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Dimitri Yachvili : "Les directives de World Rugby dénaturent obligatoirement le jeu"

Notre consultant Dimitri Yachvili revient sur les propositions faites par World Rugby pour assurer la reprise du jeu tout en limitant les risques de propagation du Covid-19. L'ancien international est partagé entre la nécessité de conserver l'ADN de ce sport et celle d'avancer pour rendre le rugby plus rapide. Une tendance qui pourrait notamment sourire au XV de France.
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
 

Quand on voit la liste des propositions de World Rugby, on a l'impression de voir un sport qui perd une bonne partie de sa notion de contact, c'est aussi votre sentiment ?
Dimitri Yachvili :
"Forcément, on va limiter les temps de contact. Ça dénature obligatoirement parce qu'on fait un sport où il y a souvent des collisions, du corps à corps, des mêlées. On comprend bien qu'ils essaient de mettre des directives en place pour qu'il y ait de moins en moins de contacts entre les joueurs mais cela me semble extrêmement compliqué dans un sport comme le rugby où on est souvent confronté à l'adversaire, au contact direct avec son coéquipier. Si ça peut limiter la propagation du virus, tant mieux, mais c'est complexe."

Ces nouvelles règles étaient-elles vraiment nécessaires alors que l'essence-même du rugby, c'est le contact ? 
DY :
 "Je suppose que si World Rugby les a prises, c'est peut-être parce qu'ils avaient au-dessus d'eux des directives pour limiter les temps de contact. Ils ont dû faire le maximum pour éviter de dénaturer le rugby, mais ils étaient obligés de prendre des décisions de toute façon. Certains seront pour, d'autres contre. C'est l'organisme qui régit le rugby mondial, on se doit d'écouter leur avis. C'est une situation exceptionnelle, on se doit de respecter les demandes. Et de profiter de cette période délicate pour trouver les règles qui permettront d'accélérer le jeu dans le futur."

"Il faut prendre ce qu'il y a de bon à prendre"

On a le sentiment que le contexte a permis une transition douce pour passer des premiers ajustements pour le rugby de demain. 
DY : "Dans ces temps délicats, on essaie de faire passer des nouvelles lois, des nouveaux règlements un peu partout. Il faut voir les bienfaits pour notre sport, et essayer de rester positif. Il faut prendre tout ce qu'il y a à prendre pour que notre sport soit plus rapide et spectaculaire, mais encore une fois sans le dénaturer, ou enlever la notion de contact qui pour moi est primordiale."

En mêlée justement, qu'est-ce que va apporter le pied-frein pour les talonneurs ?
DY : "Cela favorise la stabilité de la mêlée. Le moment où un pied du talonneur se lève, il s'affaiblit parce qu'il pousse moins. Espérons que cela aille dans le sens où on ne verra plus toutes ces mêlées écroulées et ce temps perdu. Cela peut être un aspect positif. Et là, ce n'est même pas lié au coronavirus. Certains matches étaient longs, un peu répétitifs. Les arbitres avaient parfois du mal à faire respecter une bonne mêlée. Mais je n'ai pas assez de recul, je n'ai jamais été au cœur de la mêlée."

"Les nouvelles directives, c'est dommage pour les puristes..."

World Rugby préconise également d'empêcher les joueurs de rejoindre un maul, cette action va-t-elle encore avoir un poids dans le jeu ?
DY : "Cela me paraît extrêmement difficile à mettre en place. Ils s'imaginent peut-être déjà à minimiser les ballons portés. Cela veut dire qu'un joueur qui irait au contact ira peut-être plus rapidement au sol avec une libération de balle rapide, pour favoriser la sortie, la vitesse de jeu. Mais le maul fait partie de l'histoire de ce sport, de ses caractéristiques. On est lié pour avancer vers le même chemin. Avec les nouvelles directives, c'est dommage pour les puristes... Même si je comprends aussi la volonté d'accélérer le jeu."

Que penser du carton orange, qui semble aller dans l'esprit d'intégrité physique des joueurs, sans même parler du Covid-19 ?
DY : 
"Cela veut dire que le défenseur va devoir plaquer à la taille, aller plus vite au sol et le jeu va pouvoir s'accélérer un peu plus… C'est comme les mauls dont on parlait juste avant. On va arrêter de plaquer haut pour éviter de créer ces mauls, une spécialité de certaines équipes. Les Irlandais récupéraient beaucoup de ballons en mêlée sur ces plaquages hauts, ils maintenaient les joueurs debout en bloquant le ballon et le ballon ne sortait pas. Mais ça va être fini. Mais ça va être compliqué, si tu as un joueur de deux mètres sur la ligne défensive face à un autre de 1,75m, cela va être difficile de plaquer bien bas. Le rugby s'uniformise ces dernières années mais tu as différents gabarits."

Quel serait le bon compromis à trouver pour avancer tout en conservant l'identité du rugby ?
DY : "Il faut maintenir certaines phases de puissance collective comme un ballon porté, une mêlée fermée. C'est un secteur de jeu unique, nous sommes le seul sport où l'on est à 8 contre 8 liés et où l'on doit avancer. Cela fait partie de notre histoire, de notre culture. Ce serait dommage de voir les mêlées disparaître ou en tout cas sans avoir de combat direct. Je suis d'accord en revanche sur les directives pour les plaquages à la taille, cela va accélérer le jeu. Il faudra faire attention à bien faire respecter le règlement au sol."

"Ce règlement peut reconnecter avec notre culture, notre ADN français que nous avions perdus"

Ces nouvelles propositions sont des recommandations mais restent facultatives. Vous le voyez être massivement suivies ?
DY :
"Elles n'auront pas le choix. "Facultatives et temporaires", c'est pour la bonne forme. World Rugby a dû avoir des directives au-dessus des fédérations pour minimiser les contacts physiques. Ils proposent certaines modifications et cela reviendra ensuite à la normale, tout en conservant certaines règles ensuite comme les plaquages à la taille pour redonner un autre élan et une autre image de notre sport."

Ces recommandations pourraient être de bonnes nouvelles pour le XV de France si l'on s'en fie à son style de jeu lors du dernier Tournoi des 6 Nations. 
DY :
"On a produit un jeu ouvert, avec de la vitesse. Les joueurs qui ont rejoint l'équipe ont des profils avec beaucoup de mobilité et de ballon, des vrais rugbymen. Cela peut reconnecter avec notre culture, notre ADN français que nous avions perdus ces derniers temps. Nous sommes comme ça, on aime jouer, l'évitement, se faire des passes… On sent le rugby. On a plein de défauts mais on a quand même cette culture-là. Si on arrive à faire accélérer le jeu par le règlement, ce sera bénéfique pour notre rugby."

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