde. Quelle est la limite humaine des profondeurs selon vous ?

Il s'agit d'une question centrale de notre pratique. Depuis toujours, on s'interroge sur cette limite. Dans les années 1960, les médecins et scientifiques qui étudiaient notre sport, expliquaient que le corps ne pouvait pas aller au-delà de 50 mètres. Sur le terrain, les apnéistes, Jacques Mayol et Enzo Maiorca, les pionniers qui ont inspiré le Grand Bleu, sont allés au-delà. Plus récemment, en sept ans, le record du monde que je tentais de battre en 2015 à 129 mètres est passé à 131. Avec l'entraînement ajusté, on peut toujours aller un mètre plus bas finalement.

On a tous une limite à un moment donné, mais je crois qu'on a, de manière assez infinie, cette capacité d'aller toujours un peu plus bas à chaque fois. Un jour, on rencontre sa propre limite, soit parce qu'on n'a plus la motivation, ou que l'âge nous y en empêche. 

Votre récit déconstruit aussi le mythe du Grand Bleu. En quoi était-il important de casser cette image véhiculée par ce film et de montrer la réalité de votre discipline ?

Je pense que c'est un peu le combat de toute cette génération d'apnéistes modernes. Quand je dis combat, attention car je n'ai rien contre Le Grand bleu en soi. On doit beaucoup à ce film qui a permis de développer l'apnée. Par contre, il renvoie une image assez particulière, où les deux héros meurent car ils sont obsédés par ce désir d'aller toujours plus profond.

Souvent, on me demande si je n'ai pas envie de rester en bas, car la vie y serait meilleure. Je répond toujours : jamais. Comme tous les apnéistes, nous aimons notre pratique. Nous essayons de ressentir les sensations procurées par les grandes profondeurs et nous aimons l'idée d'aller explorer notre propre corps. Nous sommes toujours heureux de remonter car notre vie est sur terre. C'est ce que j'essaie d'expliquer dans le livre.

Pour que ce sport puisse se développer, il faut qu'il sorte de cette image d'activité réservée à des sur-hommes ou des hommes poissons. Aussi, l'image de ce film dépeint une pratique individuelle alors que l'apnée est une discipline de groupe.

Votre dernier chapitre est une Lettre à la mer. Dans ce texte, vous rappelez combien vous aimez cet environnement mais surtout, vous alertez sur la dégradation des mers et océans. Vous voyez-vous comme un témoin des conséquences du réchauffement climatique ?

Oui, j'ai la chance de pouvoir plonger depuis 25 ans. Je vois ce qu'il se passe, je peux en témoigner. En apnée, il y a une forme de lien, de communion avec la mer qui est beaucoup plus poussée qu'avec tout autre pratique. On y va à nu, et on entre vraiment en interaction avec l'élément. On développe un autre rapport à la mer et un sentiment de profond respect avec l'élément.

Mais aujourd'hui, on n'a pas besoin d'aller plonger pour être au courant de tous les drames qui se jouent actuellement. Les mers et océans sont dans une sale posture. Aujourd'hui, il y a une urgence, non pas pour éviter une catastrophe qui arrive, mais pour essayer d'infléchir maintenant la courbe d'une catastrophe en cours.

À partir du 12 avril, Guillaume Néry sera à l'affiche de la série documentaire Méditerranée, L'odysée pour la vie, qui alerte sur la nécessité de protéger la vie et le vivant en Méditerranée.

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