Documentaire d'Inoxtag : gravir l'Everest, est-ce vraiment un défi accessible à tous ?
"Si on se donne les moyens, c'est accessible à n'importe quelle personne en bonne santé qui se botte un peu les fesses. Là, je ne vois pas où est l'exploit. Aujourd'hui, gravir l'Everest avec de l'oxygène, c'est comme faire le Tour de France avec un vélo électrique." Les mots de l'alpiniste Pascal Tournaire dans L'Equipe après la diffusion du documentaire Kaizen du youtubeur Inoxtag, ont relancé la question de la "facilité" et de l'accessibilité au toit du monde. Budget, préparation, altitude, dangers : gravir l'Everest, qui culmine à 8 849 mètres, est-ce vraiment si simple que cela ?
"Beaucoup de gens disent que l'Everest, ce n'est rien. Je ne suis pas du tout d'accord. Tout le monde peut organiser le projet, par contre, tout le monde ne peut pas aller en haut. Tu peux avoir le meilleur entraînement possible, c'est quelque chose de difficile", estime Delphine Chaigneau, professeure d'EPS et 15e Française à atteindre le sommet, où elle a justement croisé le youtubeur en mai.
45 000 euros par personne en moyenne
Entreprendre cette ascension prend souvent plusieurs années et les difficultés commencent dès le financement. Un tel projet coûte environ 45 000 euros par personne et cela peut monter à plus de 110 000. Vol non compris, le budget comprend le permis délivré par le gouvernement népalais (419 ont été délivrés en 2024 à 10 000 euros l'unité, une somme qui passera à 13 500 euros en 2025), le guide, l'oxygène et le logement.
Une somme conséquente, que Delphine Chaigneau a pu réunir grâce à son association A chacun(e) son toit du monde, engagée notamment pour l'écologie et les femmes alpinistes. Mais une fois ce montant en poche, aucun autre obstacle n'empêche de se lancer à l'assaut de l'Everest. "C'est la seule condition, c'est un gros problème. Et en investissant autant d’argent, on accepte aussi plus de risques. C'est une très, très mauvaise combinaison", estime Michael Lentrodt, président de la Fédération allemande des guides de montagne et membre de la fédération internationale (IFMGA).
La deuxième partie du projet réside dans la préparation. Est-ce possible d'atteindre le sommet sans ? "Je ne pense pas", estime Michael Lentrodt. "N'importe qui ne peut pas faire l'Everest, insiste Any Laborieux, médecin au centre hospitalier d'Antibes, spécialisé dans la médecine du sport et d'altitude. Si vous n'avez pas une excellente préparation et condition physique, de bons paramètres de cohérence à l'hypoxie [résistance à l'altitude], une bonne acclimatation à l'altitude et une vraie connaissance du milieu montagnard, vous prenez énormément de risques et vous ne montrez certainement jamais jusqu'en haut."
Car les risques sont conséquents : "Si on commence à être fatigué en altitude, ça peut avoir des conséquences néfastes, voire mortelles. 60% des gens qui contractent un œdème cérébral de haute altitude meurent. Le destin est le même pour 40% des personnes qui contractent un œdème pulmonaire. Et ça, c'est quand il y a tout le matériel pour pouvoir sauver les gens. Si ça vous arrive au Népal, vous multipliez le temps par 10, donc vous diminuez l'espérance de vie de la personne."
"On est confronté à un milieu extrêmement hostile. Quand vous montez à ces altitudes, c'est comme si vous alliez sur la Lune."
Any Laborieux, médecin spécialiste de l'altitudeà franceinfo: sport
Pour s'acclimater, l'ascension de plusieurs montagnes au-dessus de 6 000 mètres est recommandée. "Beaucoup de gens essaient de monter l'Everest sans avoir d'expérience en montagne. C'est déjà dangereux sur les montagnes basses, mais sur la plus haute montagne du monde, c'est une catastrophe. En Europe, nous avons des exigences d’expérience. Mais c’est pour des pics à 3 000 mètres. Là, on est sur un sommet à plus de 8 800 mètres", rappelle Michael Lendrodt.
Delphine Chaigneau avait ainsi escaladé le Kilimandjaro, en Tanzanie (5 895 m) et le pic Lénine, au Kirghizistan (7 134 m). "Si tu t'acclimates bien à 7 000 mètres, au-dessus, il n'y aura pas de souci", explique-t-elle. "Un youtubeur, ça sentait forcément le coup de communication. Mais en apprenant à le connaître, je me suis rendu compte qu'il y avait une vraie démarche réfléchie derrière", confiait de son côté Mathis Dumas, le guide de haute montagne d'Inoxtag, qui a notamment gravi le sommet népalais de l'Ama Dablam (6 812 m) avant l'Everest.
Vient ensuite l'ascension en elle-même, à une date désormais resserrée pour tout le monde sur une poignée de jours en mai, en raison du réchauffement climatique. Pour atteindre le camp de base situé déjà à 5 353 mètres d'altitude, il faut environ dix jours de marche. Puis patienter parfois un mois pour profiter de la meilleure fenêtre météo. Ce qui provoque les files indiennes et les embouteillages de clients avec leur guide, notamment sur la dernière partie.
Une semaine d'expédition aller-retour
Quasiment tous munis d'oxygène, sauf pour "0,3% des aventuriers, qui montent très vite pour que leur corps n'ait pas le temps de s'acclimater" selon Delphine Chaigneau, les grimpeurs s'élancent pour environ une semaine d'ascension et de redescente, avec quatre camps étalés le long de la route. "On a mis cinq jours pour monter et deux jours pour descendre. Mais quand tu arrives au dernier camp, tu repars à 20 heures le même jour pour être au sommet le lendemain matin et tout redescendre jusqu'au deuxième camp. Tu fais 26 heures non-stop", dévoile-t-elle.
"En termes de compétences d'escalade, l'Everest n'est pas très difficile. Mais il y a le vent et la température extrêmes, moins d'air, et cette combinaison le rend difficile. Toutes ces choses sont beaucoup plus faciles si vous êtes 5 000 mètres plus bas."
Michael Lendrodt, guide de montagne et membre de la fédération internationaleà franceinfo: sport
Tout au long de son parcours, Delphine Chaigneau a vu beaucoup de profils de grimpeurs différents. "J'en ai vu de très, très bons. J'ai aussi vu des personnes qui n'étaient clairement pas préparées, qui étaient au bout de leur vie. Juste sur les premiers camps, il y en a au moins 150 qui ont fait demi-tour par manque de condition physique", se souvient-elle.
Signe que pour les moins expérimentés, le Sagarmatha (son nom en népalais) reste très hostile. Et qu'une telle ascension demande une préparation complète et longue pour espérer atteindre le sommet, en plus du coût de l'expédition.
Cet obstacle financier a un effet pervers pour Michael Lendrodt, qui refuse à titre personnel de se rendre sur l'Everest en raison des risques trop importants dus à la surpopulation. "La plupart des gens ne savent pas ce qui peut se passer. Ils vont là-bas et disent : 'C'est facile, je reviendrai à la maison et je dirai que j'étais sur l’Everest'. Puis ils arrivent là-bas et se rendent compte que c'est trop dur, mais c'est trop tard. Si vous avez payé 100 000 euros et que vous ne vous sentez pas bien, vous ne faites pas demi-tour. Vous avez beaucoup de pression parce que vous avez dépensé énormément d'argent et que tous les gens à la maison attendent que vous atteigniez le sommet. Donc vous allez plus loin, plus loin, plus loin. Et certaines personnes vont mourir", déplore le guide de haute montagne.
Any Laborieux, qui alerte sur l'importance de la préparation et la connaissance de la montagne, abonde. "Il a une espèce de course à vouloir absolument faire des hauts sommets qui est parfois négative pour la planète – parce que ça abîme beaucoup la montagne – et pour les individus qui tentent ce défi, parce qu'ils mettent en danger la vie de la cordée et des sherpas."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.