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Dopage dans le cyclisme : la France lave-t-elle plus blanc ?

Les coureurs hexagonaux ont la réputation d'être plus "propres" que les autres. Pourtant, le meilleur espoir du cyclisme tricolore, Pierre Rolland, vient d'être mis en cause après un contrôle sanguin. Etat des lieux.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des supporters français brandissent une bannière le long de la route du Tour de France, le 18 juillet 2008, près de Nîmes. (JOEL SAGET / AFP)

"Durant des années, les équipes françaises ont eu une politique très rigoureuse sur le dopage, quitte à renoncer à de bons résultats – car pas mal d'autres nations n'avaient pas notre morale, se souvient le directeur sportif de l'équipe FDJ Marc Madiot, dans La Croix . Cela a été dur à vivre." Le cycliste français est-il toujours le chevalier blanc de la lutte antidopage ? Au moment où Pierre Rolland, meilleure chance tricolore au classement général de la prochaine Grande Boucle, est mis en cause sur le Dauphiné Libéré, vérifions si l'image d'Epinal tient toujours...

Le dopage ne s'arrête pas à la frontière

"Les coureurs français propres et les étrangers chargés, c'est un mythe, tranche Pascal Chanteur, président de l'Union des cyclistes professionnels français et lui-même ancien coureur, contacté par francetv info. Beaucoup de coureurs étrangers font correctement leur métier, avec éthique." Plusieurs fédérations étrangères, notamment en Italie, ont rejoint la France, et est désormais en pointe sur la question de l'antidopage. A chaque Tour d'Italie, on voit les carabiniers investir les hôtels des coureurs à la recherche de produits interdits. Reste qu'en France, on a l'impression que les coureurs français lavent plus blanc. "Chacun pense que son pays et sa discipline sont épargnés", confirme Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, au cours de son audition par la commission d'enquête sénatoriale sur le dopage

"Après l'affaire Festina [en 1998], il y a eu une prise de conscience plus forte en France que dans dans d'autres pays étrangers, comme l'Italie et l'Espagne, remarque Stéphane Huby, qui gère le site cyclisme-dopage.com et a contribué à la revue La Preuve par 21, contacté par francetv info. Les affaires de dopage organisé dans les équipes ont concerné des formations étrangères. En France, il y a plutôt eu des cas isolés. Mais on ne peut pas simplifier en disant que le cyclisme français est propre."

A la recherche de la crédibilité perdue

Pour preuve, de nombreuses équipes étrangères ont rejoint le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC), fondé par des Français. Un collectif qui s'impose des règles plus strictes que les règlements de l'Agence mondiale antidopage : interdiction de recruter un coureur suspendu plus de six mois, auto-suspension si on détecte deux cas positifs dans une équipe et contrôles médicaux pour s'assurer de la santé des coureurs.

Les supporters de l'équipe Europcar, convaincus de la propreté des coureurs de cette équipe cycliste, sur le Tour de France, le 14 juillet 2011.  (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

A l'image de ce qui est arrivé à Pierre Rolland, leader de l'équipe Europcar, dimanche 9 juin. Testé tôt le matin, le coureur affiche un taux de cortisol très bas, ce qui peut être provoqué par une chute, un état de fatigue générale ou la prise d'un médicament. Pierre Rolland précise sur sa page Facebook que "son taux n'était pas effondré, juste bas". Les statuts du MPCC prévoient de laisser le coureur au repos... mais son directeur sportif l'incite à prendre le départ. En vain : il abandonnera 20 kilomètres plus loin. "Pierre Rolland a le droit d'avoir un taux de cortisol effondré comme il a le droit d'avoir un rhume", explique à francetv info Roger Legeay, président du MPCC, qui parle d'"un problème médical, pas de dopage". Concrètement, l'organisme du coureur ne produit plus de cortisone, ce qui peut être tragique en cas de chute. Le taux de cortisol n'est pas mesuré par les contrôles antidopage : si Pierre Rolland avait couru dans une équipe qui n'adhère pas au MPCC, on n'en aurait jamais rien su. 

Les corticoïdes constituent le nouveau cheval de bataille du MPCC. Ce produit dopant très efficace est interdit sous forme d'injection, mais autorisé sous forme de pommade. "Des experts de l'UCI [Union cycliste internationale] ont décidé que les corticoïdes n'étaient pas un produit dopant. Mais tout le monde sait que ce produit permet de rendre l'effort d'endurance plus supportable, d'atténuer la souffrance", s'insurge Pascal Chanteur. L'AMA, qui fixe les règlements antidopage pour tous les sports du monde, n'a pas réagi. 

La lutte antidopage est aussi une affaire de com'

De plus en plus d'équipes ont rejoint le MPCC, qui s'enorgueillit de représenter les deux tiers du peloton du prochain Tour de France. Y compris des formations ayant un passé chargé, comme l'équipe kazakhe Astana, admise en tant que "membre probatoire". "Le MPCC est devenu à la mode depuis le discours du patron du Tour, Christian Prudhomme, après l'affaire Armstrong [il a déclaré que le Tour n'inviterait que des équipes membres du collectif], déplore Pascal Chanteur. Beaucoup d'équipes qui l'ont rejoint sont dans une logique de com'. On montre patte blanche pour dire qu'on est propres."

De la com' aussi du côté de l'organisateur du Tour de France. Christian Prudhomme, qui déclare devant les sénateurs : "Les contrôles sur le Tour sont cinq fois plus nombreux que ceux demandés, on ne peut pas en faire plus lors des épreuves." Des contrôles nombreux, mais inefficaces, à en croire le docteur Jean-Pierre de Mondenard, spécialiste de la lutte antidopage : "Il faut revoir totalement les contrôles antidopage qui aujourd'hui ne trouvent que 30 substances par contrôle alors que les listes contiennent 300 produits interdits." 

Aujourd'hui, l'arsenal législatif s'est harmonisé entre la France et les autres pays : passeport biologique (contrôle des paramètres biologiques tout au long de l'année), système de localisation ADAMS pour que les contrôleurs puissent débarquer à tout instant et contrôles sur les épreuves. "Depuis les années Sarkozy, le gouvernement a relâché la pression sur la lutte antidopage. Des groupes comme le MPCC ont pris le relais, remarque Stéphane Huby, qui conclut, fataliste : "Tout ce qu'on a réussi à faire pour l'instant, c'est réduire l'écart sur une course à étapes entre le coureur propre et le coureur dopé."  

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